CELUI QUI BAVE ET QUI GLOUGLOUTE, R.C. WAGNER

*Sa voix s’étrangla dans sa gorge à la vue du trait de
lumière écarlate qui venait de frapper le rocher non
loin de lui, creusant un petit cratère fumant dans la
pierre grise. Il leva les yeux, en quête de l’origine de
l’éclair mortel…*
(Extrait : CELUI QUI BAVE ET QUI GLOUGLOUTE, Roland
C. Wagner, Actusf, 2006, rééd. LES TROIS SOUHAITS,
nouvelle, format numérique, 90 pages)

1890, dans l’Ouest américain. Les derniers rapports des Tuniques bleues relatent d’étranges événements. Les Indiens, soutenus par des alliés invincibles, mènent des combats d’une force insoupçonnée et refoulent, pour la première fois, l’armée vers l’est. La rumeur tend à justifier ce revirement : leurs alliés seraient-ils des esprits démoniaques ? Des monstres venus d’une autre planète ? Kit Carson ― chasseur de prime ―, le professeur Lévêque et le séduisant détective Nat Pinkerton forment l’équipe intrépide qui dénouera la vérité dans une quête périlleuse à travers le mythique Far West et ses légendes : Calamity Jane, Jesse James, les Dalton.

La marque de Lovecraft
*Scott O’Bannon se demandait sérieusement s’il n’avait
Pas commis une erreur en laissant ce charmant vieux
savant consulter le Necronomicon. Pour tout dire, il
craignait d’avoir été victime de quelque mystérieuse
manipulation mentale.*
(Extrait)

CELUI QUI BAVE ET QUI GLOUGLOUTE est une nouvelle hors-norme. Un bijou d’originalité de style steampunk : un courant littéraire uchronique lié au XIXe siècle qui a été marqué par l’envahissement des voies maritimes de bateaux à vapeur.

C’est un texte au rythme élevé qui, première originalité, réunit les personnages les plus célèbres du far-west, dont des criminels, réactualisés par la littérature, incluant la BD comme l’incontournable série LUCKY LUKE crée par le dessinateur belge Morris : Kit Carson, Buffalo Bill, les Dalton, Jessy James, Billy the kid, Nat Pinkerton et j’en passe.

*C’est la nation indienne toute entière qui s’est soulevée, Sioux, Arapahos, Crows, Cheyennes, Pawnees, Pieds-bleus ou Apaches, toutes les tribus ont entrepris de refouler les pionniers vers l’est, infligeant défaite sur défaite à la cavalerie des États-Unis* (Extrait) 

Pourquoi une telle impuissance des soldats américains appelées *tuniques bleues* ? Eh bien il semble, et c’est là une deuxième originalité, que les Indiens se sont fait un précieux allié. Allié qui sera identifié plus tard comme étant des martiens : d’impossibles créatures vertes à quatre bras.

Très rapidement, on sent l’influence de Lovecraft dans le récit. Car plus tard, les vénusiens se mettront de la partie, non pas pour aider qui que ce soit, mais pour combattre…les martiens. Puis, un mystérieux personnage s’ajoutera au milieu du récit : un être surnaturel énorme qui mange des humains avec un appétit démesuré.

Cette entité, gardienne des portes dimensionnelles a été annoncée par le Nécronomicon, un ouvrage fictif du mythe de Cthulhu, inventé par l’écrivain-phare Howard Phillip Lovecraft et évoqué dans treize de ses œuvres.

Le Nécronomicon inspirera aussi des dizaines d’auteurs dont Rolland C Wagner pour la présente dans laquelle l’horrible livre est convoité quitte à rendre son lecteur fou ou abruti. Quant à cette créature de cauchemar sortie de nulle part et qui bouffe des humains à la douzaine seulement pour sa collation, on lui donnera le nom de CELUI QUI BAVE ET QUI GLOUGLOUTE…pour des raisons évidentes.

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cette nouvelle. Là je peux dire que l’auteur m’a surpris avec un mélange de genres qui a quelque chose d’hilarant. Comme je suis un inconditionnel de Lovecraft, la nouvelle m’a accroché et a eu sur moi l’effet d’une toile d’araignée.

Attiré au départ par ce titre étrange et un quatrième de couverture improbable qui m’apprend que le gouvernement américain engage le célèbre chasseur de primes Kit Carson pour régler le problème. Le résultat est un mélange détonnant : du Far West américain pure laine avec de la science-fiction introduisant des créatures pas spécialement appétissantes.

Une petite initiative qui pourrait vous faire goûter davantage CELUI QUI BAVE ET QUI GLOUGLOUTTE serait de faire connaissance avec LOVECRAFT. Wikipedia vous offre un dossier complet sur lui. Toute son œuvre repose sur l’horreur cosmique et la méconnaissance de l’homme sur tout ce qui concerne l’univers. Les détails de sa vie et de son œuvre, incluant le Necronomicon pourrait vous surprendre à bien des égards.

