LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE

Commentaire sur le livre de
JULIEN ARANDA

*Quand on arrivait sous les colonnes éclairées de la
Comédie-Française, maman redevenait soudain une
adulte. –La légende raconte que Molière est mort ici,
chuchotait-elle. Surtout, ne fais pas de bruit.*
(Extrait : LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE,
Julien Aranda, Eyrolles éditeur, 2018, 194 pages en format num.)

Quand on a 10 ans, pas de papa mais une mère amoureuse de Shakespeare et que l’on s’attend à voir débarquer les huissiers d’un jour à l’autre, la vie n’est pas simple. Elle, comédienne de théâtre passionnée, fascine son fils qui découvre le monde et ses paradoxes avec toute la poésie de l’enfance. Avec leur voisine Sabrina et les comédiens Max, Lulu et Rita, ils forment une famille de cœur, aussi prompte à se fâcher qu’à se réconcilier. Mais, un jour, la réalité des choses rattrape la joyeuse équipe. Et le petit garçon est séparé de sa mère. Comment, dès lors, avancer vers ses rêves ? 

Dans l’ombre de William et George
*…j’ai pensé que dans ce monde, il ne faut pas
s’attarder à devenir une trop bonne fourmi,
parce que le jour où les mouches changent
d’âne, on a vite fait de se retrouver dépourvu,
comme une cigale mais avec la joie de
vivre en moins. *
(Extrait)

C’est un petit livre qui m’a réchauffé le cœur. Pas pour l’originalité de son histoire mais plutôt pour la sincérité de la plume et la beauté de l’écriture. Le narrateur est un jeune garçon qui a six ans au début de l’histoire. Dommage, l’auteur n’a pas cru bon lui donné un nom. Je ne comprends pas ce choix. Pour la mère, pas plus original…on l’appellera la maman.

Donc la Maman est une comédienne qui s’est rendue au plus profond de la misère par amour pour le théâtre et en particulier pour les pièces de Shakespeare qu’elle joue avec des comédiens aussi passionnés qu’elle devant…des salles vides.

Le petit garçon a passé une partie de son enfance avec, dans son environnement, des huissiers, policiers, juges, juristes familiaux, un voisin grognon, une voisine originale ayant une mémoire phénoménale des codes-barres et une tante obsédée par la réalité des choses et donc de ce fait, en conflit avec sa sœur, la maman.

Un jour, quelques phrases prononcées par un grand monsieur vont tout faire basculer. Suivront : le décès du metteur en scène et l’arrivée dans la vie du garçon encore tout jeune, d’une belle fille appelée Sarah qui se trouve à être la fille du grand monsieur.

Cette histoire raconte donc le parcours enchanté d’une troupe de théâtre très spéciale…disons hors-norme.  Ce récit m’a beaucoup ému et m’a amené à porter un regard différent sur ceux et celles qui n’entrent pas dans *le moule de la Société* qu’on pourrait appeler ici des marginaux mais alors là sans arrière-pensées aucune.

L’écriture est d’une superbe finesse à la limite de la poésie. Si je me réfère à la réalité des enfants, je dirais que cette histoire a de la profondeur. La faiblesse tient dans le fait que, outre l’utilisation de mots déformés, de phrases détournées et d’une bonne quantité de néologismes comme télédébilité par exemple, l’enfant fait plus vrai que nature, une sagesse sans aucune turbulence et une façon trop mature de mettre en mots ses émotions et ses sentiments.

Je n’ai senti aucune souffrance chez cet enfant pourtant balloté et vivant dans une perpétuelle incertitude. Ça ne me semble pas très réaliste mais il y a une telle sincérité dans le texte qui constitue en fait 200 pages de manifestation d’amour, d’espoir, d’humanité et d’optimisme. Bref, un brassage d’émotions qui ne laisse pas indifférent.

J’ai aussi beaucoup aimé ce livre pour ses nombreuses références à Georges Brassens qui est et restera toujours mon poète et auteur-compositeur préféré.

<…car maman, même si elle était amoureuse de Shakespeare, elle lui faisait parfois des infidélités avec Georges Brassens parce qu’elle trouvait que sa voix et sa guitare s’accordaient parfaitement et que c’était un vrai poète comme il n’en existe plus aujourd’hui et qu’il n’en existerait plus jamais parce que le monde sombrait à cause de toutes ces émissions de télédébilité et tous ces réseaux asociaux…> Extrait

Dans un même monde où tristesse et joies s’entrelacent, l’auteur a fait cohabiter Shakespeare et Brassens avec bonheur et habileté, comme si cela allait de soi. Ça, j’ai adoré. Et si j’ai parlé plus haut de personnes marginales, j’ai trouvé très à propos la citation de LA MAUVAISE RÉPUTATION de Brassens au début de l’ouvrage de Julien Maranda :

*Je ne fais pourtant de tort à personne
En suivant mon chemin de petit bonhomme,
Mais, non, les braves gens n’aiment pas que,
L’on suive une autre route qu’eux*
(LA MAUVAISE RÉPUTATION, Georges Brassens)

Sans révolutionner la littérature, ce livre de Julien Aranda fait du bien…un petit vent de fraîcheur comme je les aime parfois. Les leçons de la vie vues à travers les yeux d’un enfant et la poésie de Brassens. Ça ne pouvait m’atteindre davantage. À lire absolument.

Suggestion de lecture : L’INFLUENCE D’UN LIVRE, de Philippe Aubert de Gaspé fils

Julien Aranda nous livre un premier roman en 2014 : « Le sourire du clair de lune » (City Éditions) qui a le parfum nostalgique des histoires que lui racontait son grand-père.

Encouragé par ses lecteurs, conforté dans sa vocation, il publie en 2016 « La simplicité des nuages » (City Éditions), roman plus contemporain décrivant les turpitudes d’un cadre parisien en quête de sens. En 2018, il publie son troisième roman « Le jour où Maman m’a présenté Shakespeare »(Éditions Eyrolles) qui raconte la trajectoire enchantée d’une comédienne de théâtre éprise d’absolu et de son petit garçon qui n’a d’yeux que pour elle.

