LE LAMBEAU, le livre de Philippe Lançon

Version audio

*Je ne retrouvais plus mon cahier. Il était pourtant
dans mon sac au moment de l’attentat et il m’avait
suivi à l’hôpital où je m’en étais servi dans les
premiers jours pour écrire, ne pouvant parler.*
(Extrait : LE LAMBEAU, Philippe Lançon, Gallimard
éditeur, 2018, durée d’écoute : 16 heures 3 minutes.
Narrateur : Denys Podalydès)

Lambeau, subst. masc.  
1. Morceau d’étoffe, de papier, de matière souple, déchiré ou arraché, détaché du tout ou y attenant en partie.  
2. Par analogie : morceau de chair ou de peau arrachée volontairement ou accidentellement. Lambeau sanglant ; lambeaux de chair et de sang. « Juan, désespéré, le mordit à la joue, déchira un lambeau de chair qui découvrait sa mâchoire » (Borel, Champavert, 1833, p. 55). 
3. Chirurgie : segment de parties molles conservées lors de l’amputation d’un membre pour recouvrir les parties osseuses et obtenir une cicatrice souple. 

Le sens et la portée
*…je vous ai vu. Seul. À l’écart sur une table ou une commode,
je ne sais plus trop. Vous étiez choqué cela va sans dire. Vous
ne pouviez pas parler évidemment. Mais vos yeux disaient tout.
Vous imploriez de l’aide. Votre regard a croisé le mien et j’ai
détourné les yeux. Lâchement. Je me disais que je ne me remettrais
jamais de cette image de vous, en souffrance dans mes bras ou
dans mes mains. *
(Extrait)

 

Avant-propos :

Le 7 janvier 2015 à Paris, des terroristes islamistes, les frères Chérif et Saïd Kouachi pénètrent dans le bâtiment abritant le journal satirique CHARLIE HEBDO qui préparait la sortie de sa 1177e édition. Onze personnes seront froidement assassinées dont 8 membres de la rédaction. Premier attentat de trois en France pour le seul mois de janvier 2015. Celui de Charlie Hebdo sera le plus meurtrier.

Au cours de cet attentat, le chroniqueur Philippe Lançon sera gravement blessé au visage…une blessure qui nécessitera une intervention chirurgicale de quatre heures et par la suite, plus de vingt passages au bloc opératoire. Trois ans après cet incroyable gâchis, Philippe Lançon raconte les évènements.

Pour mieux comprendre le contexte des propos de Lançon, voyons d’abord ce qu’est CHARLIE HEBDO. Charlie Hebdo est un journal hebdomadaire satirique français fondé en 1970 par François Cavanna et le professeur Choron. Il fait une large place aux illustrations, notamment aux caricatures politiques, et il publie aussi des reportages à l’étranger sur toutes sortes de sujets explosifs dont la religion, les sectes, l’islamisme.

Dès 2006, Charlie Hebdo s’attire les foudres des pays musulmans en publiant les caricatures de Mahomet du Jylland posten. Au cours de l’attentat du 7 janvier 2015 à Paris, les frères Kouachi (dont Lançon ne cite jamais les noms dans son livre) pénètrent dans les locaux de CHARLIE HEBDO. Onze personnes sont tuées. Parmi les quelques survivants, le chroniqueur Philippe Lançon sera gravement blessé au visage…le menton et la mâchoire inférieure emportés par une balle.

Malgré tout, jamais le sentiment d’appartenance de Philippe Lançon à Charlie Hebdo ne s’est démenti : *Ce petit journal qui ne faisait de mal à personne…ce petit journal avait une grande histoire et son humour avait bienheureusement fait du mal à un nombre incalculable d’imbéciles, de bigots, de bourgeois, de notables, de gens qui prenaient le ridicule au sérieux* (Extrait : LE LAMBEAU)

Personnellement, j’ai toujours eu la certitude que plus on se rapproche de la vérité, plus on dérange. Toujours est-il que CHARLIE HEBDO était et demeure une institution. Les tueurs vengeurs croyant faire un exemple ont créé des héros, le nombre d’abonnés passant de 10 000 à 220 000…bien curieuse stratégie religieuse…

*Depuis quelques années, il était presque moribond, depuis la veille, il n’existait plus mais, il existait déjà autrement. Les tueurs lui avaient donné sur le champ un statut symbolique et international dont nous, ses fabricants, aurions préféré nous passer. * (Extrait)

Le récit s’ouvre sur le théâtre de Shakespeare et l’auteur parle de son faible pour Michel Houellebeck, célèbre écrivain qui a entre autres écrit SOUMISSION qui laisse à entendre que plus les hommes imagineront un Dieu qui est absolu, plus tyrannique sera sa loi. Il fut accusé d’Islamophobie. L’évocation de Houellebeck vient enrichir le contexte dans le récit de Philippe Lançon.

Toutefois, la majeure partie du récit raconte la chaîne d’évènement qui suivra l’attentat: La reconstitution du visage, de longues chirurgies, les greffes, les accessoires et le support médical, les épisodes d’espoir qui alternent avec les épisodes de découragement… une longue réhabilitation qui pousse à se demander si survivre confine au malheur, mais ce serait, je crois, mal connaître la bravoure de Philippe Lançon.

J’ai été subjugué par la forte intensité du récit, la pureté de l’écriture et la sincérité qui s’en dégage. Pas d’artifice, de passages spectaculaires. Je n’ai pas senti non plus de haine, de violence, de désir de vengeance. LE LAMBEAU est un livre de paix écrit par un homme de paix…l’histoire d’une reconstruction racontée en toute simplicité quitte à faire appel à l’occasion à la crudité.

J’ai apprécié l’écoute aussi, malgré la voix un peu blanche et sensiblement dépourvue d’émotion du narrateur. Mais peut-être est-ce voulu ainsi, Denys Podalydès ayant bien saisi l’esprit de l’auteur qui s’est bien gardé d’imprégner le récit de misérabilisme et de sensationnalisme.

Je me suis senti un grand respect pour Lançon. J’ai souffert pour lui, ressenti de l’empathie. Je m’en suis fait un petit frère. C’est un livre qui ébranle, qui brasse les émotions et qui surprend, entre autres par ses étroits liens avec la culture: le théâtre, la littérature et même le septième art.

Outre les références à Houellebeck, on sent l’influence de Beaudelaire, de Shakespeare avec LA NUIT DES ROIS, d’Arthur C Clarke et même de Stanley Kubrick qui a adapté à l’écran L’ODYSSÉE DE L’ESPACE 2001. Cet aspect du récit n’était certainement pas pour me déplaire. Le livre m’a aussi rappelé le dévouement et l’abnégation du personnel hospitalier qui regroupe avant tout des êtres humains, sujets à l’erreur.

Je pourrais en parler longtemps. Je dirai enfin que LE LAMBEAU est un livre magistral, profondément humain, un accroche-cœur que je n’oublierai jamais. Une de mes meilleures *lecture audio* à vie.

Suggestion de lecture : LE LIVREUR, de Marie-Sophie Kesteman

Philippe Lançon est un journaliste et romancier français né en 1963 à Vanves. il est journaliste au quotidien Libération, chroniqueur et critique littéraire, avec une passion particulière pour la littérature latino-américaine. Il a longtemps tenu la chronique Après coup consacrée à la télévision, et a participé au lancement des pages Portrait. 

