IL PLEUVAIT DES OISEAUX, Jocelyne Saucier

*…où il sera question de grands disparus, de pacte
de mort qui donne son sel à la vie, du puissant
appel de la forêt et de l’amour qui donne aussi
son prix à la vie…*
(Extrait : IL PLEUVAIT DES
OISEAUX, Jocelyne Saucier, à l’origine, XYZ éditeur,
179 pages, 2011. version audio : Audible studios
éditeur, 2018. Durée d’écoute : 4 heures 57 minutes,
narrateurs : Jacques Clermont et Dominique Petin.)

Une photographe du Herald Tribune part réaliser un reportage sur la région du Témiscamingue, dont les forêts ont été ravagées par de gigantesques incendies au début du XXe siècle. Elle y trouve une communauté de marginaux fantasques et solitaires, dont Tom et Charlie, deux vieillards qui ont survécu à l’incendie et vivent en ermites au fond des bois. D’abord méfiants puis déterminés à aider la photographe dans son enquête, les deux hommes voient leur quotidien chamboulé.

Et, soudain, lorsqu’arrive Marie-Desneiges, octogénaire énigmatique tout juste échappée de sa maison de retraite, la vie, puis contre toute attente l’amour, reprend peu à peu ses droits.

Poétique et vert
*Dans son visage tout ridé, il y avait la peur
et la fascination de la peur. D’un mince doigt
gracile, elle a désigné le monstre empaillé de
fureur blonde. Elle n’avait aucune idée de ce
que c’était…  *
(Extrait)

C’est un roman d’une belle profondeur, bien bâti et fortement imprégné de douceur, de chaleur et d’émotion et avec, comme toile de fond les incendies de forêts les plus meurtriers de l’histoire du Canada au début du XXe siècle, incendies qui ont détruit de gigantesques espaces dans le nord de l’Ontario jusqu’à Cochrane et Matheson, touchant durement une partie de l’Abitibi-Témiscamingue.

Une photographe du Herald est chargée de se rendre à Matheson pour recueillir les témoignages d’hommes et de femmes qui sont devenus aujourd’hui des vieillards. Elle veut particulièrement recueillir les propos de trois vieillards, Tom et Charlie mais le troisième, Boychuck n’est plus là,  Il est mort. Pourtant, ce sera le personnage qui induira le plus d’empathie dans le récit de Jocelyne Saucier…

Boychuk, 14 ans au moment des grands feux et qui, agressé par les flammes et la fumée, aveugle, marche et cherche son amoureuse avec l’énergie du désespoir. Il faut voir et entendre comment la photographe bouleversera la vie des vieillards. Et voilà qu’arrive le personnage le plus énigmatique et le plus original de l’histoire.

Marie-Desneiges a 82 ans. Libérée après 66 ans à l’asile et elle se souvient…elle se souvient qu’il pleuvait des oiseaux. En tant qu’auditeur, une brise chaude est venue m’envelopper. C’est le caractère humain du récit qui est surtout venu me chercher.

C’est ainsi que le récit, assis sur un inimaginable drame humain et environnemental devient une chronique des souvenirs de vieillards, des hommes qui ont choisi la forêt pour y vivre et mourir au moment qu’eux-mêmes auront choisi.

Le récit développe les difficultés et les misères de la vieillesse vivant à l’écart de la Société bien sûr, mais aussi l’amour, continuellement mis en attente et qui est pourtant ardent, spécialement dans le coeur de Boychuck que j’ai trouvé particulièrement attachant. J’irai plus loin en disant que l’auteur jette un regard critique sur notre Société et ses vieux et ses vieilles qui donnent parfois l’impression d’être dans une voix de garage.

À cet effet, j’ai beaucoup apprécié la plume de l’auteur, exempte de jugements, de propos moralisateurs et de philosophie bon marché. Il pleuvait des oiseaux est un hommage à la vie et à la liberté. C’est aussi une réflexion sur les choix qu’imposent une fin de vie. ll y a beaucoup d’émotion dans l’histoire.

Quand j’ai entendu qu’il pleuvait des oiseaux, j’ai eu un long frisson tout le long du dos et jusqu’au coeur. L’auteur m’a figé et elle m’a emmené où elle voulait. À l’audition, vous ne tarderez pas à saisir le sens du titre. Et là, l’addiction vous guette.

C’est une belle histoire, émouvante et sensible. J’y note très peu de faiblesse à part peut-être la question du choix de la mort, le choix du moment, le choix de la façon, le poison en particulier. La fin de vie est abordée avec une légèreté un peu irritante.

Finalement, une introduction un peu longue, teintée d’indécision et une finale qui m’a semblé un peu expédiée. Entre les deux, un récit addictif avec un un fil conducteur solide que symbolise le courageux Boychuck. La beauté de l’écriture est à la limite de la poésie.

<Tout est là, ce pétillement de lumière rose dans les yeux d’une petite vieille qui s’amuse avec son âge et cette image d’une pluie d’oiseaux sous un ciel noir…séduite et intriguée par toutes ces vieilles personnes qui avaient la tête peuplée des mêmes images, la photographe… en était venue à les aimer plus qu’elle n’aurait cru. >  Extrait…

L’écoute n’est pas trop longue et j’ai trouvé la narration de Jacques Clermont et Dominique Petin très agréable même si je me suis questionné sur la nécessité de mettre deux voix là-dessus. Enfin, je crois que je vais me rappeler longtemps de ce livre. J’ai vu le film aussi, je ne ferai pas de commentaire sur l’adaptation à part que je préfère de loin le livre audio.

Suggestion de lecture : LES MONDES CACHÉS, bande dessinée de Denis-Pierre Filippi et Silvio Camboni

IL PLEUVAIT DES OISEAUX au cinéma

IL PLEUVAIT DES OISEAUX a été adapté à l’écran en 2019. Scénarisé et réalisé par Louise Archambault, Le film réunit à l’écran Andrée Lachapelle, Gilbert Sicotte Rémy Girard, Ève Landry, Éric Robidoux et Louise Portal. Prod. : Ginette Petit

Jocelyne Saucier est romancière. Ses trois premiers romans, La vie comme une image (finaliste, Prix du Gouverneur général), Les héritiers de la mine (finaliste, prix France-Québec) et Jeanne sur les routes (finaliste, Prix du Gouverneur général et prix Ringuet) ont été chaleureusement accueillis par la critique.