William Shakespeare (1564-1616) <photo du haut> un des auteurs les plus évoqués dans l’histoire de la littérature et du cinéma et le poète Georges Brassens, deux immortels en convergences dans la vie d’un jeune garçon.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 23 octobre 2022

 

CHARLES LE TÉMÉRAIRE, l’intégrale d’YVES BEAUCHEMIN

*Les sectes ambitionnaient de plus en plus de remplacer les organisations paroissiales en pleine débâcle…. Peut-être un emploi l’attendait-il qui lui permettrait de…voyager un peu partout au Québec… Le romancier inaccompli en lui le réclamait avec force* (Extrait : CHARLES LE TÉMÉRAIRE, Yves Beauchemin, Fidès, éd. Or. 2006. Post-édition numérique, 1 320 pages)

Né en 1966, dans un quartier populaire de l’est de Montréal, Charles Thibodeau est de la trempe des véritables héros. On le croyait mort à sa naissance ? Plus vigoureux que jamais, il revient à la vie entre les mains de l’ambulancier qui l’accueille dans ce monde. Sa mère meurt alors qu’il a quatre ans. Son père est un ivrogne calamiteux.

Vif, intelligent, débrouillard, le gamin se dote d’une vraie famille grâce à quelques alliés précieux : le quincaillier Fafard, une maîtresse d’école compatissante, l’épagneul Bof, créature du bitume, tout comme son maître… Autour de ce téméraire de charme gravite ainsi tout un monde de personnages attachants, qui font un heureux contrepoids aux figures maléfiques que l’existence jettera sur sa route.

Roman d’apprentissage, Charles le téméraire est une fresque ambitieuse. De la garderie à l’école, du camp de vacances à la salle de billard, Charles grandit, et avec lui le Québec effervescent de la seconde moitié du XXe siècle.

Au cours de cette passionnante chevauchée, le lecteur aura vu la crise d’Octobre 70 à travers les yeux d’un enfant, il aura découvert Balzac avec la sensibilité à fleur de peau d’un adolescent qi entre dans l’âge adulte en s’écriant : À nous deux, Montréal !

Une peinture sociale
*Le plus cruel d’entre tous (soucis), celui qui lui
faisait passer des nuits blanches pendant
lesquelles il avait l’impression de dormir sur
un lit d’aiguilles et qui l’empêchait même
parfois de satisfaire les désirs légitimes de son
épouse, était la question du référendum*

(Extrait, tome 3)

Pour apprécier le récit de Beauchemin, il convient de bien cerner le personnage principal, Charles Thibodeau, car c’est toute l’histoire qui repose sur ses attributs physiques, sociaux et politiques. Je dis physique parce que Charles est un beau garçon et il fera un bel homme. C’est un détail important car il fera autant son bonheur que son malheur. Charles est issu d’une famille dysfonctionnelle, père alcoolique et violent.

Tout jeune enfant, sa mère meurt suivie de sa petite sœur Madeleine. Après des sévices psychologiques et physiques, Charles sera recueilli par la quincailler Fernand Fafard et sa femme Lucie. Cette enfance pénible amènera Charles à devenir un peu excessif, impulsif, peu patient. Rien d’excessif.

À l’opposé, il est très intelligent, volontaire, doué pour le français, le journalisme et pour gagner la confiance des chiens même les plus féroces, un détail qui a toute son importance. Sur le plan politique, Charles ne sera pas actif en tant que tel mais il développera une sympathie pour l’indépendance du Québec.

J’ai lu la trilogie éditée en un seul volume numérique. Je peux vous assurer que je ne me suis jamais ennuyé. J’ai souffert avec Charles, j’ai partagé ses joies, ses peines. Parfois, j’avais envie de le féliciter de l’encourager, d’autres fois, je lui aurais botté les fesses. Sa démarche amoureuse est compliquée mas l’auteur évite habilement la mièvrerie.

À travers le quotidien de Charles, c’est tout une fresque sociale que peint Yves Beauchemin. En effet, Charles sera au cœur d’effervescences historiques qui ont secoué le Québec. La crise d’octobre 1970, les référendums de 1980 et 1985, la crise du verglas de 1998, la fusillade au parlement de Québec, 1984.

À travers tous ces évènements, Charles a développé un don pour la littérature, l’écriture, les relations publiques et il aura été entouré d’une magnifique brochette de personnages aussi attachants les uns que les autres :

*…et puis Lucie et Fernand, Rosalie et Roberto, Bof, mademoiselle Laramée, Simon l’ours blanc, le frère Albert, Blonblon, Henri, Céline… Cela fait beaucoup de monde, comme une petite troupe qui l’a épaulé dans son combat contre des ennemis quelques fois redoutables. * (Extrait) 

Comme cela m’est arrivé dans la lecture d’un autre chef-d’œuvre d’Yves Beauchemin, LE MATOU, CHARLES LE TÉMÉRAIRE m’a fait ressentir beaucoup d’émotions comme par exemple toutes les pages consacrées à la crise du verglas décrite avec une intensité dramatique. Je pense aux élans de solidarité et d’entraide qui caractérisent les québécois.

Les aventures sentimentales de Charles, les premières en particulier, ont été traitées avec beaucoup de doigté. Le rythme de la plume permet d’approfondir chaque personnage mais il n’y a pas de longueurs.

Le langage est coloré à la québécoise mais sans excès. CHARLES LE TÉMÉRAIRE est une l’œuvre extraordinaire d’un conteur de talent. L’écriture est simple et touchante et laisse une bonne place aux rebondissements. La lecture de ce livre a été pour moi un pur délice.

Suggestion de lecture : RUE PRINCIPALE, de Rosette Laberge

Né à Rouyn-Noranda, Yves Beauchemin est un écrivain phare de la littérature québécoise. Auteur des célèbres romans Le Matou, Juliette Pomerleau, et La Serveuse du Café Cherrier, il est membre de l’Académie des lettres du Québec. En 2011, il s’est vu décerné le prix Ludger-Duvernay, qui souligne la contribution exceptionnelle d’un écrivain au rayonnement du Québec. Dans Les Empocheurs, il s’amuse avec  verve et humour  à railler la gourmandise pour l’argent et le pouvoir de certains de nos contemporains. Plusieurs de ses livres ont remporté des prix dont LE MATOU, prix du roman de Cannes 1982.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 1er août 2021

DÉFENSE D’ENTRER ! 8 votez lolo, de CAROLINE HÉROUX

Même quand je serai grande et que j’aurai le droit
d’utiliser le vrai mot, je vais continuer d’appeler ça
un zizi juste parce que c’est plus beau. Dis donc,

toute une conversation familiale ce soir!?!