Il est également chroniqueur pour l’hebdomadaire Charlie Hebdo et à partir de fin 2014 devient un membre de la tribune « théâtre » du Masque et la Plume sur France Inter.
Le 7 janvier 2015, sa vie bascule…

Bonne écoute
Claude Lambert
janvier 2020

 

HANDMAN, livre 1, DESTIN INDÉSIRÉ

Commentaire sur la BD de
QUENTIN LEFEBVRE

(Extrait : HANDMAN, par Quentin Lefèbvre, tome 1
DESTIN INDÉSIRÉ, édition originale, 2014, édition
numérique, 2018, 55 pages. Éditeur : Quentin
Lefebvre)

Mickael est un lycéen qui mène une vie tranquille. Un jour, par accident, il tombe et plonge ses mains dans un cours d’eau pollué, ce qui lui brûle les empreintes digitales. Il découvre alors, stupéfait, la force contenue dans ses mains a été radicalement modifiée : il peut les passer dans le feu sans se brûler, s’accrocher et même briser les murs sans peine ! Au lycée, le lendemain, il grave la trace de ses mains au sol en tombant dans des escaliers. Des élèves l’ont vu tomber, mais il s’enfuit sans qu’on voit son visage. Le journal du lycée parle de cet événement et surnomme le garçon qui a gravé ses traces de main au sol « Handman ». Personne ne sait que Mickael est Handman.

Dérangé par ses pouvoirs, peu courageux, voulant surtout garder une vie tranquille, le rôle de super-héros ne lui va pas. Il ne veut pas sauver le monde, combattre des méchants ou porter un costume moulant… Mais comment rester soi-même lorsque l’on a une force unique au monde ?

Un super héros réinventé

Extrait

Il est plutôt rare que je fasse irruption dans l’univers de la bande dessinée. Mais, tout récemment, en bouquinant sur Youboox, j’ai découvert une chouette petite série signée Quentin Lefèbvre, un jeune auteur bédéiste français. Tout m’a attiré dans Handman, le dessin, le texte, la qualité des personnages et les petites leçons de vie semées un peu partout dans la série.

Mais ce que j’ai trouvé surtout original c’est que Mickael est un superhéros pas du tout intéressé à combattre les méchants et sauver le monde.  Si le superhéros du genre Marvel a toujours été populaire, rarement aura-t-il été crédible. Or, toute l’histoire de Handman repose sur un paradoxe : Mickael le superhéros est un garçon plutôt pusillanime qui tient à sa petite vie privée, tranquille, peinarde. Mais a-t-il le choix ?

C’est ainsi que Quentin Lefèbvre a imaginé toute une chaîne d’évènements pour faire évoluer son personnage…est-ce pour tendre vers une acceptation de sa condition ? Je vous laisse le découvrir.

J’ai trouvé cette série sympathique et chaleureuse malgré un certain dépouillement graphique qui semble d’ailleurs être voulu. Axé sur la simplicité et certaines valeurs comme l’amitié, le récit suit le quotidien d’un lycéen doté d’un pouvoir extraordinaire suite à un contact de ses mains avec des substances nocives.

Le tome 1 montre un superhéros pour le moment inconnu, réfractaire à sa condition. Le tome 2 est un peu plus conventionnel. Les lecteurs plongeront rapidement dans ce récit qui se rapproche d’un fantasme classique qui caractérise les jeunes qui se font une définition très personnelle de la justice.

Qu’est-ce que je ferais si j’étais l’Araignée, Batman ou Handman? Beau travail de Quentin Lefèbvre qui signe ici un projet d’adolescence, la création d’un nouveau genre de héros. À lire absolument même si vous n’êtes pas amateur de BD.

Suggestion de lecture : LE PETIT MOZART, BD de William Augel

À lire aussi

Je m’appelle Quentin Lefebvre, je suis né près de Paris en 1990. Je suis auteur de bande dessinée/illustrateur. Ma première saga BD a été lancé avec le tome 1 de « Handman » en octobre 2014. Le tome 2 est arrivé en avril 2016, le tome 3 en 2017. Et d’autres suivront…

Je suis amoureux de la bande dessinée depuis mes 13 ans…J’invente et dessine mes propres histoires, c’est ce que j’aime faire dans la vie ! Je suis passionné par la BD ; j’en fais, j’en lis, j’en parle, j’en collectionne… Et j’adore aussi le cinéma, le dessin de presse, les jeux vidéo, la musique… (bedetheque)

Bonne lecture
Claude Lambert
janvier 2020

LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE

Commentaire sur le livre de
JULIEN ARANDA

*Quand on arrivait sous les colonnes éclairées de la
Comédie-Française, maman redevenait soudain une
adulte. –La légende raconte que Molière est mort ici,
chuchotait-elle. Surtout, ne fais pas de bruit.*
(Extrait : LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE,
Julien Aranda, Eyrolles éditeur, 2018, 194 pages en format num.)

Quand on a 10 ans, pas de papa mais une mère amoureuse de Shakespeare et que l’on s’attend à voir débarquer les huissiers d’un jour à l’autre, la vie n’est pas simple. Elle, comédienne de théâtre passionnée, fascine son fils qui découvre le monde et ses paradoxes avec toute la poésie de l’enfance. Avec leur voisine Sabrina et les comédiens Max, Lulu et Rita, ils forment une famille de cœur, aussi prompte à se fâcher qu’à se réconcilier. Mais, un jour, la réalité des choses rattrape la joyeuse équipe. Et le petit garçon est séparé de sa mère. Comment, dès lors, avancer vers ses rêves ? 

Dans l’ombre de William et George
*…j’ai pensé que dans ce monde, il ne faut pas
s’attarder à devenir une trop bonne fourmi,
parce que le jour où les mouches changent
d’âne, on a vite fait de se retrouver dépourvu,
comme une cigale mais avec la joie de
vivre en moins. *
(Extrait)

C’est un petit livre qui m’a réchauffé le cœur. Pas pour l’originalité de son histoire mais plutôt pour la sincérité de la plume et la beauté de l’écriture. Le narrateur est un jeune garçon qui a six ans au début de l’histoire. Dommage, l’auteur n’a pas cru bon lui donné un nom. Je ne comprends pas ce choix. Pour la mère, pas plus original…on l’appellera la maman.

Donc la Maman est une comédienne qui s’est rendue au plus profond de la misère par amour pour le théâtre et en particulier pour les pièces de Shakespeare qu’elle joue avec des comédiens aussi passionnés qu’elle devant…des salles vides.

Le petit garçon a passé une partie de son enfance avec, dans son environnement, des huissiers, policiers, juges, juristes familiaux, un voisin grognon, une voisine originale ayant une mémoire phénoménale des codes-barres et une tante obsédée par la réalité des choses et donc de ce fait, en conflit avec sa sœur, la maman.

Un jour, quelques phrases prononcées par un grand monsieur vont tout faire basculer. Suivront : le décès du metteur en scène et l’arrivée dans la vie du garçon encore tout jeune, d’une belle fille appelée Sarah qui se trouve à être la fille du grand monsieur.

Cette histoire raconte donc le parcours enchanté d’une troupe de théâtre très spéciale…disons hors-norme.  Ce récit m’a beaucoup ému et m’a amené à porter un regard différent sur ceux et celles qui n’entrent pas dans *le moule de la Société* qu’on pourrait appeler ici des marginaux mais alors là sans arrière-pensées aucune.

L’écriture est d’une superbe finesse à la limite de la poésie. Si je me réfère à la réalité des enfants, je dirais que cette histoire a de la profondeur. La faiblesse tient dans le fait que, outre l’utilisation de mots déformés, de phrases détournées et d’une bonne quantité de néologismes comme télédébilité par exemple, l’enfant fait plus vrai que nature, une sagesse sans aucune turbulence et une façon trop mature de mettre en mots ses émotions et ses sentiments.

Je n’ai senti aucune souffrance chez cet enfant pourtant balloté et vivant dans une perpétuelle incertitude. Ça ne me semble pas très réaliste mais il y a une telle sincérité dans le texte qui constitue en fait 200 pages de manifestation d’amour, d’espoir, d’humanité et d’optimisme. Bref, un brassage d’émotions qui ne laisse pas indifférent.

J’ai aussi beaucoup aimé ce livre pour ses nombreuses références à Georges Brassens qui est et restera toujours mon poète et auteur-compositeur préféré.