Il pleuvait des oiseaux, son ode à la liberté parue en 2011, lui a valu de nombreux prix et a conquis le cœur d’un très vaste public en une quinzaine de langues, en plus d’avoir fait l’objet d’une adaptation au cinéma par Louise Archambault.

 

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 1er octobre 2022

LE POISON SECRET, Francis Leblanc

Tome 1 : LA FAUX FANTÔME

*Écorché de partout, l’homme émergea dans une flaque d’eau sale et plissa les yeux pour mieux distinguer les silhouettes. L’une d’entre elles était celle de sa mère ; l’autre, derrière elle, était celle de Vysper Salaman, l’un des élites les plus efficace dont disposaient les empoisonneurs. Ce dernier appuyait une lame contre la gorge de sa femme. *  

Extrait du prologue LE POISON SECRET, 1 : LA FAUX FANTÔME Francis Leblanc, Éditions ADA 20018, version numérique, 313 pages.

Depuis 600 ans, le monde est aux prises avec la faux fantôme, une épidémie mortelle qui frappe dès que la population du continent excède les 50 millions d’habitants. C’est pour cette raison qu’ont été créés les Marécages, une organisation d’empoisonneurs dont le rôle est de préserver l’équilibre des morts et des naissances afin de limiter les ravages de la pandémie. Chaque saison, des élections ont lieu partout afin de déterminer quels seront les malheureux élus qui devront être sacrifiés pour le bien commun. Skill Venial, 18 ans, vient tout juste de terminer ses études d’empoisonnement et s’apprête à prendre part à son dernier stage.

Il est envoyé à Syrak, la capitale d’Insectia, afin d’éliminer la famille royale, pour qui la majorité des habitants a voté lors des dernières élections. Mais le jeune réussira-t-il à satisfaire les attentes de son sinistre et dangereux mentor, Vysper Salaman? Résoudra-t-il le mystère du poison secret, dont dépend l’avenir du monde entier?  

Trop de monde dans le monde
*Désormais, que dirait leur mère si elle apprenait
qu’ils savaient extraire le venin des araignées ?
Qu’en cours d’animaux venimeux, ils avaient
passé un examen qui consistait à être ensevelis
sous une horde de mygales, de veuves noires et
d’araignées errantes sans paniquer ?
(Extrait)

LE POISON SECRET est un roman de type fantasy pour les 13-18 ans. Toutefois en tant qu’adulte je l’ai trouvé très intéressant car il développe un thème qui hante les populations en général et les scientifiques en particulier : la surpopulation et les risques potentiels de catastrophes naturelles ou artificielles susceptibles de ramener le nombre d’êtres humains à des proportions acceptables pour la planète.

Selon le professeur Will Steffen de l’Université d’Australie, la population que la Terre peut supporter est estimée à 9 milliards de personnes. Si le thème est récurrent en littérature, voire un peu usé, je dois dire qu’il est développé avec beaucoup d’imagination dans LE POISON SECRET, LA FAUX FANTÔME car il repose sur une intrigue qui donne au récit un cachet très actuel.

Sur une petite planète, dans une société du futur, dès que la population dépasse 50 millions de personnes, une épidémie mortelle frappe pour baisser le nombre d’individus à un niveau acceptable. Pour préserver l’équilibre morts/naissances et limiter la pandémie, on a créé LES MARÉCAGES, une organisation d’empoisonneurs surentraînés.

Les victimes sont choisies au hasard et le hasard a délégué entre autres à la mort la famille royale d’Insectia. C’est curieux à dire mais ce choix va provoquer un spectaculaire affrontement entre empoisonneurs professionnels. Tout ça pour limiter les effets de LA FAUX FANTÔMES qui n’est pas là par hasard.

*Notre continent est surpeuplé, Lydia, ne t’en rends-tu pas compte ? Nous souffrons constamment de guerre et de famine, et la seule raison pour laquelle nous y survivons, c’est justement grâce à la faux fantôme. Parce que chaque famille choisit d’avoir près d’une dizaine d’enfants, malgré toutes les potions contraceptives que nous offrent les Marécages !  (Extrait)

Le cœur du récit est un peu dans ce dernier extrait mais il y a plus, LA FAUX FANTÔME est au cœur de l’intrigue et ça fait de l’histoire quelque chose d’un peu plus complexe et plus abouti qu’une simple guerre de sarbacanes. Histoire intéressante mais un peu difficile à suivre car il y a une grande quantité de personnages qui ne sont pas beaucoup travaillés et le fil conducteur est fragile.

En dire plus sur LA FAUX FANTÔME reviendrait à trahir l’auteur mais j’ai été agréablement surpris. Il y a de bonnes idées, de belles trouvailles. Bien sûr, j’avais parfois l’impression d’être plongé dans le manuel du parfait empoisonneur. Le poison est omniprésent. L’histoire même commence par un match amical d’empoisonneurs.

Éviter l’empoisonnement est un exploit qui relève d’une imagination très fertile et ce n’est pas l’imagination qui manque dans cette histoire. Les humains ne sont jamais allés aussi loin dans ce domaine. Mais le poison ça nous connaît. Lisez l’histoire de Rome, vous allez comprendre.

Vous n’aurez peut-être pas besoin de remonter aussi loin car la finale de cette histoire nous réserve une petite surprise qui nous ramène à notre terrible réalité : le terrorisme. Je ne peux pas en dire plus, mais la finale de cette histoire consacre un caractère des plus actuels à l’ensemble du récit. Ma satisfaction a été complète quand j’ai réalisé que la table avait été mise pour une suite.

Donc un livre intéressant. Faiblesses : psychologie des personnages, parfois difficile à suivre. Je suis un peu mitigé quant au développement contextuel. Forces : Trame originale, beaucoup d’imagination, lien intéressant avec l’actualité, bon rythme, excellente finale. J’ai été satisfait de ma lecture.