(EXTRAIT : DÉFENSE D’ENTRER ! 8 VOTEZ LOLO,
CAROLINE HÉROUX AVEC LA COLLABORATION DE
CHARLES-OLIVIER LAROUCHE, LES ÉDITIONS DE LA
BAGNOLE, 2017, ÉDITION DE PAPIER, 200 PAGES)


En ce début d’année scolaire, des élections pour désigner le président de secondaire 2 vont avoir lieu. Lolo accepte de se présenter mais une candidature inattendue va l’obliger à livrer une campagne sans merci. Entre temps, grande nouvelle à la maison. Il semblerait que Tutu soit un surdoué et qui en plus, met le nez dans les affaires de son frère. Entre les amis, la famille et la campagne électorale, Lolo n’aura pas de répit cet automne…

 

TENTANT!
comme tout ce qui est défendu
*Aaaargh qu’elle est fatigante!!! Elle ne pense
qu’aux drames! (pourtant elle nous demande
toujours de voir le bon côté des choses)
Impossible d’être un enfant normal dans
cette famille.
(Extrait : DÉFENSE D’ENTRER! 8 VOTEZ LOLO)

C’est un livre léger, rafraîchissant et drôle qui nous amène au cœur de l’adolescence. Dans ce huitième opus de la série, Charles-Olivier, appelé affectueusement Lolo, est littéralement poussé vers sa candidature à la présidence de son secondaire.

Nous avons donc ici une chronique quotidienne, entre autres, de la vie d’un ado en campagne électorale dans son école, de ses interactions avec sa famille, et d’une petite confusion de sentiments envers une jolie fille qui ne laisse pas Lolo indifférent : Justine, qui aura toutefois le malheur de se présenter à la présidence contre Lolo. Disons que pour un certain temps, les sentiments passent à la moulinette. 

Ce qui est frappant, à la lecture de ce livre, c’est le ton juste, précis : manière ado, parler ado, attitude ado…ado gossant, flippant, difficile à lever, difficile à coucher et possédant l’art de la réplique : *Je rêvais. Je cauchemardais, plutôt. Ça ne peut pas être un rêve. Un rêve, c’est beau, c’est drôle, c’est joyeux. Maintenant, dès que Justine s’y trouve, ça ne peut être autre chose qu’un cauchemar…Elle me fait pisser dans mes culottes dans mes rêves cauchemars…* (Extrait) 

Caroline Héroux s’est assuré une belle collaboration de son fils, Charles-Olivier qui avait 13 ans au moment de la publication. Dans DÉFENSE D’ENTRER 8 le vrai nom de Lolo est Charles-Olivier. Un peu plus et le livre était éponyme. Quoiqu’il en soit, il ne pouvait y avoir meilleur porte-parole des comportements, répliques et sentiments de l’adolescence. J’ai senti que l’auteure lui a donné beaucoup de place.

À défaut d’un caractère autobiographique avéré, le jeune homme a contribué à donner une âme au livre, à le rendre vivant et à entraîner le lecteur dans ses péripéties. Demander à un ado de participer à l’écriture d’un livre sur le quotidien des ados…vraiment…c’est le secret de la Caramilk… 

Autre élément fascinant de ce livre : sa mise en page. L’auteure a utilisé toutes sortes de polices, avec des lettres de grosseurs variées, de la couleur, sans compter les dessins d’Anne sol et les nombreuses petites digressions à lire hors ligne.

Cette présentation très originale contribue à garder l’attention du jeune lecteur qui sera aussi probablement entraîné par l’humour qui se dégage du texte. C’est bourré d’humour. De plus, ça pousse les lecteurs adultes à se demander : est-ce que j’étais comme ça à treize ans? 

J’ai trouvé un petit peu trop puérile l’utilisation de noms diminutifs comme LOLO, LULU, TUTU, MÉLI. Je trouve que ça cadre mal ici. Ces termes seraient plus adaptés à l’enfance. Ne cherchez pas non plus de fil conducteur car il mène n’importe-où, Prenez le livre comme une chronique de vie quotidienne.

Vous trouverez des personnages terriblement attachants comme LOLO. Comme moi, vous pourriez apprécier le petit caractère rebelle mais aussi le grand cœur des ados. Je suis adulte et ce livre m’a fait rire et m’a fait vivre des moments savoureux sans compter l’apprentissage de termes typiquement ados… 

Un dernier point très intéressant en faveur du livre, ce sont les petits thèmes qu’il développe en douce et qui donnent un sens à l’adolescence : l’amitié, l’esprit de famille, l’esprit d’équipe, l’humour. Les aventures de ces jeunes ne sont pas sans mettre en perspective l’estime de soi et l’engagement.

Ces thèmes ne sont pas imposés mais plutôt traités comme s’ils allaient de soi. Il n’y a rien de moralisateur, rien qui soit pointé du doigt. DÉFENSE D’ENTRER 8 est une occasion en or d’entrer dans l’antre secret de la préadolescence. 

Bref, ça se lit très vite, la lecture est agréable, c’est convivial, c’est très vivant, c’est drôle, et c’est surtout très réaliste. Parfait pour les 10 ans et plus.

Suggestion de lecture : MOI SIMON, 16 ANS HOMOSAPIENS, de Becky Albertalli

Œuvrant dans le milieu du cinéma, de la télévision et du spectacle depuis plus de vingt ans, Caroline Héroux s’est d’abord fait connaître à Los Angeles où elle a produit plus de 300 concerts sur Sunset Boulevard. Au Québec, elle s’est surtout démarquée en scénarisant et en produisant les films À VOS MARQUES…PARTY ! (I et II) et SUR LE RYTHME.

Elle a aussi produit les dernières saisons et le long métrage de LANCE ET COMPTE. UN COIN DE PARADIS est son premier roman. Pour DÉFENSE D’ENTRER ! 8, son neuvième roman, elle a eu la collaboration de son fils de treize ans (au moment d’écrire cet article), Charles-Olivier Larouche.

UNE SÉRIE À SUCCÈS :

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 31 juillet 2021

LES NAUFRAGÉS DE LA SALLE D’ATTENTE, de TOM NOTI

«Debout les morts, il va falloir nous supporter
encore un moment ! Pas moyen de sortir de ce
cimetière ! Si vous avez de quoi bouffer glissez-
le sous la porte ! Mais pas de viande humaine
s’il-vous-plaît, je suis végétarien !»
*
(Extrait : LES NAUFRAGÉS DE LA SALLE D’ATTENTE,
Tom Noti, Paul&Mike éditions, 2016, édition num.)

François, Hervé, Gabriela. Ils sont trois personnes qui ne se connaissent pas dans la salle d’attente d’un psychologue. Bloqués par une porte électrique en panne, ils attendent… Aucun d’entre eux ne sait quand cela prendra fin. Peu à peu, les prisonniers de la salle d’attente vont commencer à interagir entre eux et puis ils auront tout le temps pour une sérieuse introspection, L’attente, l’angoisse, révèlent de durs passés, courbant la trajectoire d’ existences toutes tracées.