<…car maman, même si elle était amoureuse de Shakespeare, elle lui faisait parfois des infidélités avec Georges Brassens parce qu’elle trouvait que sa voix et sa guitare s’accordaient parfaitement et que c’était un vrai poète comme il n’en existe plus aujourd’hui et qu’il n’en existerait plus jamais parce que le monde sombrait à cause de toutes ces émissions de télédébilité et tous ces réseaux asociaux…> Extrait

Dans un même monde où tristesse et joies s’entrelacent, l’auteur a fait cohabiter Shakespeare et Brassens avec bonheur et habileté, comme si cela allait de soi. Ça, j’ai adoré. Et si j’ai parlé plus haut de personnes marginales, j’ai trouvé très à propos la citation de LA MAUVAISE RÉPUTATION de Brassens au début de l’ouvrage de Julien Maranda :

*Je ne fais pourtant de tort à personne
En suivant mon chemin de petit bonhomme,
Mais, non, les braves gens n’aiment pas que,
L’on suive une autre route qu’eux*
(LA MAUVAISE RÉPUTATION, Georges Brassens)

Sans révolutionner la littérature, ce livre de Julien Aranda fait du bien…un petit vent de fraîcheur comme je les aime parfois. Les leçons de la vie vues à travers les yeux d’un enfant et la poésie de Brassens. Ça ne pouvait m’atteindre davantage. À lire absolument.

Suggestion de lecture : L’INFLUENCE D’UN LIVRE, de Philippe Aubert de Gaspé fils

Julien Aranda nous livre un premier roman en 2014 : « Le sourire du clair de lune » (City Éditions) qui a le parfum nostalgique des histoires que lui racontait son grand-père.

Encouragé par ses lecteurs, conforté dans sa vocation, il publie en 2016 « La simplicité des nuages » (City Éditions), roman plus contemporain décrivant les turpitudes d’un cadre parisien en quête de sens. En 2018, il publie son troisième roman « Le jour où Maman m’a présenté Shakespeare »(Éditions Eyrolles) qui raconte la trajectoire enchantée d’une comédienne de théâtre éprise d’absolu et de son petit garçon qui n’a d’yeux que pour elle.

William Shakespeare (1564-1616) <photo du haut> un des auteurs les plus évoqués dans l’histoire de la littérature et du cinéma et le poète Georges Brassens, deux immortels en convergences dans la vie d’un jeune garçon.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 23 octobre 2022

 

IL PLEUVAIT DES OISEAUX, Jocelyne Saucier

*…où il sera question de grands disparus, de pacte
de mort qui donne son sel à la vie, du puissant
appel de la forêt et de l’amour qui donne aussi
son prix à la vie…*
(Extrait : IL PLEUVAIT DES
OISEAUX, Jocelyne Saucier, à l’origine, XYZ éditeur,
179 pages, 2011. version audio : Audible studios
éditeur, 2018. Durée d’écoute : 4 heures 57 minutes,
narrateurs : Jacques Clermont et Dominique Petin.)

Une photographe du Herald Tribune part réaliser un reportage sur la région du Témiscamingue, dont les forêts ont été ravagées par de gigantesques incendies au début du XXe siècle. Elle y trouve une communauté de marginaux fantasques et solitaires, dont Tom et Charlie, deux vieillards qui ont survécu à l’incendie et vivent en ermites au fond des bois. D’abord méfiants puis déterminés à aider la photographe dans son enquête, les deux hommes voient leur quotidien chamboulé.

Et, soudain, lorsqu’arrive Marie-Desneiges, octogénaire énigmatique tout juste échappée de sa maison de retraite, la vie, puis contre toute attente l’amour, reprend peu à peu ses droits.

Poétique et vert
*Dans son visage tout ridé, il y avait la peur
et la fascination de la peur. D’un mince doigt
gracile, elle a désigné le monstre empaillé de
fureur blonde. Elle n’avait aucune idée de ce
que c’était…  *
(Extrait)

C’est un roman d’une belle profondeur, bien bâti et fortement imprégné de douceur, de chaleur et d’émotion et avec, comme toile de fond les incendies de forêts les plus meurtriers de l’histoire du Canada au début du XXe siècle, incendies qui ont détruit de gigantesques espaces dans le nord de l’Ontario jusqu’à Cochrane et Matheson, touchant durement une partie de l’Abitibi-Témiscamingue.

Une photographe du Herald est chargée de se rendre à Matheson pour recueillir les témoignages d’hommes et de femmes qui sont devenus aujourd’hui des vieillards. Elle veut particulièrement recueillir les propos de trois vieillards, Tom et Charlie mais le troisième, Boychuck n’est plus là,  Il est mort. Pourtant, ce sera le personnage qui induira le plus d’empathie dans le récit de Jocelyne Saucier…

Boychuk, 14 ans au moment des grands feux et qui, agressé par les flammes et la fumée, aveugle, marche et cherche son amoureuse avec l’énergie du désespoir. Il faut voir et entendre comment la photographe bouleversera la vie des vieillards. Et voilà qu’arrive le personnage le plus énigmatique et le plus original de l’histoire.

Marie-Desneiges a 82 ans. Libérée après 66 ans à l’asile et elle se souvient…elle se souvient qu’il pleuvait des oiseaux. En tant qu’auditeur, une brise chaude est venue m’envelopper. C’est le caractère humain du récit qui est surtout venu me chercher.

C’est ainsi que le récit, assis sur un inimaginable drame humain et environnemental devient une chronique des souvenirs de vieillards, des hommes qui ont choisi la forêt pour y vivre et mourir au moment qu’eux-mêmes auront choisi.

Le récit développe les difficultés et les misères de la vieillesse vivant à l’écart de la Société bien sûr, mais aussi l’amour, continuellement mis en attente et qui est pourtant ardent, spécialement dans le coeur de Boychuck que j’ai trouvé particulièrement attachant. J’irai plus loin en disant que l’auteur jette un regard critique sur notre Société et ses vieux et ses vieilles qui donnent parfois l’impression d’être dans une voix de garage.

À cet effet, j’ai beaucoup apprécié la plume de l’auteur, exempte de jugements, de propos moralisateurs et de philosophie bon marché. Il pleuvait des oiseaux est un hommage à la vie et à la liberté. C’est aussi une réflexion sur les choix qu’imposent une fin de vie. ll y a beaucoup d’émotion dans l’histoire.

Quand j’ai entendu qu’il pleuvait des oiseaux, j’ai eu un long frisson tout le long du dos et jusqu’au coeur. L’auteur m’a figé et elle m’a emmené où elle voulait. À l’audition, vous ne tarderez pas à saisir le sens du titre. Et là, l’addiction vous guette.

C’est une belle histoire, émouvante et sensible. J’y note très peu de faiblesse à part peut-être la question du choix de la mort, le choix du moment, le choix de la façon, le poison en particulier. La fin de vie est abordée avec une légèreté un peu irritante.

Finalement, une introduction un peu longue, teintée d’indécision et une finale qui m’a semblé un peu expédiée. Entre les deux, un récit addictif avec un un fil conducteur solide que symbolise le courageux Boychuck. La beauté de l’écriture est à la limite de la poésie.

<Tout est là, ce pétillement de lumière rose dans les yeux d’une petite vieille qui s’amuse avec son âge et cette image d’une pluie d’oiseaux sous un ciel noir…séduite et intriguée par toutes ces vieilles personnes qui avaient la tête peuplée des mêmes images, la photographe… en était venue à les aimer plus qu’elle n’aurait cru. >  Extrait…

L’écoute n’est pas trop longue et j’ai trouvé la narration de Jacques Clermont et Dominique Petin très agréable même si je me suis questionné sur la nécessité de mettre deux voix là-dessus. Enfin, je crois que je vais me rappeler longtemps de ce livre. J’ai vu le film aussi, je ne ferai pas de commentaire sur l’adaptation à part que je préfère de loin le livre audio.