Pour en savoir plus sur la surpopulation, visitez levif.be

Suggestion de lecture, sur le thème de la surpopulation : TOUS À ZANZIBAR de John Brunner


L’auteur Francis Leblanc

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 28 août 2022

 

LES CHEVALIERS D’ÉMERAUDE, d’Anne Robillard

TOME 1
LE FEU DANS LE CIEL

*Ces magnifiques soldats devinrent les premiers Chevaliers
d’Émeraude et ils repoussèrent finalement l’envahisseur
dans l’océan d’où il était venu. *

(Extrait : LES CHEVALIERS D’ÉMERAUDE, tome 1 LE FEU DANS
LE CIEL, Anne Robillard, 3e édition, De Mortagne, éditeur, 2004,
275 pages. Version audio : Audible studio éditeur, 2018. Narrateur :
Raymond Desmarteau, durée d’écoute : 8 heures 14 minutes)

Apprenant que l’Empereur Noir s’apprête à envahir le continent de nouveau, le Roi d’Émeraude, soucieux de Enkidiev, ressuscite un ancien ordre de chevalerie. Choisis pour leurs dons particuliers, les nouveaux Chevaliers d’Émeraude, dotés de pouvoirs magiques sont au nombre de sept: six hommes et une femme. Au moment où les compagnons d’armes se disent prêts à combattre, la Reine de Shola demande audience à Émeraude et lui confie Kira, alors âgée de deux ans.

Ce jour-là, Wellan, le grand chef des Chevaliers, devient amoureux de la reine. Malheureusement, le Royaume de Shola subira les attaques féroces des dragons de l’Empereur Noir, et tous les Sholiens, y compris la reine, seront massacrés. Le cœur brisé, Wellan devra organiser la défense d’Enkidiev  et repousser les forces du Mal… 

La genèse de la chevalerie
D’Émeraude
*Hommes, femmes et enfants périrent sous les lances
des guerriers et les crocs de leurs redoutables dragons.
Et les dieux eux-mêmes durent intervenir pour que les
humains ne soient pas rayés de la surface de la terre. *
(Extrait)

LE FEU DANS LE CIEL est le premier tome d’une série de 12. Il jette les bases d’une extraordinaire épopée de fantasy, LES CHEVALIERS D’ÉMERAUDE, une série que j’ai dévorée et qui s’est taillée une place plus qu’honorable dans la francophonie internationale.

LE FEU DANS LE CIEL est facile à lire. Son fil conducteur est simple et solide. Les personnages sont attachants. L’écriture est fluide. L’auteure met en place efficacement les éléments d’un univers intriguant avec son code d’honneur, sa magie et la lutte sans merci du bien contre le mal.

Il est important de bien saisir le premier tome pour une compréhension optimale de la trame de la série. L’auteure a fait  le nécessaire pour que ce premier opus soit facile et agréable à lire. Voyons voir comment débute la saga.

Pressentant un danger potentiel d’attaque et d’invasion de son royaume d’Enkidiev, le roi suzerain Émeraude 1er décide de faire revivre l’ancien ordre de la Chevalerie d’émeraude (disparue il y a très longtemps parce qu’elle s’est détournée de son but au profit du pouvoir et des richesses) sur de nouvelles bases avec un code d’honneur et de discipline et l’objectif prioritaire de protéger tout le continent d’Enkidiev.

Il semble que les évènements donneront raison à Émeraude 1er. L’apparition d’une mystérieuse boule de feu coïncide avec l’arrivée à la cour du roi d’un mystérieux bébé violet. Une petite fille aux oreilles pointues. Or son père, l’empereur noir Amecareth recherche sa fille et est prêt à virer le royaume sans dessus-dessous et tuer tout le monde au besoin.

Les premiers Chevaliers du nouvel Ordre d’Émeraude reçoivent donc leur première mission : parcourir tout le continent et avertir tous les rois vassaux de la menace qui pèse sur leur royaume. C’est le cœur de ce premier volet de la saga et le fil conducteur qui s’enrichit toutefois d’un élément capital : le sort de la petite fille fraîchement arrivée à la cour d’Émeraude serait intimement lié au sort d’Enkidiev.

Cette petite fille fait peur et n’est pas appréciée de tous dans l’environnement du roi Émeraude. Voilà donc le contenu du tome 1. Prévenir tout le monde du danger. Vous vous doutez bien qu’on ne peut pas éviter l’inévitable. La finale dévoile juste ce qu’il faut pour ressentir la nécessité de poursuivre avec le tome 2 :  LES DRAGONS DE L’EMPEREUR NOIR.

Cette quête me rappelle, à certains égards la quête de la Communauté de l’Anneau dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX. Les héros doivent parcourir d’énormes distances pour préparer la défense du territoire.

Ce n’est pas un livre qui tranche par son originalité. Les bons sont très bons et les méchants aussi cruels que stupides. Il est difficile de renouveler un genre vieux comme le monde. Anne Robillard ne renouvelle pas du tout le genre et ses personnages bien qu’attachants ont des natures trop parfaites. C’est une petite tache qui contribue à rendre l’histoire simpliste.

Ayant choisi la version audio, je mentionne ici que la narration de Raymond Desmarteaux est satisfaisante mais sensiblement déclamée et ne contribue pas vraiment à rendre le récit crédible. Le livre possède toutefois des forces indéniables. Il est accrocheur et beaucoup d’éléments nourrissent une intrigue qui s’approfondit en cours de récit. Je pense par exemple à la petite Kira. La petite fille colorée qui fait peur à tout le monde sauf au roi.

Je pense aussi à la tournée des royaumes d’Enkidiev. On est fixé dès le départ sur les mentalités de chaque royaume et sur la trempe de leur roi. Très utile à savoir pour la suite des évènements. Je sais que les avis sont un peu mitigés sur ce premier volet mais l’écriture d’Anne Robillard a quelque chose de magnétique, d’agrippant et au final d’irrésistible. Elle a séduit le lectorat. Les adolescents en particulier.

Ce n’est pas pour rien que les exemplaires de LES CHEVALIERS D’ÉMERAUDE se sont vendus par millions. Dans un rapport de forces et de faiblesses, le premier opus de la saga sort gagnant, signé par une des auteures les plus prolifiques de la francophonie.

Née le 9 février 1955, à Longueuil, au Québec, Anne Robillard a grandi dans la magie des arts de la scène. Le fantastique et la fantaisie ont toujours fait partie de ses écrits. Le premier tome des Chevaliers d’Émeraude a vu le jour le 15 octobre 2002 et a été complétée en 2008. La série compte 12 tomes et s’est vendue à plus de 3 000 000 exemplaires au Québec et en France.