DE LA PSY SANS PSY
*Ça fera 80 euros pour la consultation, madame.
Elle m’a touché à nouveau le bras. -C’est moins
cher que ça une consultation de psychologue !
-Mais je ne suis pas psychologue madame. Je suis
acteur, c’est pour ça que je suis affreusement cher !
Un intermittent du cerveau ! On a ri tous les deux…*
(Extrait : LES NAUFRAGÉS DE LA SALLE D’ATTENTE)

Voici un drame psychologique original qui représente un défi pour l’auteur et pour le lecteur car il s’agit d’un huis-clos avec seulement trois personnages auxquels l’auteur donne la parole à tour de rôle. Le défi du lecteur, tel fut le mien, est de se mettre à la place d’un des personnages pour comprendre cette espèce de chimie qui se développe dans la petite salle d’attente. Voyons d’abord la scène, elle se déroule dans la salle d’attente d’un psychologue.

On y découvre François, qui vient discuter de sa fille avec le psy, Gabriela qui vient seulement pour prendre rendez-vous et enfin, Hervé, un comédien venu passer une audition à l’étage du dessus et qui s’est retrouvé chez le psy à la recherche des toilettes.

Soudain, juste en face du cabinet, un spectaculaire accident fait chuter un pylône électrique. Panne totale. Nos trois personnages sont bloqués dans la salle d’attente par une porte électrique. Aussi, il semble qu’un mystérieux personnage est enfermé dans le bureau du psy…bruit de verre cassé…mystère.

Revenons maintenant au défi du lecteur ou de la lectrice. Vous voilà isolé avec deux autres personnes. Des points communs ? Trois personnes ordinaires, sans histoires…tentative de conversation…Sujets banals d’abord : la météo, qu’est-ce qu’il fait le psy, soudain, la conversation s’enrichit de petites révélations, de confidences.

Le lecteur sentira l’atmosphère s’intensifier graduellement et assistera à de petites explosions du caractère de chacun. Les carapaces cèdent et dévoilent trois personnalités plus fragiles qu’elles en avaient l’air. Les échanges deviennent plus intimistes et forcément, les masques tombent.

Même des petits sentiments se développent. L’auteur a eu, je crois, le génie d’y aller au rythme de la nature humaine sans artifice et sa principale force est d’être allé au bout. Alors ami lecteur, amie lectrice, êtes-vous toujours dans le coup ?

Ce que j’ai particulièrement aimé dans cette histoire c’est que l’auteur ne la limite pas à la salle où sont bloqués François, Gabriela et Hervé. Ça va au-delà…bien après l’ouverture de la porte électrique. Mais là, il faut être attentif car les interactions deviennent plus complexes et puis il y a des sauts dans le temps. Mais en quelques heures, des personnages qui ne se connaissaient ni d’Adam ni d’Ève apprennent à se connaître.

La plume de Noti est d’une remarquable subtilité…<Maintenant, on en était là. Devoir se quitter pour ne plus se revoir. Je ne pouvais pas me sentir liée à des inconnus en l’espace de quelques heures. Pourtant, en les regardant dans cette salle d’attente, assis tous les deux autour de moi, je me disais que je ne m’étais jamais autant trouvée à ma place…> (Extrait)

C’est un roman d’une grande profondeur qui fait tomber les masques et qui vient nous rappeler que les apparences sont trompeuses, que chasser le naturel n’est pas si simple. C’est un roman qui se lit facilement et très vite parce qu’il est très bien ventilé et que les chapitres sont courts.

Aussi, je le rappelle, chaque personnage a la parole à tour de rôle. J’adore cette façon de faire en littérature car l’auteur pousse plus facilement ses personnages à la confidence. Ça crée une intimité, une dynamique entre le lecteur et les personnages et c’est efficace.

Après un huis-clos pareil, je me suis même demandé si un psy aurait été nécessaire tellement l’échange entre les trois pouvait avoir valeur de psychothérapie.

Quant au mystérieux personnage enfermé dans le bureau du psy, ça c’est la principale intrigue de l’histoire. Elle n’est pas très développée. Ça peut être discutable mais on connaît le fin mot de l’histoire à la fin et ça m’a un peu surpris. Une belle histoire, développée avec rigueur et une belle compréhension de la nature humaine et qui démontre qu’on peut être naufragé sans être épave. J’ai fermé le livre à regret.

Tom Noti est Italien. C’est un solitaire, passionné de lecture. LES NAUFRAGÉS DE LA SALLE D’ATTENTE est son troisième roman. Noti a publié auparavant SOULIGNER LES FAUTES en 2012 et ÉPITAPHES en 2015. 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 15 mars 2020

LA PETITE ET LE VIEUX, de MARIE-RENÉE LAVOIE

*-Pis Mathusalem ? Lui j’peux pas ! Pourquoi ?
Parce que c’est triste en chien ! Nan…y u dis toutl’temps ça !
Ben lui c’est vrai ! Pourquoi ?
Parce que t’est fatigante en maudit ! Pourquoi ?
Parce qu’à ton âge on est supposé croire que
l’monde est toute ben beau pis ben fin-*
(Extrait LA PETITE ET LE VIEUX, Audible studios,
2018, édition originale, 2010, rééd. Gallimard 2015
Durée d’écoute : 5h55. Littérature jeunesse)

Hélène se fait appeler Joe parce qu’elle veut vivre en garçon comme lady Oscar, son héroïne de dessins animés préférée qui est la capitaine de la garde rapprochée de Marie-Antoinette. Comme elle, elle aimerait vivre à l’époque de la Révolution française. Mais elle doit se contenter de passer les journaux, puis de travailler comme serveuse dans une salle de bingo. Après tout, au début du roman, elle n’a que huit ans, même si elle prétend en avoir dix.

LADY OSCAR ET L’OURS MAL LÉCHÉ
*- Y est ben de bonne heure pour boire une grosse bière de même !
– Sacrament, qu’est-ce tu veux, j’haïs le café. Ça me donne des
brûlements d’estomac. – Prends du Pepto-Bismol. – Ha ! ha ! ha !
C’é quoi ton nom, p’tite vermine ? – J’ai pas de nom, gros soûlon. *
(Extrait)

C’est le livre le plus drôle qu’il m’ait été donné de lire et d’écouter car j’ai utilisé deux supports. J’ai beaucoup ri et quelques larmes se sont manifestées même. Drôle, émoustillant, rafraîchissant…mais commençons par le commencement. Voici l’histoire d’Hélène 8 ans, qui se fait appeler Jos car au départ, Hélène n’aime pas sa condition de fille, au départ du moins.