Suggestion de lecture : LES MONDES CACHÉS, bande dessinée de Denis-Pierre Filippi et Silvio Camboni

IL PLEUVAIT DES OISEAUX au cinéma

IL PLEUVAIT DES OISEAUX a été adapté à l’écran en 2019. Scénarisé et réalisé par Louise Archambault, Le film réunit à l’écran Andrée Lachapelle, Gilbert Sicotte Rémy Girard, Ève Landry, Éric Robidoux et Louise Portal. Prod. : Ginette Petit

Jocelyne Saucier est romancière. Ses trois premiers romans, La vie comme une image (finaliste, Prix du Gouverneur général), Les héritiers de la mine (finaliste, prix France-Québec) et Jeanne sur les routes (finaliste, Prix du Gouverneur général et prix Ringuet) ont été chaleureusement accueillis par la critique.

Il pleuvait des oiseaux, son ode à la liberté parue en 2011, lui a valu de nombreux prix et a conquis le cœur d’un très vaste public en une quinzaine de langues, en plus d’avoir fait l’objet d’une adaptation au cinéma par Louise Archambault.

 

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 1er octobre 2022

LE PLONGEUR, le livre de Stéphane Larue

*-T’es qui toé ? On te connait pas la face. Il regarde
Bébert, avec un sourire débile. Il pue le cendrier. –
Tu t’es amené un petit bodyguard. Bébert lève la
main, la paume tournée vers le gars, un peu comme
Magnéto qui arrête une rafale de mitraillette. Je ne
L’ai jamais vu tendu et silencieux comme ça.*

(Extrait : LE PLONGEUR, Stéphane Larue, Le Quartanier
éditeur, 2016. Édition de papier, petit format, 567 pages)

Nous sommes à Montréal au début de l’hiver 2002. Le narrateur est étudiant en graphisme, il dessine depuis toujours et veut devenir bédéiste et illustrateur. Mais depuis des mois, il évite ses amis, ment, s’endette, aspiré dans un tourbillon qui menace d’engouffrer sa vie entière : c’est un joueur. Il joue aux loteries vidéo et tout son argent y passe. Il se retrouve à bout de ressources, isolé, sans appartement.

C’est à ce moment qu’il devient plongeur au restaurant La Trattoria, où il se liera d’amitié avec Bébert, un cuisinier expérimenté, jeune mais déjà usé par l’alcool et le speed. Pendant un mois et demi, ils enchaîneront ensemble les shifts de soir et les doubles, et Bébert tiendra auprès du plongeur le rôle de mentor malgré lui et de flamboyant Virgile de la nuit.

On découvre ainsi le train survolté d’un restaurant à l’approche des fêtes et sa galerie mouvante de personnages : propriétaire, chef, sous-chefs, cuisiniers, serveurs, barmaids et busboys. Tous sont dépeints au plus près des usages du métier, avec une rare justesse. C’est en leur compagnie que le plongeur tente de juguler son obsession pour les machines de vidéopoker, 

Prix des libraires du Québec 2017
> Prix Senghor 2017
> Prix des Rendez-vous du premier roman 2017
> Finaliste au Prix littéraire des collégiens 2018
> Finaliste aux Prix du Gouverneur général 2017

Les mécanismes de l’addiction
<Délaissant de plus en plus mes travaux de cégep, j’avais joué mes loyers d’août, puis de septembre, puis d’octobre, au long d’après-midi lents et engourdis, assis devant une machine de vidéo poker, dans des tavernes quasiment vides ou des bars de danseuses…

Je buvais de la bière qui goûtait le détergent et je brûlais billet de vingt après billet de vingt …à espérer qu’enfin, dans les neuf cases de l’écran, les cloches formeraient une croix et que la banque se viderait dans mes mains. Non seulement je ne gagnais presque rien, mais… j’avais perdu davantage que dans les mois qui avaient précédé. Je n’avais pas encore compris la formule. Plus tu joues, plus tu perds. (Extrait) 


C’est un roman aussi fort que noir, axé sur la tension psychologique ressentie par le joueur pathologique. Cette tension déteint rapidement sur le lecteur et la lectrice. C’est en tout cas ce que moi, j’ai ressenti, en plus d’un profond attachement pour Stéphane, le narrateur de cette histoire, un joueur compulsif dont tout l’argent passe dans les loteries vidéo.

Le seul fil qui relie Stéphane à la réalité du quotidien est son travail de plongeur dans un grand restaurant : La TRATORIA. Il s’y lie d’amitié avec les employés, en particulier Bébert, un excentrique amateur de bière et de pilules. Certaines de ces liaisons ne seront pas sans danger mais peu importe les raisons, les motifs ou la façon, le plongeur joue sa vie.

Le jeu en particulier bouffe tout et amène Stéphane à mentir, à s’isoler, à s’endetter et à malmener dangereusement son estime de soi. L’auteur utilise le cadre de vie de Stéphane et développe un grand thème : l’addiction. Le plongeur croyait sincèrement que la plonge allait lui occuper l’esprit et l’éloigner du jeu…mais le jeu grignote l’esprit…implacablement.

J’ai développé de l’empathie pour le plongeur, désolé de le voir bousiller sa vie à cause du jeu, et essoufflé pour lui dans les nombreux passages consacrés à son travail de plongeur. Je dis que le roman est noir en fait parce que l’auteur nous fait descendre lentement mais sûrement dans la conscience et l’esprit d’un joueur compulsif et c’est sombre à en faire peur :

*Mon jeton a été balayé par le croupier. J’avais l’impression d’être enveloppé dans un acouphène, coupé du reste du monde… Je n’aurais pas pu me lever de la table pour aider ma mère mourante à dix mètres de moi.

Toutes mes facultés ou presque étaient engourdies… J’ai misé en deçà de toute volonté, maintenu en place sur ma chaise par le frisson de milliards d’aiguilles le long de mon épine dorsale…* (Extrait)

Cet extrait révèle de façon précise non seulement l’état d’esprit du joueur pathologique mais toute la beauté de l’écriture de Stéphane Larue.

C’est un récit profondément humain, bien écrit, accrocheur. L’histoire n’est pas sans rappeler LE JOUEUR de Fiodor Dostoïevsky qui décrit brutalement le jeu comme corrupteur moral :

*Le jeu brûle tout. Il est la passion. Il est le rêve.
L’enfer et la démesure. Le révélateur des abîmes de l’âme et l’ignoble concentré de la comédie bourgeoise. Il est l’argent ! *
(Extrait : LE JOUEUR)

Il savait de quoi il parlait le grand Fiodor car il était lui-même joueur invétéré. Je me suis accroché au destin de Stéphane jusqu’à la toute fin, ce qui m’a permis de découvrir une belle leçon d’amitié et les effets de baume d’un sens aigu de la famille.

Le récit pointe du doigt les incontournables addictions sociales créées et entretenues par une société avide de profit. Il n’est pas encore admis par tout le monde que le jeu compulsif est une maladie. Enfin j’ai beaucoup apprécié les passages sur la plonge et je rends hommage aux personnels de cuisine. Il faut être solide.

Le seul petit reproche que je peux faire au livre concerne sa finale que j’ai trouvé sensiblement sous-développée. J’aurais aimé savoir par exemple quel a été le sort de Greg. Est-ce que le logeur du plongeur, Vincent, a fini par être remboursé et récompensé pour son incroyable patience. Et qu’est-il advenu de Marie-Lou?

J’ai trouvé un peu frustrant aussi les passages en anglais. Mais au final, LE PLONGEUR est un livre excellent, un récit qui rend captif le lecteur. Il faudra surveiller la carrière de l’auteur Stéphane Larue. Elle est prometteuse

Suggestion de lecture : ARMADA, d’Ernest Cline

.

Stéphane Larue est né à Longueuil en 1983. Il a publié Le plongeur en 2016, qui a remporté en 2017 le Prix des libraires du Québec et le prix Senghor, en plus d’avoir été finaliste aux Prix du Gouverneur général et au Prix littéraire des collégiens. Il détient une maîtrise en littérature comparée de l’Université de Montréal. Il travaille dans le milieu de la restauration depuis le début des années 2000. Il vit à Montréal.