Anne a reçu le Grand Prix littéraire Archambault en 2006 pour le cinquième tome des Chevaliers d’Émeraude et le Prix des lecteurs du Salon du livre de Trois-Rivières en avril 2007. La saga des Chevaliers d’Émeraude a été suivie en 2010 par Les Héritiers d’Enkidiev. En 2006, Anne a publié Qui est Terra Wilder ? 

suivi en 2010 du Capitaine Wilder, racontant la suite des aventures de cet homme au passé arthurien. En 2007, elle offrait la série A.N.G.E., en 10 tomes, qui raconte les sept années des Tribulations précédant la fin du monde. 

LA SÉRIE

Pour parcourir la collection LES CHEVALIERS D’ÉMERAUDE, cliquez ici

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi  juillet 2022

L’œuvre de Dieu, la part du diable, de JOHN IRVING

*Ici, à Saint Cloud’s, nous perdrions notre énergie
(limitée) et notre imagination (aussi limitée) en
considérant comme des problèmes des réalités
sordides de la vie. Ici, à Saint Cloud’s, nous
n’avons qu’un seul problème…*

(Extrait L’ŒUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE,
John Irving, 1986, Éditions du Seuil pour la traduction
française. Collection POINTS, édition de papier, 740 p.)

L’histoire a pour cadre l’orphelinat de Saint Cloud’s, au fin fond du Maine, et relate l’existence de ses pensionnaires pendant plus d’un demi-siècle. À commencer par Wilbur Larch, directeur de Saint Cloud’s, gynécologue excentrique. Aux yeux de nombre de femmes, un saint qui se sent investi d’une double mission : mettre au monde des enfants non désirés, futurs orphelins – <l’œuvre de Dieu» -, interrompre dans l’illégalité des grossesses – l’«œuvre du Diable». Peu à peu, entre le médecin et Homer Wells, un orphelin réfractaire à l’adoption vont se développer des relations et des sentiments qui ressemblent fort à ceux d’un père et d’un fils.

La philo du pour et du contre
*Les femmes n’ont aucun choix. Je sais que tu estimes cela
injuste, mais comment peux-tu-surtout toi avec ton
expérience-, comment peux-tu te sentir libre de refuser
d’aider des êtres humains qui ne sont pas eux-mêmes
libre d’obtenir de l’aide autre que la tienne ?
(Extrait)

C’est une des belles lectures que j’ai faites. Tout au long de cette édition de 740 pages, il a été très difficile pour moi de lâcher prise. Le sujet développé a conservé toute son actualité car il déchire encore la Société de nos jours.

Il s’agit de l’avortement. Au début, on en retrouve quelque part dans le Maine. Le docteur Wilbur Larch, gynécologue excentrique et très porté sur l’éther, dirige l’orphelinat de Saint-Cloud’s. Il met au monde des enfants non désirés qui grandiront à l’orphelinat en attendant d’être adoptés.

Bien qu’ils favorisent la mise en monde des enfants, Larch pratique aussi des avortements, ce qui est illégal à l’époque. C’est une infirmière qui choisit le nom des enfants. Un des enfants issus de Saint-Cloud’s est particulier.

Après quatre tentatives d’adoption, Homer Wells retourne à la case départ. Il grandit à l’orphelinat, finit par s’y sentir bien et y développe une relation Père-fils avec le bon docteur qui rêve de former Homer pour l’assister, et éventuellement le remplacer dans l’accomplissement de l’œuvre de Dieu, mettre au monde les enfants, et la part du diable, interrompre les grossesses.

Malheureusement pour Larch, Homer avait l’intime conviction qu’interrompre une grossesse revenait à interrompre une vie, décision qui revient à Dieu seul. Homer finira par quitter l’orphelinat et aura une intense vie d’adulte. Il connaîtra le travail, le sexe, l’amour. Il aura un fils qui sera adolescent au moment où Homer prendra la plus importante décision de sa vie.

C’est un roman puissant qui développe avec intelligence un sujet extrêmement sensible. Larch et Homer s’aiment comme Père et fils mais ils sont déchirés, tiraillés entre l’œuvre de Dieu et la part du diable. Pour Wilbur, l’avortement devrait être légal et accessible.

Pour Homer, il n’est pas question de jouer à Dieu. Les personnages de ce roman sont forts et très bien travaillés. Ils sont en grande partie la force du récit. Wilbur et Homer sont bien sûr mes préférés..

Mélony est aussi intéressante. Bien que cette fille ait la carrure d’un joueur de football et la délicatesse d’un char d’assaut, elle a quelque chose de spécial, un magnétisme, un incontournable pouvoir d’attraction. Elle aura une influence déterminante sur le destin d’Homer. Enfin, il y a le fils d’Homer, Ange, peut-être le plus attachant des personnages.

John Irving m’a plongé dans le quotidien de ces personnages et m’a placé à leur côté et j’ai vécu des moments de lecture d’une grande intensité. L’auteur ne prend pas parti dans le débat mais développe avec doigté la philosophie de chaque camp. C’est un roman touchant, qui brasse les émotions et dans lequel l’amour est omniprésent et palpable.

Sur le plan social, Wilbur me rappelle un peu le médecin canadien Henry Morgentaler (1923-2013) mort à 90 ans (le même âge que Wilbur Larch dans l’œuvre d’Irving).

Morgentaler militait pour l’avortement thérapeutique et des options de santé pour les femmes en plus d’être chef de file de plusieurs organisations civile et humanistes, ce qui lui a valu l’Ordre du Canada en 2008. Nuls doutes que son action sociale a influencé la politique canadienne et il a laissé sa marque.

Ce livre est un hymne à l’amour, un hommage aux femmes. Il s’est voulu très proche de ses personnages et il ne juge pas. Pas de longueurs, pas de jugement, pas de moralisation. Juste une histoire prenante qui offre de fort intéressants éléments de réflexion. Pour moi, L’ŒUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE est un chef-d’œuvre.

Suggestion de lecture, du même auteur : LE MONDE SELON GARP

John Irving est né en 1942 et a grandi à Exeter (New Hampshire). Avant de devenir écrivain, il songe à une carrière de lutteur professionnel. Premier roman en 1968: Liberté pour les ours ! suivi d’Un mariage poids moyen et de L’Épopée du buveur d’eau. La parution du Monde selon Garp est un événement. Avec L’Hôtel New Hampshire, L’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable (adapté à l’écran par Lasse Hallström en 2000), Une prière pour Owen, Un enfant de la balle, Une veuve de papier et La Quatrième Main, l’auteur accumule les succès auprès du public et de la critique. John Irving partage son temps entre le Vermont et le Canada.