Elle préfère vivre en garçon et s’identifie à Lady Oscar, héroïne d’un dessin animé, elle aussi masculinisée. Oscar est la capitaine de la garde de Marie-Antoinette. Eh oui, Jos aurait aimé vivre à l’époque de la révolution pour remettre la justice à sa place à une époque où couve la France de Robespierre.

C’est beau le canal Famille mais Jos doit aussi vivre au présent avec sa famille, papa, maman, Jeanne, Catherine. Elle est camelot et serveuse dans une salle de bingo., le tout dans un quartier de Limoilou, près du Centre Hospitalier Giffard qui, depuis la désinstitutionalisation, a libéré une grande quantité de patients qui demeurent autour et qui, sans ressembler à des extra-terrestres, rendent le quartier plutôt…pittoresque.

Jos vit aussi en bon voisinage avec le vieux Roger, lui aussi issu de Giffard mais comme préposé. Le père Roger est un sympathique gueulard, grincheux, mal embouché, chialeur et désillusionné. Malheureusement, notre deuxième héros, Roger, ne parle que de mourir, de disparaître.

Graduellement Jos et Roger s’apprivoisent et laissent s’installer *pouce par pouce* une connivence qui ne se démentira plus : *«C’est quoi ton nom p’tite vermine? –J’ai pas de nom gros soûlon ! – Ha ! Ha ! Ha ! Une p’tite comique.  J’sens que jvas aimer ça icitte. » (Extrait) C’est un bonheur de les entendre converser, lui avec son langage de charretier et elle avec son langage de petite fille de 8 ans qui déclare en avoir 10.

LE PETITE ET LE VIEUX n’a pas d’intrigue comme telle. C’est la chronique du quotidien d’un quartier de Québec, d’un voisinage, d’un papa qui se contente de tout, d’une maman qui se contente de rien, de deux sœurs, d’un vieux solitaire qui jure en calant des bières tout en étant le puits de connaissances du bon grand-père, toujours disponible pour soulager les bobos avec ses ptits trucs du terroir.

Et il y a bien sûr Hélène, Jos la narratrice, intelligente, attachante, généreuse, une petite fille à son affaire qui cumule deux jobs éreintants pour aider sa famille. Ce livre est un trésor d’humour et d’émotions, de sentiments et de tendresse entremêlés. Un des plus beaux moments de ce livre est celui où le papa de Jos tente de se rapprocher de sa fille en se levant en même temps qu’elle pour l’aider à livrer ses journaux.

Le dialogue est lent mais chargé de sens et vient nous rappeler, avec le secours d’Ernest Hemingway qu’il n’est pas donné à tout le monde de manifester son amour. Mais si on sait lire entre les lignes…si on sait interpréter les gestes, le non-dit, on découvre des trésors fantastiques.

LA PETITE ET LE VIEUX est à l’image de son héroïne. C’est tout le livre qui ouvre son cœur, les dialogues sont pétillants et les personnages tellement attachants qu’on aimerait les avoir près de soi. C’est un authentique et vivant portrait de société avec ses personnages pittoresques et ses dépanneurs :  *Jvas rien slaquer pantoute maudit saint-ciboire,  jsus déménagé icitte pour être plus proche du dépanneur* (Extrait)

Je vous recommande chaleureusement ce livre et même la version audio qui est un enchantement. La jeune Juliette Gosselin nous livre une performance remarquable. J’irais jusqu’à dire que ce petit bijou serait tout indiqué pour une personne qui veut s’adonner à la lecture, qui veut essayer quelque chose qui l’amènerait à continuer.

C’est un livre savoureux. Profondément québécois et pas seulement pour son langage mais pour l’authenticité…profondément humain…un enchantement.

Née en 1974, à Québec, Marie-Renée Lavoie détient une maîtrise en littérature québécoise de l’Université Laval. Lauréate du Grand Prix de la relève littéraire Archambault, en 2011, elle a remporté un vif succès, autant critique que populaire avec son premier roman, LA PETITE ET LE VIEUX, finaliste, en 2011, au Grand Prix du public Archambault, au Prix France-Québec et au Prix des cinq continents de la Francophonie. 

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 21 décembre 2019

BINE, tome 9, une série de DANIEL BROUILLETTE

*-Est-ce que tu penses qu’ils sont en train de faire ce que je pense ? Demande Maxim en retenant un ricanement. – En tout cas, ils sont pas en train de jouer à la pétanque…- Mes parents ont déjà fait la même affaire à Old Orchard. – York ! Pas eux ! – Je sais, c’est dégueulasse.* (Extrait : BINE t9 TOURISTA SOUS LES PALMIERS,
Daniel Brouillette, Éditions Les Malins, 2018. Édition de papier, 400 pages)

C’est envahi par la peur de mourir dans un écrasement d’avion que notre très brave Bine s’envole pour Cuba en compagnie de sa belle Maxim et de son père. Il se donne une semaine pour reconquérir celle qu’il aime, mais qu’il a malheureusement trahie. En vacances, loin de l’école sous un soleil magnifique et un décor enchanteur tout ne peut que bien aller, non ? Dans MARTINE À LA PLAGE, peut-être. Mais dans BINE, pas vraiment…

7 ANS ET 10 ALBUMS PLUS TARD
*L’acte de se dandiner sur de la musique a quelque chose
de bizarre. Surtout qu’en temps normal, ça ne se passe
pas sur une scène devant une foule. D’habitude, les
gens dansent en rond, en petits groupes et rient en
sautillant comme si leurs pantalons subissaient une
infestation de mulots.
(Extrait)

C’est en 2014 que j’ai fait la connaissance de Benoit-Olivier Lord, surnommé affectueusement et…comiquement, BINE dans le premier tome de la série : L’AFFAIRE EST PET SHOP. Il y a des choses qui ne changent pas : Bine a toujours *un exceptionnel sens de la répartie et une magnifique spontanéité dans ses relations avec ses pairs* (Extrait du commentaire de 2014)

J’étais curieux de voir comment Bine avait évolué avec le temps. Dans le tome 9, Bine a 14 ans, la belle Maxim est toujours dans le décor et Bine en est amoureux fou. A-t-il vieilli ce fameux personnage issu de l’imagination de Daniel Brouillette ? Plus qu’issu en fait…Bine serait l’extension de Brouillette. Ce n’est pas moi qui le dit, le caractère autobiographique de la série est avéré. Qu’en est-il de Benoit-Olivier à 14 ans ? Il est toujours Bine, pas d’erreur.

D’abord Brouillette a donné à 9-TOURISTA SOUS LES PALMIERS un caractère très intimiste. Peut-être même un peu trop si on tient compte, par exemple, des nombreux détails livrés sur les mécanismes de la diarrhée.