Bonne lecture
Claude Lambert
janvier 2020

LA CONSTELLATION DU LYNX, Louis Hamelin

*5 octobre 1970, enlèvement du délégué commercial de Grande Bretagne, John Travers par le Front de libération du Québec.
10 octobre, enlèvement du numéro 2 du Gouvernement québécois.
15 octobre, la force mobile de l’Armée canadienne intervient au Québec.
16 octobre, proclamation de la loi sur les mesures de guerre par le gouvernement central du Canada, suspension des libertés civiles…près de 500 citoyens détenus sans mandat.
17 octobre, le corps du numéro 2 est retrouvé dans le coffre d’une voiture… *

(Extrait : LA CONSTYELLATION DU LYNX, Louis Hamelin, à l’origine, papier, Boréal, 2011. Version audio : Audible Studios éditeur, durée d’écoute : 17 heures 5 minutes, narrateur : Maxim Gaudette.)

En 2001: l’écrivain Samuel Nihilo décide de poursuivre les recherches de son professeur sur la crise d’octobre 1970. De Montréal jusqu’au village mexicain de Zopilote, où les chemins de Nihilo et d’un ex-felquiste se croiseront, en passant par l’Abitibi des grands espaces, les recherches de Samuel vont rapidement se concentrer sur le rôle joué en 70 par les services secrets, l’escouade antiterroriste, et toute une panoplie de personnages pas nets, dont le spectre quasi shakespearien du ministre assassiné!

Québec se souvient
d’un certain mois d’octobre
*Ils s’étaient d’abord baptisés les <octobristes> un calque
des <décembristes> russes rencontrés dans Tolstoï. Puis à
force de descendre des rivières et des rivières de bière dans
leurs abreuvoirs de prédilections de la rue Ontario, le mot
<octobiériste> avait fini par s’imposer de lui-même.*
(Extrait)

C’est un premier roman sur la crise d’octobre qui a plongé le Québec dans la noirceur en 1970. Personnellement je le considère essentiellement comme un thriller politique. L’idée de base est intéressante.

Un écrivain décide de poursuivre des recherches sur la crise d’octobre laissée en plan par un ancien prof de l’écrivain, le poète Chevalier Branlequeue. C’est un nom de plume évidemment. Pour moi c’est un choix incompréhensible mais je passe. Chevalier a vu de façon catégorique, la crise d’octobre comme une vaste machination politique.

L’écrivain appelé Samuel enquête afin de savoir s’il doit valider ce jugement ou pas. Son investigation l’amène à croiser des anciens felquistes et apprendra l’existence d’une batterie de personnages qui sont loin d’être des enfants de choeur. Il fera des découvertes parfois surprenantes.

C’est un roman très documenté, un énorme travail de reconstitution historique bien évidemment assorti d’un caractère romanesque qui camoufle toutefois des tendances éditoriales. J’ai senti comme un *parti pris* de l’auteur.

Il faut faire attention dans l’écoute du récit car il est truffé de sauts temporels qui mêlent le passé et le présent. Tous les noms des personnages ont été changés. Le récit est surtout concentré sur Paul Lavoie, le ministre du travail qui comme on le sait finira assassiné et ici l’auteur développe tout un schéma de pensée sur les circonstances de la mort du ministre.

Il passe en revue ses états d’âme pendant sa captivité et le fait que sa mort arrangeait plusieurs hautes pointures du gouvernement. Le diplomate britannique James Cross devenu John Travers dans le récit, n’était pas très net lui non plus mais comme on le sait, il s’en est tiré. Tout le long du récit, l’auteur m’a semblé s’en tenir à la machination, la manipulation et la conspiration politique :

*Nous vivions à une époque où l’idée même de conspiration avait été réduite…à la permanente caricature d’elle-même, discréditant d’avance toute tentative de réflexion un peu soutenue sur le thème des manipulations politiques* (Extrait)

Je sors de cette écoute mitigé mais satisfait du choix de l’auteur d’avoir empreint son récit d’une forme romanesque de préférence à l’essai par exemple. Toutefois, ce n’est pas un récit aisé à suivre à cause de ses multiples flash-backs et imbrications du passé dans le présent dont je n’ai pas vraiment saisi la logique. Cette façon d’écrire dilue l’aspect évènementiel et par la bande, la compréhension de l’histoire.

La grande agitation qui caractérisait la Société est palpable mais je n’ai pu sortir de cette écoute avec une complète compréhension de ce qu’il raconte. La succession des chapitres m’a paru étrange et j’ai noté des redondances et de la répétition. Excellente recherche quant à la psychologie des personnages mais l’histoire est très centrée sur les terroristes.

J’aurais souhaité une meilleure pénétration des coulisses du pouvoir. Je ne peux pas vraiment adhérer à l’opinion de l’auteur et son récit ne m’a pas vraiment permis de m’en faire une. Je crois tout de même que c’est un roman d’une grande valeur. De plus, le narrateur Maxim Gaudette a raconté l’histoire comme s’il ne s’adressait qu’à moi… un enchantement.

C’est d’ailleurs l’énergie narrative de Maxim qui a rendu presque comique à mes oreilles la crudité du langage qui caractérise l’œuvre. Enfin, la Société de l’époque est bien dépeinte  mais pas toujours de façon gentille :

*Dans quelle autre nation du globe vit-on s’édifier des quasi-cathédrales dans des villages dont la population, même en comptant les pas fins et les moitiés de sauvages installés au fond des rangs, n’a jamais excédé 3 000 âmes?* (Extrait) Non seulement le sujet développé est intéressant malgré quelques faiblesses, mais la narration fût une vraie petite fête pour mes oreilles.

Suggestion de lecture :  LA THÉORIE DES DOMINOS, Alex Scarrow

Louis Hamelin est né à Grand-Mère (maintenant Shawinigan) en Mauricie. Dès la fin des années 1980, il se consacre à l’écriture. En 1989, il reçoit le Prix du Gouverneur général pour son premier roman, La Rage. Chroniqueur littéraire au Devoir et à Ici Montréal, ses textes sont publiés en 1999 aux Éditions du Boréal, sous le titre Le Voyage en pot. Louis Hamelin a collaboré à une quinzaine de journaux et de revues et publié près d’une dizaine de livres. Tous s’accordent pour dire que Louis Hamelin occupe une place de choix dans l’univers littéraire québécois. La Constellation du lynx a reçu le prix des libraires du Québec 2011 et le prix littéraire des collégiens 2011.

Pour en savoir plus sur la crise d’octobre 1970, cliquez ici.

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 17 septembre 2022

LE CYCLE DE FONDATION, livre 1 Isaac Asimov

version audio

*Siège du gouvernement impérial depuis des centaines de générations sans interruption…parmi les mondes les plus peuplés et les plus développés industriellement de tout le système, Trentor pouvait difficilement ne pas devenir l’agglomération la plus dense…que l’espèce humaine n’eût jamais connue.*

(Extrait : LE CYCLE DE FONDATION, tome 1, Isaac Asimov,  rééd. Gallimard 2018, 416 pages. Version audio : Audiolib éditeur, durée d’écoute, 11 heures 7 minutes, narrateur : Stéphane Ronchewsky)


En ce début de treizième millénaire, l’Empire n’a jamais été aussi puissant, aussi étendu à travers toute la galaxie. C’est dans sa capitale, Trantor, que l’éminent savant Hari Seldon invente la psychohistoire, une science nouvelle permettant de prédire l’avenir. Grâce à elle, Seldon prévoit l’effondrement de l’Empire d’ici cinq siècles, suivi d’une ère de ténèbres de trente mille ans. Réduire cette période à mille ans est peut-être possible, à condition de mener à terme son projet : la Fondation, chargée de rassembler toutes les connaissances humaines. Une entreprise visionnaire qui rencontre de nombreux et puissants détracteurs… C’est avec ce livre que débute un cycle imposant et prestigieux basé sur la connaissance.