L’œuvre de Dieu, la part du diable
au cinéma

Le film est sorti le 22 mars 2000. Il a été réalisé par Lasse Hallström. Dans la distribution, on retrouve entre autres, Toby McGuire, Charlize Theron, Delroy Lindo et Michael Caine. Le film a été adulé et récompensé décrochant l’Oscar du meilleur scénario adapté remis à John Irving, et l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle remis à Michael Caine. Le film a aussi été nominé 5 fois aux Oscars dont l’Oscar au meilleur réalisateur et l’oscar du meilleur film.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 11 décembre 2021

ALICE AU PAYS DES TROP VIEILLES, Cristina Alonzo

*Oui, évidemment, que j’écris un livre…Un livre sur mon enfance, passage difficile. ou sur mon adolescence, étape difficile. Ou sur ma dépression, moment difficile. Ou sur mes dix années de psychanalyse, tunnel difficile.* (Extrait : ALICE AU PAYS DES TROP VIEILLES, Cristina Alonzo, Éditions Albin Michel, 2010 224 pages. Format numérique, 220 pages)

Alice est journaliste. Elle a un mari, des amies de « bons » conseils, deux enfants adolescents, elle ment sur son âge (même son passeport est faux), se fait mettre au placard parce que son boss la trouve « trop vieille », s’interroge sur le botox et la chirurgie et cherche la bagarre…Alice grandit, vieillit, enrage et s’apaise. Un livre à l’usage des femmes qui ne sont pas vieilles et ont quelques réserves sur l’idée de le devenir.

 

Journal de ma quarantaine fracassante
C’est pas un peu gênant de prendre le petit
déjeuner avec le mec de sa fille ? –J’ai résolu
le problème, je leur apporte au lit, comme ça
pas besoin de boire mon café en face de deux
autistes.
(Extrait)

C’est l’analogie avec le pays des Merveilles qui m’a attiré vers ce livre. C’est tout de même très différent pour ne pas dire paradoxal car le livre de Cristina Alonzo développe le thème du vieillissement chez la femme. Notez que le phénomène est traité avec un peu de philosophie et beaucoup d’humour.

L’auteure traite des conséquences et des corollaires du vieillissement, un mot qui a été largement galvaudé et qui pourrait être interprété par l’expression *prolongement de la jeunesse*, un euphémisme gentil qui dévoile  les petits bobos liés disons au deuxième âge chez les femmes, les mères en particulier. : Apparition de rides, papillotes, apparition de cheveux blancs, prise de poids, petits problèmes de dos…

*Alors que vos parents devenaient grands-parents entre 45 et 55 ans, vous êtes de « vieux » parents d’ados grognons qui ne sont pas près de quitter la maison, devenue sans que vous vous en rendiez compte un Bed and Breakfast. La situation vous convient. (Aucune envie de prendre un coup de vieux supplémentaire en les voyant partir.)

Mais parfois, elle vous horripile. Ces ados sont des carpes, et lorsqu’ils vous adressent la parole, c’est pour demander à boire, manger, sortir, ou acheter. Il n’y a pas trente-six solutions : Acceptez le fait que vous êtes une vieille maman et agissez en conséquence en cessant d’être leur pote. * (Extrait)

Le livre est développé un peu comme un journal. Pour chaque chapitre, il y a une petite pensée au début, une liste de choses à faire avec au moins une bizarrerie dans chacune, le développement lié toujours à *l’avancement en âge*, des techniques pour s’en sortir honorablement et un récapitulatif du sujet traité. Ce n’est pas un livre qui va révolutionner le genre mais il est divertissant.

C’est une lecture légère qui évoque la tolérance et l’acceptation et met en perspective la différence qui existe entre *vieillir* et être vieux…*Entre l’âge que j’ai, celui que je fais, celui qu’on me donne et celui que j’ai l’impression d’avoir, il y a comme un bug…* (Extrait) Morale de l’histoire, il vaut beaucoup mieux accepter l’âge qu’on a et s’en moquer. C’est sans doute là qu’on commence à rayonner. Personne ne prétend que c’est facile.

Donc c’est un livre amusant écrit par une femme pour les femmes. Les gars eux, vont peut-être se reconnaître un brin. Le lectorat masculin pourrait en rigoler et qui sait, peut-être y réfléchir…peut-être… J’ai l’impression que l’auteure s’est fait plaisir et ne s’est pas prise trop au sérieux et l’idée d’orienter son livre vers le journal intime est une bonne idée je crois.

Les filles pourront sans doute se reconnaître à quelques égards ou en tout. L’idée est d’en rigoler, surtout si vous avez dépassé la quarantaine. Si vous approchez de la quarantaine, vous pourriez frémir un peu mais le mot d’ordre est toujours le même : mieux vaut en rire.

La plume est légère, fluide, empreinte d’une philosophie de supermarché qui est basée quand même sur une idée de départ qui nous place devant une certaine réalité : Alice est virée de son poste parce qu’au final, elle est trop vieille. L’âge est-il si important eu égard aux performances. Des questions intéressantes sont posées et Alice est parfois touchante. Un bon petit livre léger, amusant et rapide à lire.

Suggestion de lecture : L’ÉLÉGANCE DU HÉRISSON, de Muriel Barbery

Cristina Alonso est une journaliste et romancière française
C’est au « Journal du dimanche » qu’elle s’affirme, puis, en créant le magazine « Elle à Paris« .
Elle écrit son premier roman, « Alice au pays des trop vieilles », paru aux Éditions Albin Michel en 2010, un roman bien accueilli par la presse et le public.
Après le succès de son premier livre, elle publie « Alice et le prince barbant » (2011), sa chronique décapante de la vie d’une quadra au bord de la crise de rire !.