*un courant chaud interne annonciateur de tempête et un vertige donnant le mal de mer, on jette l’ancre aux toilettes pour se vider, une, deux trois, quatre fois…ce n’est pas une simple indigestion qui afflige Maxim. On est au sommet de la hiérarchie des diarrhées. Une princesse. Nulle autre que lady Diarrhea…* (Extrait)

L’auteur est encore plus direct en limitant par exemple à une phrase le chapitre 19 : *Maxim se chie la vie* (Extrait) Cet aspect du livre, passablement dominant m’a fait plutôt déchanter. Mais au-delà des détails croustillants sur *l’asperge* de Bine *squeezée* dans son speedo léopard et sur la tuyauterie grumeleuse de Maxim, j’ai quand même pu cerner le personnage de Bine, comment il a grandi, comment il a changé.

D’abord, Bine n’est plus un enfant. C’est un ado…tributaire du réveil de ses hormones, obsédé par son *ZWIZ*. Il demeure spontané et attachant, mais personnellement, je l’ai trouvé un peu benêt. Toutefois, après avoir complété la lecture du livre et avec un peu de recul, j’ai compris que notre jeune héro est amoureux fou, qu’il a des choses à se faire pardonner. Ça le rend parfois aussi gauche qu’adorable.

Si je vais bien au-delà de son petit caractère dégoûtant : *Mais l’entendre épandre du purin en quantité suffisante pour remplir un silo est une première. C’est triste à dire et je sais que ce n’est pas de sa faute, mais c’est carrément dégueulasse. * (Extrait)

Ce récit est une histoire d’amour d’adolescent. Et les péripéties du voyage à Cuba ne sont que des diversions…tous les chemins mènent à Rome. Je peux bien maintenant pardonner à l’œuvre de Brouillette ses petits aspects dérangeants.

Pour le reste, l’auteur maintient le cap : des chapitres courts, numérotés et titrés de façon originale et drôle : *une partie de ping-pong avec la fille qui pogne* (Titre du chapitre 13.) Écriture directe et fluide. Comme je le mentionne plus haut, il y a des choses qui ne changent pas…il y a une ou deux constantes dans les 9 tomes de Bine, un fil conducteur tenace mais rassurant :

*la belle Maxim qui fait battre son *ti-cœur* et dans son langage basé sur un vocabulaire pas toujours recherché et pas toujours appétissant mais qui finit toujours par nous faire sourire avec des jeux de mots parfois douteux mais dont plusieurs ne manquent pas d’originalité. * (Extrait du commentaire sur L’AFFAIRE EST PET SHOP)

Bine a maturé mais il est encore très jeune et il lui reste beaucoup d’aventures à vivre. La finale de l’histoire promet une suite intéressante. J’ai dû combattre un peu mon côté réfractaire aux changements mais j’étais heureux de le retrouver. Je n’hésite pas à vous recommander la série…

LES AUTRES BINES…

           

           

      

Daniel Brouillette est né en 1978. Après une vingtaine d’années à blaguer à l’école, il est devenu enseignant au primaire. Le dédain pour la correction d’examens et l’amour de l’écriture l’amènent à abandonner son boulot au salaire ridiculement bas pour joindre l’École nationale de l’humour. Depuis sa sortie en 2006, il a travaillé en tant qu’auteur-scripteur-concepteur pour les émissions « L’union fait la force », « Pyramide », « Le dernier passager », « Les Chefs! », « Duo » et « Taxi payant ».

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 26 octobre2019

Un autre nom pour l’amour de COLLEEN McCULLOUGH

*…La commission d’enquête découvrit de graves
irrégularités dans les comptes et apprécia Luc à
sa juste valeur, celle d’un individu sans scrupules
et toujours prêt à semer la discorde sur son
passage. On s’en débarrassa de la manière la
plus
simple…
*
(Extrait: UN AUTRE NOM POUR L’AMOUR, Colleen
McCullough, Archipoche éditeur, 2015, papier, 500 pages)

Colleen McCullough décrit un véritable cas de conscience, celui d’une infirmière qui a en charge, dans un hôpital de campagne perdu au fond d’une île du pacifique, six soldats traumatisés par la guerre. Entre ces hommes et cette femme qui représente à la fois la mère, la sœur et l’amante que chacun veut posséder pour lui seul, vont naître des sentiments qui vont s’exacerber jusqu’au paroxysme de la jalousie et de la haine et au-delà : la tragédie. Ici, nous avons un roman d’amour bien sûr mais plus encore : une étude en profondeur du cheminement des passions chez des êtres que tout semble opposer et que tout doit finalement séparer. 

ÉMOTION À L’HORIZON
*…Elle n’avait pas honte de savoir qu’il n’avait
rien fait, rien dit pour le demander ni y
consentir. Elle le touchait, elle le caressait
amoureusement pour son seul plaisir, pour
s’offrir un souvenir. *
(Extrait)

Comme vous le savez sans doute, je ne suis pas très friand de littérature sentimentale. Toutefois, j’aime essayer des tendances différentes comme je le fais dans mes petites incursions occasionnelles dans l’Univers des grands Classiques. Alors pourquoi ne pas essayer une histoire d’amour. C’est alors que j’ai pensé à Colleen McCullough.

Je visais d’abord son œuvre majeure *LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR* mais étant peut-être trop contaminé par la série télévisée, j’ai opté pour UN AUTRE NOM POUR L’AMOUR. Je ne l’ai pas regretté.

Le livre raconte l’histoire de Honora Langtry, une infirmière de vocation, née pour ça : philanthrope, altruiste et compétente. Vers la fin d’une guerre, honora exerce sa profession dans un pavillon appelé X. Elle a sous sa responsabilité cinq hommes à qui on prête une certaine déficience mentale ou intellectuelle.

Ils sont surtout là parce que les autorités militaires ne savent pas trop où les mettre. Puis arrive le petit nouveau, Michael Wilson qui, graduellement fait battre le petit cœur d’honora tout en modifiant d’une certaine façon la discipline et surtout la routine du pavillon. Puis, les sentiments d’Honora deviennent contradictoires et j’ai compris qu’elle allait s’enliser dans un amour impossible.

Compte tenu de ce caractère contradictoire et de la nature des personnages du pavillon, mon intérêt a été soutenu jusqu’à la fin. Mise à part Honora, un personnage a retenu mon intérêt en particulier Luc Dagget, homme instable et disparate, imbu, égocentrique et à l’attitude crasse :

*Tu sais Luc, tu es d’une telle bassesse que tu serais forcé de grimper à une échelle si tu voulais gratter le ventre d’un serpent, dit Nugget en faisant la grimace. Tu me donnes envie de dégueuler. * (Extrait)

C’est un exemple. Si les hommes étaient en apparence physiquement bien portants, Ils avaient tous une meurtrissure au cœur et Honora était tout pour eux : une présence, un soulagement, une mère et même une amoureuse. Le reste concerne un petit grain de sable qui s’est glissé dans l’engrenage. Michael Wilson a changé la donne.