UN ROMAN HISTORIQUE DU FUTUR
*Conformément aux prévisions inéluctables de la psycho-histoire,
le contrôle économique exercé par la fondation ne fit que s’étendre.
Les marchands s’enrichirent et avec la richesse vint la puissance.*
(Extrait)

C’est avec ce livre que débute le Cycle de Fondation, une œuvre monumentale qui a occupé Isaac Asimov une bonne partie de sa vie d’auteur. Tout le récit de ce premier livre repose sur la psychohistoire, une science inventée à Trantor, au cœur de l’empire par un grand savant appelé Harry Seldon.

Le savant utilise sa science pour prévoir l’effondrement de l’empire dans moins de 500 ans suivi de trente mille ans d’anarchie. L’effondrement est inévitable mais on pourrait réduire la période de ténèbres à mille ans à certaines conditions. Les autorités autorisent Seldon à s’installer avec 100,000 collaborateurs sur une planète  aux confins de l’empire.

L’organisation portera le nom de FONDATION. Son but premier est de rassembler la totalité des connaissances de la civilisation dans une gigantesque encyclopédie. Mais au fil du temps, la Fondation, qui aura de nombreux détracteurs, deviendra une autorité morale, un symbole disciplinaire et même une référence religieuse.

Le problème est que l’action visionnaire de la Fondation met en perspective les tendances immuables de l’histoire, influençant ainsi l’action des hommes. Par son action, la Fondation pourrait-elle accélérer le processus d’implosion de la Société de tout un empire ?

Tous les livres d’Asimov portent au questionnement sur le futur de la Société en particulier. Le Cycle de Fondation est une longue réflexion à cet effet. Encore une fois, Asimov, cet icône de la science-fiction ne m’a pas déçu par l’originalité de son sujet enchâssé dans un *roman du futur*.

Sa façon de raconter est tout à fait unique et sa plume est porteuse de messages et d’observations critiques sur la nature humaine et le gâchis qui caractérise la préparation de son futur. J’ai été un peu surpris par le processus de développement adopté par l’auteur.

Ce premier cycle évoque un recueil de nouvelles basés sur l’action de personnages qui viennent et qui s’en vont mais qui laissent leur marque dans l’ensemble du cycle.

Il m’a semblé étonnant qu’Asimov accorde si peu de places aux variantes et aux fluctuations historiques. L’auteur semble vouloir nous dire que ce qui doit arriver arrivera. C’est tout. Voyons comment.

*On pourrait croire que l’Empire est éternel. Et pourtant, monsieur le Procureur, jusqu’au jour où la tempête le fend en deux, un tronc d’arbre pourri de l’intérieur semblera plus solide que jamais. L’ouragan souffle déjà sur l’Empire. Prêtez-lui l’oreille d’un psychohistorien… et vous entendrez craquer les branches de l’arbre. *

Le récit est très axé sur la politique au détriment de l’action. C’est, je dirais, le défaut de sa qualité. Je suis un peu mitigé sur ce choix mais je peux comprendre les raisons d’Asimov de mettre l’accent sur la politique, la diplomatie, la représentation et bien évidemment l’acquisition de connaissances.

C’est un excellent récit, fort bien mis en valeur par la narration de Stéphane Ronchewski, vivante, expressive, enveloppante. Sa conviction vocale m’a donné l’impression qu’il s’est mis lui-même dans la peau d’Asimov. Une parfaite réussite. Enfin, je veux signaler un irritant. Tout au long du récit, occasionnellement, le son baisse et laisse en plan plusieurs phrases de l’encyclopedia galactica.

Je peux comprendre que ce procédé, qui serait l’équivalent de points de suspension dans un texte écrit, empêche de longs palabres qui dilueraient l’intérêt des auditeurs\auditrices. J’ai tout de même trouvé ça énervant d’autant que plusieurs de ces phrases introduisaient des sujets intéressants.

Mais dans l’ensemble, ce livre m’a parlé. Il m’a rejoint ainsi que nos savants contemporains qui crient sur les toits l’urgence de la situation planétaire. Asimov est, sur le plan sociétal ce que Jules Verne fut sur le plan scientifique : précurseur, visionnaire. Ce livre audio m’a enchanté et comme tout est en place pour la suite, je ne manquerai pas d’y revenir.

Suggestion de lecture, du même auteur : LE CLUB DES VEUFS NOIRS

Écrivain américain d’origine russe, Isaac Asimov est né le 2 janvier 1920 à Petrovitchi. Il est mort le 6 avril 1992 à New York. Docteur en biochimie, il a écrit des livres de vulgarisation scientifique et enseigne à l’université, mais c’est surtout ses récits de science-fiction qui feront sa célébrité.

Il écrit ses premières nouvelles pendant ses études puis devint rapidement un grand auteur de science-fiction. En 1958, il décide de se consacrer entièrement à l’écriture et publiera des centaines d’ouvrages scientifiques et de fiction jusqu’à sa mort, en 1992. Parmi ses œuvres les plus célèbres, on peut citer le cycle Fondation (1951, 1953, 1982) et Les Robots (1950).

Le cycle fondation

À ÉCOUTER AUSSI

Bonne écoute
Claude Lambert
Le dimanche 7 août 2022

OMS EN SÉRIE, le livre conquête de Stefan Wul

*Quand une civilisation atteint son point de perfection,
elle devient une gigantesque machine, incapable de
progrès, et dont tous les membres ne sont plus que des
des rouages sans pensée*
(Extrait : Oms EN SÉRIE, Stefan Wul,  publié à l’origine en
1957 chez Fleuve Noir, rééd. Gallimard, 2000. Version
audio : Audible studio éditeur, 2018, durée d’écoute : 4
heures 16. Narrateur : Laurent Jacquet)

Les survivants du grand cataclysme ont été recueillis par les Draags, géants bleus aux yeux rouges, qui les ont emmenés sur leur planète. Asservis, domestiqués ils sont devenus des Oms, véritables animaux de compagnie au service de leurs nouveaux maîtres. Mais peu à peu, menés par le jeune Terr, petit Om d’une intelligence supérieure, ils retrouveront le goût de la liberté et affirmeront leur humanité face aux Draags.

UNE CONQUÊTE HÉROÏQUE

*Dans la ville des Hauts-Plateaux, loin de chanter
victoire, on attendait anxieusement la réponse
des Draags. Les Oms étaient épuisés par une
longue nuit de combats où cependant, la plupart
n’avait rien fait d’autre que de rester couché avec
des aiguilles dans les membres pour donner du
courant à l’émetteur.
(Extrait)

Ce roman de Stefan Wul repose sur une idée originale. De pauvres humains en perdition sauvés in-extremis par des extra-terrestres. Les Draags emmènent les humains sur leur planète. Dès lors, les humains appelés OMS sont considérés par les Draggs comme des animaux de compagnie, peu intelligents, dégénérés et asservis.

L’histoire débute sur un évènement : la naissance d’un bébé Om qui sera appelé Terr, en référence aux qualificatifs *terrible*. Terr grandit en développant une intelligence hors du commun, prend conscience de l’état de son peuple en faisant germer des idées de liberté et pourquoi pas d’exode. Terr transmet à ses pairs le goût de se battre mais en privilégiant le pacifisme. Il donne à son peuple une personnalité et le goût d’affirmer son humanité.

Les Draags vont s’apercevoir rapidement d’un changement majeur dans le comportement de leur *cheptel* Om : *-Je vois où vous voulez en venir…vous craignez que les Oms errants ne reconstituent leur ancienne civilisation avec tous les dangers que cette éventualité créerait pour la nôtre. Cela me parait excessif… -Écoutez bien mon cher Premier. Chacun sait que l’homme est un animal intelligent. Ce qui est grave, c’est qu’il le devient de plus en plus…* (Extrait)

Comme on l’a vu dans LA PLANÈTE DES SINGES, former des phrases équivaut à exprimer sa pensée. Wul décrit avec une remarquable adresse la montée graduelle du danger que représente une race inférieure qui ose s’exprimer et s’opposer à une société menacée par l’inertie.