Le seul reproche que je pourrais faire à cette nouvelle, est la sous-exploitation du thème. J’ai souvent cette impression avec des nouvelles originales ou particulières. CELUI QUI BAVE ET QUI GLOUGLOUTE aurait eu suffisamment de matière pour en faire un roman complet.

Ça nous aurait sans doute donné des personnages mieux travaillés, plus aboutis, plus fouillés sur le plan psychologique. L’auteur aurait pu enrichir l’aspect anecdotique et décrire davantage la vie sociale, politique et économique du Far West du XIXe siècle. Enfin l’auteur aurait pu en profiter pour vulgariser le Necronomicon, le rendre un peu plus compréhensible.

Ceci dit, j’ai passé une petite heure tout à fait passionnante avec CELUI QUI BAVE ET QUI GLOUGLOUTE.

Suggestion de lecture : LE PROJET BRADBURY, de Neil Jomunsi

Né à Bab-el-oued en pleine Guerre d’Algérie, ayant grandi en banlieue parisienne entre rock et livres (du Fleuve Noir à Victor Hugo !), Roland Wagner a participé à sa première convention de SF à un peu moins de 14 ans, et fait paraître sa première nouvelle dans un fanzine l’année suivante.

Depuis 1987, Wagner a publié plusieurs dizaines de romans, au Fleuve Noir dans un premier temps, chez l’Atalante pour ce qui est du millénaire en cours. Ceci sans négliger d’autres éditeurs (Le Livre de Poche, J’ai Lu, Le Bélial, Le Rocher etc.).

Il est revenu sur le devant de la scène en 2011, avec RÊVES DE GLOIRE, une incroyable uchronie polyphonique sur la Guerre d’Algérie. Couverte de récompenses, dont le Prix Utopiales des Pays de Loire 2011 et le Grand prix de l’Imaginaire 2012, un monument littéraire, liant le souffle de l’imaginaire à la passion pour l’histoire contemporaine.

Né en 1890, Howard Phillips Lovecraft est un enfant chétif, qui sort peu et devra être scolarisé à la maison. En 1915, il fonde son propre journal. Deux ans plus tard, il compose ses premières fictions. En 1928, il publie « L’appel de Cthulhu », ouvrant la voie à un nouveau style dans le genre de l’horreur. La période qui suit est prolifique.

L’univers imaginaire qu’il met en scène a un énorme retentissement. Certaines de ses créatures surnaturelles sont reprises par d’autres écrivains de science-fiction. Nombre de ses personnages souffrent de désordres mentaux. L’ambiance de ses récits est pessimiste. Un cancer l’emporte en 1937, à 47 ans. Il est aujourd’hui cité comme source d’inspiration par des écrivains aussi célèbres que Stephen King, Peter Straub ou Neil Gaiman.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 13 novembre 2021

LES QUINZE PREMIÈRES VIES D’HARRY AUGUST

Commentaire sur le livre de
CLAIRE NORTH

 *La mort…peut être obtenue de deux façons. Je ne parle pas de la mort fastidieuse que notre corps nous force à endurer à la fin de chacune de nos vies…je parle de la mort véritable…sa première forme, c’est l’oubli. On efface l’intégralité de votre mémoire…ce qui, pour nous, équivaut à une mort véritable. L’ardoise ainsi effacée, vous pouvez redevenir pur et innocent. * (Extrait : LES QUINZE PREMIÈRES VIES D’HARRY AUGUST, Claire North, Delpierre éditeur, 2014. Édition numérique, 320 pages.)  

Harry August se retrouve sur son lit de mort. Une fois de plus. Chaque fois qu’Harry décède, il naît de nouveau, au lieu et à la date exacte auxquels il est venu au monde la première fois, possédant tous les souvenirs de ses vies antérieures. Il sait seulement qu’il y en a d’autres comme lui. Alors qu’Harry arrive à la fin de sa onzième vie, une petite fille apparaît à son chevet et lui livre un message à transmettre d’enfant à adultes à travers des générations depuis mille ans dans le futur. Le message dit : « Le monde se meurt et nous ne pouvons rien y faire. À vous de jouer. » Reste à savoir comment Harry August essaiera de sauver un passé qu’il ne peut changer et un futur qu’il ne peut accepter. 

TANT ET TANT DE VIES
TANT ET TANT DE TEMPS
*C’est bizarre de savoir que tous ces gens
se connaissent depuis plusieurs siècles
alors qu’à mes yeux ils sont encore des
étrangers.*
(Extrait : LES QUINZE PREMIÈRES VIES
D’HARRY AUGUST)

L’histoire est un peu complexe mais le fil conducteur est riche et solide. Ça m’a permis de rester dans le coup et de découvrir avec plaisir les talents d’une auteure que je ne connaissais pas : Claire North. Il faut bien saisir le début de l’histoire et la situation d’Harry pour apprécier à sa juste valeur le reste du récit et en arriver à se poser la question qui porte un peu à réfléchir : Qu’est-ce que j’aurais fait à la place d’Harry.