J’ai été happé par la dimension dramatique de l’histoire. D’autant que la guerre est finie et que la démobilisation approche. Chacun aura un choix à faire et ce choix sera tragique pour plusieurs. Luc ira jusqu’au suicide, mais est-ce un suicide ? Colleen McCullough a travaillé ses personnages.

Elle les a doté d’une personnalité complexe. La psychologie de ces personnages est un élément-clé du récit. J’ai été aussi étonné par la précision de l’écriture. Pas de longueurs. Pas de mots ou d’éléments superfétatoires. Son langage est très direct et la plume est limpide.

Oui c’est une histoire d’amour. Je serais plus précis en parlant de drame d’amour. L’intensité dramatique suit un crescendo savamment pensé et travaillé, modelé pour retenir l’attention et l’intérêt du lecteur.

Pour nourrir cette dimension dramatique, Colleen McCollough a inséré un peu de tout dans son récit : de la peur, de la folie, de l’introversion, les blessures infligées par la recherche d’un amour impossible. Il y a même quelques épisodes qui laissent suggérer l’homosexualité. Il y a donc un brassage d’émotions parfois de forte densité.

Ne vous attendez pas à un fulgurant *happy ending*. Au contraire, la finale est la conclusion logique d’une chaîne d’évènements induits par l’arrivée de Michaël Wilson. Ça rappelle un peu le chien dans le jeu de quille mais ça va plus loin. C’est un très bon roman, profond, recherché, avec des personnages authentiques dans le sens de profondément humains. Je le recommande sans hésiter.

Après des études en médecine, Colleen McCullough (1938-2015) s’engage  dans un laboratoire de Sydney avant de gagner les États-Unis où elle a séjourné un long moment, exerçant la profession de neurophysiologue à l’Université de Yale. Romancière émérite, elle a obtenu un succès mondial avec LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR, où elle évoque pour l’essentiel, sa famille et sa propre enfance en Australie.

Du même auteur

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 2 août 2019

LES FILLES SONT BÊTES, LES GARÇONS SONT IDIOTS

Commentaire sur le livre de
VINCENT RAVALEC

*J’ai jamais embrassé de filles. Je veux savoir
le pourquoi du comment avant de me lancer.
«T’as jamais embrassé une fille?» Stupéfaction
des deux : «Ah bon? Mais comment ça se fait?»
«Position personnelle, j’ai affirmé. Choix
philosophique. Je veux comprendre avant
d’apprendre.»*

(Extrait : LES FILLES SONT BÊTES, LES GARÇONS SONT
IDIOTS, Vincent Ravalec, 2012, Storylab Éditions, num.)

Arthur n’a jamais embrassé une fille. Mais le sujet l’intéresse et devient une petite  passion. Avec méthode, Arthur décide d’enquêter et se fait passer pour un journaliste du site Trop-pas.com. Violette l’accompagne dans ses recherches et expérimente les subtilités, et mécanismes de l’attraction garçon/fille avec lui…mais deux questions graves se posent ici : si les garçons trouvent que les filles sont bêtes pourquoi ont-ils envie de les embrasser? Et si les filles trouvent que les garçons sont idiots, pourquoi finissent-elles par être attirées par eux. Une grande enquête à couper le souffle faite avec beaucoup de…bonne volonté!!

AVANT TOUT
MAÎTRISER SON SUJET
*Cette fois, j’ai retiré mes lunettes avant de descendre
du bus, j’ai mis un bonnet jusqu’à la brasserie où j’ai
enlevé mon gel tant bien que mal. «Faudrait voir à
pas abuser des toilettes, m’a lancé la patronne en me
reconnaissant. C’est réservé aux consommateurs.
-Presse! J’ai clamé. Vous serez citée dans mon article.»*
(Extrait : LES FILLES SONT BÊTES, LES GARÇONS SONT IDIOTS)

Lors d’une de mes longues recherches sur mes choix de lecture, j’ai été attiré par le titre. LES FILLES SONT BÊTES, LES GARÇONS SONT  IDIOTS. N’est-ce pas ce qu’on pensait du sexe opposé quand on était plus jeune, mais alors là beaucoup plus jeune. Même si le titre est ajusté d’une certaine façon à une forme de culture, il annonce plutôt mal ce qui se passe en réalité dans le livre.

C’est le récit d’Arthur, 12 ans qui commence très très graduellement à subir les changements inhérents à la préadolescence. Arthur aimerait bien embrasser une fille et même *rouler une pelle*. Cette expression que je trouve amusante tire son origine d’abord du terme *patiner* puis de l’expression *peloter* largement utiliser au XIXe siècle.

On utilisait alors l’expression *rouler un pélot* qui est devenue par déformation *rouler une pelle*. Puisque cette forme de baiser était typiquement française aux yeux des américains, les québécois ont adopté l’expression *french kiss* d’où le verbe *frencher*.

Cela dit. Veuillez excuser ma digression. Donc Arthur voulait embrasser une fille mais avant de passer à l’action, il voulait étudier, théoriquement, les tenants et aboutissants d’une relation avec une fille et comprendre hors de tous doutes pourquoi garçons et filles ont envie de s’embrasser à partir de l’adolescence :

* -T’as jamais embrassé une fille ?» -Mais comment ça se fait ?» « Position personnelle. J’ai affirmé. Choix philosophique. Je veux comprendre avant d’apprendre. »* (Extrait) Donc Arthur a enquêté avec un tel sérieux et une telle minutie qu’il a tout compliqué inutilement alors qu’il avait la réponse à côté de lui.

Sa recherche était correcte, mais il en a fait une démarche scientifique qui m’a fait rire plusieurs fois tout le long de ma lecture : *Je lui ai fait part de ma remarque concernant le Prince Charmant. Elle a admis que c’est assez fréquent chez les filles. « Mais toi tu vois çà comment ? C’est un peu comme une maladie, ou alors c’est un truc nécessaire à votre développement ? Croire au Prince Charmant ça vous fait pousser les seins ? Il y a un rapport psycho-hormonal entre votre croissance et l’adhésion au mythe ? * (Extrait)

Ce qu’Arthur cherche finalement, c’est de définir ses sentiments, ses désirs. L’auteur développe cette recherche avec beaucoup de subtilité, sans rien bousculer. Bien que ce développement soit très intéressant, ça ne représente qu’une facette du problème.