Lecture suggérée

 

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT
le vendredi 15 octobre 2021

LE MAGASIN DES SUICIDES, le livre de JEAN TEULÉ

*Allez, tout le monde dehors…Vous mourrez une autre
fois. Gardez vos tickets numérotés et revenez demain…
Allez, hop, dehors ! Prenez ce revolver jetable à un coup
et ne venez plus nous faire chier avec vos histoires
d’amour. *

(Extrait : LE MAGASIN DES SUICIDES, Jean Teulé,
Éditions Julliard, 2007, édition numérique, 150 pages)

Imaginez un magasin où l’on vend depuis dix générations tous les ingrédients possibles pour se suicider. Cette petite entreprise familiale prospère dans la tristesse et l’humeur sombre jusqu’au jour abominable où surgit un adversaire impitoyable : la joie de vivre…

MORT OU REMBOURSÉ
*Il ne parvient à y croire…le beau magasin…qui
était sobre comme une morgue d’hôpital, propre,

net, etc…ce qu’il est devenu ! Sur un long calicot
tendu d’un mur à l’autre…est écrit un mot d’ordre :

« Suicidez-vous de vieillesse »

C’est un petit livre étrange et fascinant qui semble vouloir nous exposer sa vision du sens de la vie en passant par l’absurde. Le suicide est le principal sujet, développé d’ailleurs avec une désinvolture dérangeante. Nous sommes dans une société loin dans le futur. L’auteur ne s’étend pas sur la démographie, mais on suppose que le suicide est encouragé d’une certaine façon car la promotion du geste ultime est légale.

Aussi, nous suivons la famille Tuvache : Papa Mishima, Maman Lucrèce et les enfants, Marylin, Vincent et Alan. La petite famille tient une boutique encastrée dans d’énormes immeubles : c’est le magasin des suicides où on trouve de tout pour mettre fin à ses jours soit avec violence soit avec élégance.

C’est le genre de famille à souligner un anniversaire de naissance avec un gâteau en forme de cercueil…la mort encadréetraitée avec légèreté, humour et des prix élevés… Le quotidien de la famille est graduellement perturbé quand on découvre que le cadet de la famille, Alan est heureux de vivre…horreur…pas Alan : *Quand, à l’école on lui a demandé ce qu’étaient les suicidés, il a répondu : « Les habitants de la Suisse » *. (Extrait)

Graduellement Alan contamine tout le monde avec sa joie de vivre, son sourire, son énergie positive…*Ah, celui-là, avec son optimisme, il ferait fleurir un désert…* (Extrait) et graduellement, Alan sabote les efforts de sa famille pour vendre ses articles de mort qui subissent mystérieusement quelques petites transformations. Alan est le rabat-joie avec lequel on se dirige vers une finale dramatique et aberrante.

C’est un livre qui peut en choquer plusieurs mais il en dit long sur la vision de l’auteur de la société future, une société égarée, errante, à peine en équilibre sur la corde raide de l’abrutissement. C’est un sujet original car même si la mort et le suicide sont des sujets sérieux qui affectent déjà notre société, Teulé a bourré son récit de traits d’humour.

Avec Alan et son optimisme dérangeant, le roman noir a subitement quelque chose de loufoque, de farfelu et comme on dit souvent au Québec, de fou braque. Au fur et à mesure que je suivais Alan, qui est devenu pour moi un petit frère, mon esprit se détendait mais restait toujours sous le coup d’une émotion. Malheureusement, la finale m’a laissé amer.

Il y a dans le récit de Teulé une logique sociale développée avec finesse. Alan est un symbole qui met en scène des vertus qui se sont figées dans la société décrite par l’auteur : un symbole d’espoir, d’accomplissement. Entendons-nous. J’ai eu froid dans le dos spécialement avec des slogans aussi noirs et triviaux : *Vous avez raté votre vie, avec nous vous réussirez votre mort* (Extrait)

Mais le développement du récit et surtout la raison de vivre d’Alan a donné à l’ensemble une éthique fort acceptable. Le sujet reste délicat et pourrait ne pas plaire à tous. En ce qui me concerne, malgré la finale qui m’a ébranlé, j’ai trouvé le tout très intéressant.

Vous serez comme moi, porté sans doute à suivre l’évolution d’Alan. Non seulement il est attachant, drôle et spontané (l’auteur le fait même zozoter) mais c’est le petit mouton qui va changer le monde. On dirait que l’auteur met le doigt sur un bobo guérissable. LE MAGASIN DES SUICIDES pourrait bien être un hommage à tous les petits Alan du monde…

Jean Teulé est un romancier français aux multiples facettes. Homme de télévision, dessinateur, comédien, cinéaste et surtout écrivain, il est le compagnon de l’actrice Miou-Miou. Né le 26 février 1953 à Saint-Lô, Jean Teulé ne se prédestinait pas vraiment à une carrière littéraire et pourtant, il a signé de nombreux scénarios de bandes dessinées, et plusieurs romans dont DARLING, la touchante biographie d’une naufragée de la société. Le magasin des suicides a été adapté au cinéma par Patrice Lecomte cinq ans après sa publication.

Image du film LE MAGASIN DES SUICIDES, long métrage musical d’animation franco-belgo-canadien réalisé par Patrice Lecomte et sorti en 2012. Adaptation cinématographique du roman éponyme de Jean Teulé.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le samedi 22 août 2020

LES PERLES NOIRES DE JACKIE O, Stéphane Carlier

«C’est un collier qui a appartenu à Jackie Kennedy.» «Pas elle? Personnellement? Oui…» «Dis donc c’est pas rien…Ils ne plaisantent pas avec ça à New-York,
tu peux en prendre pour vingt ans…»
(Extrait : livre audio : LES PERLES NOIRES DE JACKIE O. Stéphane Carlier. Éd. or. Le Cherche midi, 2016, 416 page version intégrale audio : Studio Audible, 2018, narratrice : Marie Lenoir)

Gaby, la soixantaine déprimée, est femme de ménage dans les beaux quartiers new-yorkais. Un matin, elle trouve par hasard la combinaison du coffre-fort d’un de ses employeurs, un vieux marchand d’art fortuné. Décidée à mettre la main sur son contenu – et notamment sur un collier ayant autrefois appartenu à Jackie Onassis -, elle imagine un plan particulièrement audacieux. Seulement, cambrioler un appartement huppé de l’Upper East Side, c’est un peu comme plier un drap sans se faire aider, ça demande un certain entraînement…

UNE MAGOUILLE EN HUMOUR
*hah…bah…ce n’est pas moi qui s’en plaindrai ! s’exclama
Irving avant de pousser un piaillement bizarre entre l’éclat
de rire et le croassement de corbeau…Cela dit, il faut que
je me dépêche de vieillir parce que je n’ai que 59 ans humhum !
aahh le menteur ! Frank savait très bien qu’il en avait 76 ! *
(Extrait)

C’est un petit roman drôle qui raconte une histoire abracadabrante. Voyons d’abord un peu le contenu. Voici l’histoire de Gabriella Navajo, elle se fait appeler Gaby. C’est une femme sans histoire qui travaille depuis une quinzaine d’années pour Irving Zukerman, un millionnaire excentrique et extraverti qui a en particulier, une passion pour les beaux jeunes hommes bien faits, bien tournés…sexys.