C’est un roman bien imaginé, plein d’idées originales et de trouvailles et qui n’est pas sans rappeler, à des degrés divers, l’exode des juifs, sous la houlette de Moïse, Spartacus, chef charismatique qui utilisa le nombre grandissant d’esclaves de Romme comme une force militaire et politique. J’ai même reconnu sensiblement Rendell Patrick McMurphy, Héros de *VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU.

J’ai trouvé plus qu’intéressante l’idée de Wul selon laquelle l’homme a besoin de concurrence, de compétition avec une autre civilisation pour éviter la stagnation et se stimuler sur le plan intellectuel et technologique.

Cette idée appelle à la reconnaissance mutuelle entre les Oms et les Draags et évoque une certaine symbiose sociale. Pour certains, ça peut sembler naïf. Pour moi, c’est le triomphe d’une plume débordant d’imagination. Un récit haut de gamme qui a gardé toute son actualité.

Les personnages sont attachants et ça inclut les Draags qui sont aussi pacifiques. Je me suis attaché Terr dès sa naissance. La narration est un peu lente et manque sensiblement de conviction. Mais j’ai plongé tout de même dans l’écoute. L’ensemble est original. L’idée que la différence entre vivre et exister repose sur l’émulation garde ce roman résolument actuel.

C’est un roman bref, mais d’une forte densité et qui pourrait toucher différemment plusieurs générations de lecteur y compris le jeune lectorat, 9-13 ans. Le livre a été mis un peu dans l’ombre à cause du chef d’œuvre d’animation dont il est issu, PLANÈTE SAUVAGE, mais j’en recommande vivement la lecture. Il n’y a pas de temps mort dans ce roman mais la faiblesse narrative me pousse à vous recommander le bon vieux livre de papier…

Parallèlement à son métier de chirurgien-dentiste, Pierre Pairault écrit sous le pseudonyme de Stefan Wul à partir de 1956. Il publiera onze romans entre 1956 et 1959, tous parus dans la célèbre collection « Anticipation » des éditions Fleuve noir. Stefan Wul participa également à la création des dessins de couverture de ses romans. Stefan Wul a toujours déclaré travailler sans plan ni ligne directrice, partant d’une simple idée de départ développée peu à peu au fil de l’écriture. 

Adaptation

OMS EN SÉRIE a été adapté dans un film considéré par plusieurs critiques comme un chef d’œuvre historique de l’animation. LA PLANÈTE SAUVAGE est réalisé par René Laloux, également co-scénariste et sorti en 1973. Laloux et Rolland Topor se sont inspirés librement du roman de Stefan Wul. Dans la distribution vocale, on retrouve entre autres Jennifer Drake, Éric Baugin, Jean Topart. La voix du commentateur est celle de Jean Valmont. Le film a été restauré en 2016. La Planète sauvage obtient le prix spécial du jury au festival de Cannes 1973 .

DU MÊME AUTEUR

Bonne écoute
Bonne lecture

Claude Lambert

LE GAZON…PLUS VERT DE L’AUTRE CÔTÉ…

…de la clôture (version Audio)

Commentaire sur le livre d’
AMÉLIE DUBOIS

*Deux mondes…deux univers. Faisant moi-même partie
intégrante de l’équipe des mâles, je sais pertinemment
que le fossé qui nous sépare des femmes est infini et
formé de parois à la matière ambiguë.  Un gouffre sans
fond où s’entrechoquent des réactions diverses telles des
météorites contraintes à effectuer leur trajectoire dans
une boîte de chaussures…*
(Extrait : LE GAZON…PLUS VERT DE L’AUTRE CÔTÉ DE
LA CLÔTURE, Amélie Dubois, Audible studios éditeur, durée
d’écoute : 8 heures deux minutes. Narrateur : Adrien Lessard.
2018. Papier : Les éditeurs réunis, 2018)

Alexandre Trudeau se questionne. Sa femme semble s’être lassée de lui; ses enfants le considèrent comme un primate d’une autre époque, bon qu’à payer les comptes; sa carrière de journaliste stagne et manque de piquant. Comment en est-il arrivé là? Devenant bien malgré lui le sujet d’une expérimentation nocturne complètement insolite, le quarantenaire sceptique sera projeté dans des réalités alternatives qui auraient toutes pu être les siennes…

À chaque détour, ce voyage au cœur de l’interdit défiera le côté cartésien et les convictions d’Alexandre d’une manière aussi loufoque que percutante. Au terme de cette aventure, trouvera-t-il toujours le gazon plus vert chez les voisines?

Une nuit pour six vies


*Je me trouve maintenant dans une chambre à coucher
aux côtés d’une femme grenouille. –Mon pauvre Alex,
tu rêvais ! Ma vision se clarifie. La grenouille est en fait
une femme humaine portant un masque de beauté. Elle
est assise sur le rebord du lit et elle me dévisage comme
si j’étais exposé au musée de cire. *
(Extrait)

C’est un livre intéressant et rafraîchissant. Bien qu’il ait un petit côté initiatique un tantinet moralisateur, la lecture et l’écoute demeurent légères et divertissantes et je dois l’admettre, j’ai beaucoup ri. Voici donc l’histoire d’Alexandre Trudeau qui insiste à dire que le gazon du voisin est plus vert que le sien et c’est une déclaration qui en sous-entend beaucoup d’autres.

Or, ce jour-là, le 10 juin, Alexandre sera projeté dans une série de rêves, six en tout. Ces rêves dévoilent la vie d’Alexandre selon la femme qu’il a choisie dans chaque rêve. Ces rêves dévoilent également une chronologie précise de ses fantasmes sexuels…des fantasmes dûment décrits et numérotés en ordre croissant.

Le maître du jeu est un indien qui symbolise la sagesse et qui révise avec Alexandre chaque tableau et détermine la leçon qu’on peut en tirer. Chaque vie entraîne des situations cocasses qui m’on fait rire tout au long de l’écoute. Par exemple, dans une vie, il est marié à la gardienne qu’il avait à l’âge de 4 ans et qui en a maintenant 80.

C’est un roman très drôle mais c’est aussi une extraordinaire exercice d’introspection dans lequel beaucoup de lecteurs-lectrices et auditeurs-auditrices pourraient se reconnaître. C’est plus qu’une succession de vie, c’est un cheminement progressif vers une prise de conscience de la vie, de nos valeurs, de nos qualités et de nos relations avec nos proches. De dire que c’est plus beau chez le voisin n’est rien d’autre qu’humain.

Réfléchir en utilisant l’humour comme plateforme, c’est stimulant, amusant et drôlement enrichissant. J’ai trouvé la plume d’Amélie Dubois spontanée, rythmée, subtile et d’autant plus drôle que l’histoire est racontée du point de vue masculin…parfois mufle, souvent tendre et en plus, on a trouvé le narrateur parfait pour mettre en valeur l’esprit de l’auteure et les idées qui sont véhiculées sur le sens de la vie et sur la vie de couple.

Adrien Lessard, avec sa signature vocale d’adolescent a rendu le tout avec un dynamisme exceptionnel d’où découlent sincérité et conviction. Adrien a forcé mon attention, sans doute autostimulé par le sujet, avec un accent tout ce qu’il y a plus québécois et quelque chose de moqueur dans le ton. Rire avec sérieux…essayez ça. Ce livre est une expérience à écouter, à lire et surtout à vivre.

La principale faiblesse du livre : les longueurs. Il y a parfois de longs moments qui rappellent un peu la redondance, le remplissage. Il y a un peu d’errance mais c’est léger. Disons que les rêves sont un peu longs par rapport au dénouement qui est à la vitesse de l’éclair. Il y a donc un léger déséquilibre. Toutefois, on ne peut pas vraiment s’y perdre car le fil conducteur de l’histoire est clair et solide.

Ça ne m’a vraiment pas empêché de goûter cette petite perle d’Amélie Dubois. Alors, pour emprunter un peu au style de l’auteure, si j’ai la conviction que le gazon est plus vert de l’autre côté de la clôture, qu’est-ce que je fais ? J’appelle le gars du gazon ou je laisse aller et je me dis que mon gazon comme il est là, il est beau, il est correct, je l’aime et il est à moi…je l’améliorerai si je le juge bon.