Par exemple, il aurait été intéressant que Ravelec introduise d’autres garçons faisant le même type de recherches mais de façon différente et au besoin, tous les mettre en convergence. C’est la faiblesse de l’histoire : une seule approche pour une expérience qui précède finalement l’exploration sexuelle.

En dehors du fait que le personnage d’Arthur jouant le rigoureux scientifique est un peu surexploité, j’ai trouvé l’histoire intéressante et ne manquant pas d’humour. La plupart des personnages sont attachants, le fil conducteur est simple : la difficulté pour les adolescents de se comprendre entre gars et filles. Mais attention, ne vous fiez pas au titre, il est trompeur. Avant d’acheter ce livre, explorez-le un peu. Pour éviter toutes déceptions.

Vincent Ravalec est un écrivain, scénariste, réalisateur et producteur français né le premier avril 1962. Dès la parution de son premier roman, Un pur moment de Rock’n Roll, il connaît un succès grandissant, confirmé lors de la sortie de Cantique de la racaille, qui devient un best seller.

Parallèlement, il commence à réaliser ses propres courts métrages et long métrages, fonde un studio de production (Les films du garage), et écrit aussi des chansons, notamment pour Johnny Hallyday. La foire aux nains est son premier album jeunesse. (source : ricochet-jeunes.org)

QUELQUES AUTRES TITRES DE VINCENT RAVALEC POUR LA JEUNESSE

                 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 5 mai 2019

BINE L’AFFAIRE EST KETCHUP, Daniel Brouillette

*Pour dire franchement, j’apprécie autant
mon enseignante que les crevettes, les
piqûres de maringouin, le chocolat à la
menthe, les visites chez le dentiste, les
prises de sang, le coloriage, les fesses qui
piquent et les bananes brunes. Comme
elle me crie sans cesse par la tête, je vais
faire à la mienne.*
(extrait de BINE 1. L’AFFAIRE EST PET SHOP,
Daniel Brouillette, éditions Les Malins,
littérature jeunesse 220 pages)

L’AFFAIRE EST PET SHOP est le premier tome d’une série consacrée à notre jeune héros, grouillant, énergique et attachant, Benoit-Olivier Lord, un garçon de 13 ans surnommé BINE pour une raison assez originale que vous découvrirez très vite dans ce premier volume. Nous sommes à la veille des Fêtes, et pour aller au bout de ses rêves dans cette période mouvementée, Bine poursuit deux objectifs : convaincre ses parents de lui offrir un chien pour Noël et gagner le cœur de la belle Maxim (Pas d’erreur c’est bien une fille), 11 ans. Il n’aura peut-être pas tout à fait ce qu’il veut, mais les Fêtes pourraient bien prendre une tournure heureuse.

Un chausson au poisson avec ça?

C’est un excellent petit volume pour les pré-ados qui apprécient en général ce qui leur ressemble et bien sûr le sens de l’humour qui caractérise ce livre.. Je n’exagère pas en disant que chaque chapitre de ce volume m’a apporté une bonne dose de rire.

J’ai beaucoup apprécié ce livre en particulier à cause des qualités que l’auteur Daniel Brouillette a attribué au jeune Benoit-Olivier : un exceptionnel sens de la répartie et une magnifique spontanéité dans ses relations avec ses pairs et même avec la belle Maxim qui fait battre son *ti-cœur* et dans son langage basé sur un vocabulaire pas toujours recherché et pas toujours appétissant mais qui finit toujours par nous faire sourire. Disons que ses jeux de mots sont parfois douteux mais plusieurs ne manquent pas d’originalité.

Brouillette a créé un jeune personnage tannant mais attachant et surtout spontané avec un franc-parler qui a de quoi étonner (la citation au début de l’article n’est qu’un petit exemple).  Le quatrième de couverture décrit BINE comme le plus vieux, le plus grand et le plus niaiseux de son école. D’après ma lecture, le terme niaiseux est inadéquat. Benoit-Olivier est un garçon imaginatif et débrouillard qui est de son temps et de son âge.

Autre détail signifiant, l’auteur ne s’est pas contenté de numéroter ses chapitres, il les a titrés pour attraper l’œil avec des libellés drôles et originaux*un chausson au poisson avec ça?…De la chicane dans ma cabane et des cochons dans mon salon…La dictée chienne…* pour ne donner que quelques exemples.

Le chapitre De la chicane dans ma cabane et des cochons dans mon salon est particulièrement comique car Benoit-Olivier y décrit le comportement de sa famille lors du réveillon : *…Noël, fête de la famille? Pas chez nous. Ici c’est de la chicane qu’on enveloppe et qu’on range sous le sapin et on passe la soirée à la développer…*

BINE a toutes les apparences d’un roman écrit pour les garçons, mais je suis sûr que les jeunes filles y trouveront leur compte et même les adultes car le volume semble porteur d’une petite réflexion sur la façon dont les jeunes voient leurs parents et les adultes en général.

Je pense que la série est prometteuse.

En tout cas ce premier tome ne m’a pas déçu.

À lire aussi :

Écrite dans la même veine, BIENVENUE DANS LA CHNOUTE est la deuxième incursion dans le monde mouvementé  de Benoit-Olivier, surnommé BINE. On a vu dans le tome 1, que le relations familiales chez BINE étaient…disons un peu compliquées. Cette fois, après des mois de conflits, les parents de Bine ont décidé de divorcer. Ils l’envoient vivre bien malgré lui chez ses grands-parents. Pour mettre un peu de joie dans sa vie, il concocte un plan génial avec Maxim afin de passer une nuit à l’école et faire disparaître le satané recueil de dictées de Mme Béliveau. Pour y arriver, ils doivent inclure dans l’équation la personne qui a le plus chances de faire foirer le plan…

Daniel Brouillette est né en 1978. Après ses études, il est devenu enseignant au primaire. Son attachement pour la création et l’écriture l’amène à abandonner son boulot pour joindre l’École nationale de l’humour. Depuis sa sortie en 2006, il a travaillé en tant qu’auteur-scripteur-concepteur pour les émissions « L’union fait la force » et  « Duo » entre autres.   Bine : l’affaire est pet shop » est le premier tome des aventures du jeune Benoit-Olivier, suivi de *bienvenue dans la chnoute* et d’autres suivront sans aucun doute…

Pour explorer la série BINE de Daniel Brouillette, cliquez ici.

Suggestion de lecture : BINE TOME 9, TOURISTA SOUS LES PALMIERS de Daniel Brouillette

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
NOVEMBRE 2014