Un jour, elle décide qu’elle en a marre de sa vie de pauvresse, aidée en cela par la découverte, dans une corbeille à papier chez son employeur, d’une boulette de papier dont elle prend connaissance et qui contient rien de moins que la combinaison du coffre-fort d’Irving. Elle ouvre le coffre et y découvre cent-soixante mille dollars, 6 lingots d’or et…un collier magnifique composé de perles noires très rares.

Elle découvrira plus tard qu’il s’agit d’un collier hors de prix, ayant appartenu à Jackie Onassis. Elle imagine un plan extravagant pour voler le contenu du coffre et se fait aider pour cela d’une vieille connaissance qui ne brille pas par son honnêteté, Nando qui se fera aider à son tour par une équipe d’incapables. S’ensuit une chaîne d’évènements rocambolesques et loufoques.

Ce n’est pas un roman qui brille particulièrement par la qualité de son scénario ni par son originalité. Une bande de pattes folles qui tente un cambriolage accumulant gaffes et sottises…c’est loin d’être nouveau en littérature. Pourtant, ce livre ne m’a pas laissé de répit parce que j’ai ri beaucoup et je me suis attaché à des personnages sympathiques. Dans sa structure, cette histoire contient des éléments qui me rappellent les comédies d’erreur.

À ce niveau, je dirais que la version audio donne un tout beaucoup plu désopilant grâce à la narration de Marie Lenoir qui rehausse magnifiquement le caractère hilarant du récit avec un registre vocal particulièrement bien travaillé pour chaque personnage. Étant donnés les clichés plutôt abondants dans l’histoire et l’incohérence que j’ai observée dans le scénario, la version audio est peut-être plus à conseiller vue la qualité de la narration.

Quelques passages sont particulièrement intéressants. Le long monologue de Serge Merceau par exemple, un ancien amant d’Irving, un passage simpliste, déclamé aux limites de la caricature, mais on ne peut faire autrement que d’en rire :

*Cette époque gardera toujours pour moi l’odeur de la grande pièce où nous prenions nos repas…un mélange atroce de renfermé et de lait caillé…et le goût des testicules de bœuf qu’on me forçait à avaler dans l’espoir de me viriliser…comme rien n’y faisait, on m’envoya chez les curés pour détourner un garçon de ses pulsions homosexuelles, il fallait y penser…*

Avec tout ça, est-ce que Gaby réussira à s’approprier la fortune de Zukerman. Faut voir. Ce livre est loin d’être un chef d’œuvre. C’est un peu n’importe quoi. Mais ce récit m’a apporté quelque chose : de l’évasion, de la détente et du rire. C’est une histoire loufoque, volontairement tirée par les cheveux et comme c’est le cas dans les comédies d’erreur, la qualité du scénario n’est pas toujours une priorité.

Ça n’invente rien mais le lecteur bénéficie de la plume volatile de Stéphane Carlier et d’une narration irrésistible de Marie Lenoir.

STÉPHANE CARLIER

C’est par des chemins détournés que Stéphane Carlier est arrivé au roman. Alors fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères aux Etats-Unis, Il écrit Actrice qui raconte le retour à l’écran d’une star du cinéma français tombée dans l’oubli, est salué par la critique. Encouragé par ce succès, Stéphane continue à écrire « des histoires avec des femmes à qui il arrive de belles choses » : Grand Amour et Les gens sont les gens, l’histoire d’une psychanalyste qui recueille un porcelet dans son appartement parisien. (lisez.com)

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 1er août 2020

KOBOLTZ MISION ULURU, de BENOIT GRELAUD

*Vous avez vu toutes ces pauvres bêtes ? … Dans
quel état elles sont?! Il faut faire quelque chose !
«Commencez donc par lever les mains en l’air !»
ordonna une voix derrière eux, tandis que des
pointes en acier leur piquaient le dos…*

(Extrait : LES KOBOLTZ, MISSION ULURU, Tome 1, Benoit
Grelaud,  ill. : Sylvain Even, édition Slalom, 2017, édition
de papier, 200 pages, littérature jeunesse 8-15 ans)

Les Koboltz ont pour véritable obsession de ne pas polluer la planète. Ils ne mangent aucun animal, cultivent leurs aliments et traitent tous leurs déchets. Alors quand les hommes décident de créer un insecticide pouvant entraîner une véritable catastrophe écologique, le petit peuple vivant sous terre décide de mener une mission afin d’empêcher la création de ce poison. Mais pour cela, ils vont avoir besoin de l’aide de Rakiriko, un koboltz banni de son peuple plusieurs années auparavant, mais qui seul sait comment se rendre invisible aux yeux des humains. 

UN GRAND DÉFI POUR UN PETIT PEUPLE
*Vous allez nous attendre ici. Kalistah et moi,
nous allons nous rendre près des stocks
d’insecticide. Là, j’utiliserai une formule dont
j’ai le secret, un véritable tour de magie. Je
vous promets que vous vous en souviendrez !
(Extrait : LES KOBOLTZ, MISSION ULURU)

C’est un livre très intéressant et original si on tient compte surtout de sa qualité première : stimuler la conscience environnementale des ados qui font partie de ce que l’on appelle la génération Alpha, celle qui est le plus susceptible de changer les choses quant à la protection de l’environnement. L’histoire est simple. Voyons d’abord la mission.

Dans la civilisation Kobolts, des petits êtres d’apparence humaine mais qui ne mesurent que huit centimètres, ont appris que les hommes sont sur le point de créer un insecticide puissant extrêmement dangereux susceptible d’empoisonner toutes les nappes d’eaux potables de la terre.

Les Koboltz vivent sous terre. Ce sont des génies du recyclage et de la dépollution. Lorsqu’ils remontent à la surface, ils bénéficient d’une heure d’invisibilité pour réparer les gaffes humaines.

Mais il faudra beaucoup plus pour empêcher la création de l’insecticide mortel. Aussi, cinq Koboltz se voient confier une mission capitale : retrouver Rakiriko, magicien banni de leur village il y a plusieurs années,  seul est capable de prolonger leur invisibilité aux yeux des humains et ainsi augmenter les chances de sauver la planète d’une terrible menace.