But premier apparent de l’exercice : mettre les valeurs en valeur… Alexandre Trudeau gagne à être connu… : *Comme la plupart des hommes se réfèrent davantage au concret et au rationnel, ils ont parfois de la difficulté à croire à quelque chose de plus grand qu’eux ou à se donner le droit de le faire… comme c’est le cas pour Alexandre…* (Extrait)

Essayez sans crainte LE GAZON : PLUS VERT DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA CLÔTURE…le sens de la vie à travers six vies…mâle façon de voir…

Amélie Dubois est originaire de Danville en Estrie. Elle fait un baccalauréat en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières avant de compléter une maîtrise en criminologie à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Amélie découvre ensuite l’écriture. Un contrat d’enseignement au cégep de la Gaspésie et ses nombreux temps libres vont la pousser à écrire jusqu’à la parution simultanée des deux premiers tomes de sa série Chick Lit en 2011.

Depuis ce temps, Amélie Dubois multiplie les succès de librairie. Tous ses romans étant best-sellers, Amélie vit dorénavant de sa plume. Son style différent, son humour décapant et bien à elle ainsi que ses personnages réalistes, mais colorés sont les clés de son succès. Les œuvres d’Amélie Dubois, marquées de légèreté et savoureuses à souhait, s’avèrent rehaussées par de solides bases en psychologie humaine.

Bonne écoute
Claude Lambert
Le dimanche 17 avril 2022

 

L’œuvre de Dieu, la part du diable, de JOHN IRVING

*Ici, à Saint Cloud’s, nous perdrions notre énergie
(limitée) et notre imagination (aussi limitée) en
considérant comme des problèmes des réalités
sordides de la vie. Ici, à Saint Cloud’s, nous
n’avons qu’un seul problème…*

(Extrait L’ŒUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE,
John Irving, 1986, Éditions du Seuil pour la traduction
française. Collection POINTS, édition de papier, 740 p.)

L’histoire a pour cadre l’orphelinat de Saint Cloud’s, au fin fond du Maine, et relate l’existence de ses pensionnaires pendant plus d’un demi-siècle. À commencer par Wilbur Larch, directeur de Saint Cloud’s, gynécologue excentrique. Aux yeux de nombre de femmes, un saint qui se sent investi d’une double mission : mettre au monde des enfants non désirés, futurs orphelins – <l’œuvre de Dieu» -, interrompre dans l’illégalité des grossesses – l’«œuvre du Diable». Peu à peu, entre le médecin et Homer Wells, un orphelin réfractaire à l’adoption vont se développer des relations et des sentiments qui ressemblent fort à ceux d’un père et d’un fils.

La philo du pour et du contre
*Les femmes n’ont aucun choix. Je sais que tu estimes cela
injuste, mais comment peux-tu-surtout toi avec ton
expérience-, comment peux-tu te sentir libre de refuser
d’aider des êtres humains qui ne sont pas eux-mêmes
libre d’obtenir de l’aide autre que la tienne ?
(Extrait)

C’est une des belles lectures que j’ai faites. Tout au long de cette édition de 740 pages, il a été très difficile pour moi de lâcher prise. Le sujet développé a conservé toute son actualité car il déchire encore la Société de nos jours.

Il s’agit de l’avortement. Au début, on en retrouve quelque part dans le Maine. Le docteur Wilbur Larch, gynécologue excentrique et très porté sur l’éther, dirige l’orphelinat de Saint-Cloud’s. Il met au monde des enfants non désirés qui grandiront à l’orphelinat en attendant d’être adoptés.

Bien qu’ils favorisent la mise en monde des enfants, Larch pratique aussi des avortements, ce qui est illégal à l’époque. C’est une infirmière qui choisit le nom des enfants. Un des enfants issus de Saint-Cloud’s est particulier.

Après quatre tentatives d’adoption, Homer Wells retourne à la case départ. Il grandit à l’orphelinat, finit par s’y sentir bien et y développe une relation Père-fils avec le bon docteur qui rêve de former Homer pour l’assister, et éventuellement le remplacer dans l’accomplissement de l’œuvre de Dieu, mettre au monde les enfants, et la part du diable, interrompre les grossesses.

Malheureusement pour Larch, Homer avait l’intime conviction qu’interrompre une grossesse revenait à interrompre une vie, décision qui revient à Dieu seul. Homer finira par quitter l’orphelinat et aura une intense vie d’adulte. Il connaîtra le travail, le sexe, l’amour. Il aura un fils qui sera adolescent au moment où Homer prendra la plus importante décision de sa vie.

C’est un roman puissant qui développe avec intelligence un sujet extrêmement sensible. Larch et Homer s’aiment comme Père et fils mais ils sont déchirés, tiraillés entre l’œuvre de Dieu et la part du diable. Pour Wilbur, l’avortement devrait être légal et accessible.

Pour Homer, il n’est pas question de jouer à Dieu. Les personnages de ce roman sont forts et très bien travaillés. Ils sont en grande partie la force du récit. Wilbur et Homer sont bien sûr mes préférés..

Mélony est aussi intéressante. Bien que cette fille ait la carrure d’un joueur de football et la délicatesse d’un char d’assaut, elle a quelque chose de spécial, un magnétisme, un incontournable pouvoir d’attraction. Elle aura une influence déterminante sur le destin d’Homer. Enfin, il y a le fils d’Homer, Ange, peut-être le plus attachant des personnages.

John Irving m’a plongé dans le quotidien de ces personnages et m’a placé à leur côté et j’ai vécu des moments de lecture d’une grande intensité. L’auteur ne prend pas parti dans le débat mais développe avec doigté la philosophie de chaque camp. C’est un roman touchant, qui brasse les émotions et dans lequel l’amour est omniprésent et palpable.

Sur le plan social, Wilbur me rappelle un peu le médecin canadien Henry Morgentaler (1923-2013) mort à 90 ans (le même âge que Wilbur Larch dans l’œuvre d’Irving).

Morgentaler militait pour l’avortement thérapeutique et des options de santé pour les femmes en plus d’être chef de file de plusieurs organisations civile et humanistes, ce qui lui a valu l’Ordre du Canada en 2008. Nuls doutes que son action sociale a influencé la politique canadienne et il a laissé sa marque.

Ce livre est un hymne à l’amour, un hommage aux femmes. Il s’est voulu très proche de ses personnages et il ne juge pas. Pas de longueurs, pas de jugement, pas de moralisation. Juste une histoire prenante qui offre de fort intéressants éléments de réflexion. Pour moi, L’ŒUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE est un chef-d’œuvre.

Suggestion de lecture, du même auteur : LE MONDE SELON GARP

John Irving est né en 1942 et a grandi à Exeter (New Hampshire). Avant de devenir écrivain, il songe à une carrière de lutteur professionnel. Premier roman en 1968: Liberté pour les ours ! suivi d’Un mariage poids moyen et de L’Épopée du buveur d’eau. La parution du Monde selon Garp est un événement. Avec L’Hôtel New Hampshire, L’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable (adapté à l’écran par Lasse Hallström en 2000), Une prière pour Owen, Un enfant de la balle, Une veuve de papier et La Quatrième Main, l’auteur accumule les succès auprès du public et de la critique. John Irving partage son temps entre le Vermont et le Canada.

L’œuvre de Dieu, la part du diable
au cinéma

Le film est sorti le 22 mars 2000. Il a été réalisé par Lasse Hallström. Dans la distribution, on retrouve entre autres, Toby McGuire, Charlize Theron, Delroy Lindo et Michael Caine. Le film a été adulé et récompensé décrochant l’Oscar du meilleur scénario adapté remis à John Irving, et l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle remis à Michael Caine. Le film a aussi été nominé 5 fois aux Oscars dont l’Oscar au meilleur réalisateur et l’oscar du meilleur film.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 11 décembre 2021