Donc il faut savoir qu’Harry est né orphelin, qu’il a vécu, qu’il est mort, qu’il est né de nouveau au même endroit et dans les mêmes circonstances, avec les souvenirs demeurés intacts de sa vie antérieure. C’est un Kalachakras. Et en plus, il est mnémonique. Ceux qui n’ont pas ce don, le commun des mortels autrement dit, sont des linéaires…linéaire comme le temps.

Il est porteur d’un message transmis d’enfant à vieillard mourant : *J’ai besoin de faire remonter un message dans le temps…comme vous avez l’obligeance d’être en train de mourir, je vous demande de le transmettre aux Cercles de votre jeunesse, de la même façon qu’il m’a été transmis.* (Extrait)

Ce n’est pas un secret, ce message révèle que la fin du monde approche. Ça m’a semblé logique, car dans l’histoire, le futur est en train de changer dramatiquement.

Harry consomme ses vies en poursuivant ceux de son espèce qui sont susceptibles d’altérer l’histoire en introduisant à l’avance divers éléments et inventions pour lesquels la société n’est pas préparée.

Il poursuit en particulier Vincent Ramkis qui projette la création d’un miroir quantique qui permettrait aux hommes d’avoir réponse à toutes les questions existentielles et qui permettrait de percer les mystères de l’univers avec les yeux de Dieu et ce faisant, introduit des technologies très en avance sur le temps.

Cette histoire me rappelle à certains égards le livre de Ken Grimwood REPLAY (Éditions du Seuil, 1998). Si vous avez lu ce livre, vous vous rappellerez que Jeff Winston est mort dans son bureau d’une crise cardiaque en 1988. Il se retrouve en 1963 à 18 ans dans son ancienne chambre d’Université. L’histoire est quand même différente mais ça fait une lecture parallèle très intéressante.

J’ai trouvé cette histoire très originale même si les sauts dans le temps et les paradoxes temporels sont des thèmes chers à la littérature, il en est question entre autres dans deux livres que j’ai commentés sur ce site : LES CHRONOLITHES de Robert-Charles Wilson et LE TEMPS PARALYSÉ de Dean Koontz.

Dans le livre LES QUINZE PREMIÈRES VIES D’HARRY AUGUST, vous pourrez lire en particulier un intéressant dialogue sur les paradoxes temporels et leurs effets. Original aussi ce livre, parce que la vie d’Harry August étant une boucle temporelle, il a autant de vies que de regards critiques sur le XXe siècle et il y a beaucoup d’observations pertinentes.

Si ma vie était une boucle temporelle, je vivrais aisément sachant d’avance les numéros gagnants de loterie. Dans le livre de North cet aspect est exploité avec modération, August allant chercher juste ce qu’il lui faut. L’auteure n’est pas tombée dans le piège de la surexploitation qui est parfois si tentant. C’est un autre bon point.

Il y a quelques faiblesses : des longueurs, des bouts de dialogues nombreux qui n’apportent rien au récit. Et à peu près rien sur l’enfance d’Harry. Ça c’est dommage et ça fait que pour moi, le livre est incomplet. Il aurait en effet été très intéressant de savoir comment Harry vivait son enfance et son adolescence au fil de ses vies. Tout ce que j’ai cru comprendre est qu’il trouvait cette partie de ses vies ennuyantes à mourir et dépourvues d’intérêt. Enfin, il y a des sauts dans le temps.

Il faut être attentif malgré la solidité du fil conducteur. Ce livre est comme une longue lettre à saveur autobiographique ou un journal si vous préférez. Harry en est le narrateur et dans son récit, il peut passer d’une vie à l’autre pour illustrer ses comparatifs. Un peu mêlant par bouts…

Sans être un chef d’œuvre, c’est une histoire réussie et un bon roman. Il pousse à l’introspection et au questionnement. Comme je l’ai mentionné au début de ce texte, on peut se demander entre autres qu’est-ce qu’on ferait à la place d’Harry et puis comment gèrerait-on une vie éternelle surtout en sachant que le futur agonise.

Même si l’avenir était prometteur, seriez-vous volontaire pour une vie éternelle ? La plume consistante et un peu énigmatique de Claire North a de quoi alimenter votre réflexion.

Malgré les longueurs et l’aspect complexe de l’œuvre, j’ai apprécié ce roman et oui… ce n’est pas vraiment un coup de cœur, mais je crois que c’est une réussite.

 LECTURE PARALLÈLE SUGGÉRÉE :

Claire North, de son vrai nom Catherine Webb est une écrivaine anglaise né en 1986. Elle a aussi écrit sous le pseudonyme de Kate Griffin. Élevée entre une mère auteure et un père éditeur, on peut comprendre que Catherine Webb soit devenue très tôt une passionnée de lecture, puis de l’écriture.

Elle n’avait que 14 ans quand elle a complété l’écriture de son premier roman en 2000 LA GUERRE DES RÊVES publié en 2002. Elle s’est spécialisée très tôt dans la littérature de science-fiction et de fantasy. LES QUINZE PREMIÈRE VIE D’HARRY AUGUST et son treizième ouvrage, récipiendaire du prix John Wood Campbell memorial en 2015.

BONNE LECTURE
JAILU/CLAUDE LAMBERT
Le dimanche 5 mai 2019