J’ai bien aimé cette histoire. C’est un roman mais il a plutôt l’allure d’un conte je dirais ou d’un docudrame ou docufiction. Il se dégage en effet de ce petit livre un aspect documentaire intéressant très accessible pour les jeunes lecteurs et lectrices. Moi-même j’ai appris beaucoup de choses intéressantes, vérifiables sur le plan scientifique.

J’ai appris par exemple, à faire la différence entre un stalactite et un stalagmite : Les stalactites descendent du plafond expliqua Tammpo. Dans stalactite, tu as un *t* comme dans «tomber». Alors que dans stalagmite, tu as un *M* comme dans «monter».* (Extrait)

Dans ce petit roman, les personnages sont attachants, colorés et drôle : *Kornikedouille, il est fou celui-là ! s’exclama Mananann en jetant un œil à son caleçon légèrement déchiré Un peu plus, il me transformait en fille !* Les petits personnages sont très sympathiques et attachants malgré leur obsession de la protection de l’environnement. Mais dans l’optique d’une littérature thématique pour ados et préados, c’est très crédible.

Le livre est très ajusté à l’actualité mais ne se prend heureusement pas trop au sérieux. C’est un petit vent de fraîcheur qui vient titiller un peu la conscience écologique des ados et je ne doute pas que les jeunes ont tous une connaissance intuitive de l’environnement et de plus en plus de jeunes développent un souci de protection.

En ce sens, le livre de Benoit Grelaud est un outil magnifique. J’ajoute à cela que j’ai été séduit par les magnifiques illustrations de Sylvain Even qui sont chaudes et très vivantes et illustrent fort bien le thème développé.

La petite faiblesse tient dans le fait qu’il y a beaucoup de personnages et qu’on peut s’y perdre. Ça crée des longueurs par moments et ça fragilise le fil conducteur. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est décourageant pour les jeunes lecteurs.

Ça vaut la peine de persévérer parce que ce petit livre est un bijou. J’ai trouvé aussi que la finale était quelque peu expédiée. Mais comme je le dis plus haut, il y a une suite. Merveilleuse lecture pour les jeunes jusqu’à 16 ans mais elle ferait aussi du bien à beaucoup d’adultes car c’est vraiment un livre porteur de réflexion.

À mettre sans hésiter dans votre bibliothèque.

Benoît Grelaud est né en mai 1968 à Luçon, en Vendée. Véritablement touché par la Bretagne qu’il découvrira grâce à sa femme, il ressentira alors l’envie d’en faire écho au sein des aventures du « Maître des Clés ». Les paysages sauvages, l’attachement du peuple breton à ses racines et la culture celtique seront autant de points d’appuis qui le guideront dans son écriture. Tout comme les Koboltz. Benoît Grelaud est un amoureux de la nature et a imaginé ces petits êtres féériques pour parler de ce sujet qui lui tient à cœur.

Fort d’un parcours prestigieux dans des sociétés telles que les Éditions Hachette, Gründ et Albin Michel, Sylvain Even, infographiste-illustrateur et animateur 3D a su mettre à profit son habileté et son génie lors de ses divers travaux. Il contribue largement à donner vie aux Koboltz dans MISSION ULURU.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
le jeudi 14 mai 2020

MONSIEUR MOZART SE RÉVEILLE, EVA BARONSKY

*Quelque chose n’allait pas. Il n’était plus
à la maison. Sa couche était différente,
plus molle et inégale, plus souple en fait;
un parfum subtil, féminin s’y trouvait. Où
l’avait-on amené? Qui pouvait donc bien
être ces méchants bougres?*
(Extrait : MONSIEUR MOZART SE RÉVEILLE, Eva
Baronsky, Édition Piranha pour la présente
version électronique, aussi en version papier,
200 pages sur liseuse, 2009 original, t.f. : 2014)

Il s’appelle Wolfgang Mozart et hier soir encore, il était étendu sur son lit de mort. À son réveil, il ne trouve aucune explication à ce monde différent, étrange, où la lumière ne provient pas des bougies, où les carrosses se déplacent sans chevaux…Tout ce qui lui arrive ne peut avoir qu’une seule raison : il a la mission divine de terminer l’œuvre de sa vie, son Requiem. Et le voici, anachronisme vivant déambulant dans les rues survoltées de la Vienne du début du XXIe siècle. Tant de nouveaux compositeurs, tant de sonorités inédites ! Mais, plus le temps passe, plus il se demande ce qu’il adviendra de lui, une fois son chef-d’œuvre terminé…

LE TEMPS D’UN REQUIEM
*Avec respect, presque tendrement, il passa
la main sur la fine écriture. En voilà un qui
était à la hauteur du requiem de Mozart,
qui savait l’achever et…qui damait le pion
au génie de Mozart avec une légèreté qu’
il n’aurait jamais cru possible.
(Extrait : MONSIEUR MOZART SE RÉVEILLE)

L’idée n’est pas nouvelle en littérature : réveiller un mort célèbre, lui laisser tous ses souvenirs et en faire un anachronisme vivant dans un but précis. Pourtant, j’ai trouvé le livre de Baronsky extrêmement bien construit. Il m’a fait rire et surtout, il m’a ému. Quand un livre parvient à ce résultat avec moi, je suis comblé. Alors imaginez un peu.

Deux cents ans après sa mort. Mozart se réveille avec le même esprit, dans un environnement étrange. Il faut dire qu’au départ Mozart ne comprenait pas qu’il venait de sauter deux cents ans d’évolution : *Il comprit par la suite que derrière la plupart des miracles ne se cachait rien d’autre qu’une nouvelle forme d’énergie…* (Extrait)

Au début, ce fut une dure épreuve : Où se loger ? Comment se nourrir ? Restait à comprendre le but de ce miracle : *Chez soi, ce ne pouvait être qu’un petit endroit, au plus profond de soi…tout au fond de son cœur, au plus profond de lui-même, il y avait la musique, rien que la musique et il n’y aurait jamais rien d’autres.* (Extrait)

Mozart comprit qu’il devait finir le célèbre requiem, œuvre majeure mais inachevée au moment de sa mort. La chose la plus difficile pour Mozart dans ce récit était d’établir son identité et ça devenait urgent car son talent s’imposait. Chose difficile voire impossible. Personne ne comprenait :

*Wolfgang Musterman. Il n’avait pas été le seul à remarquer ce nom singulier, la presse l’avait fait aussi. Un pianiste surgi du néant, sans parcours de vie, sans que quiconque ait pu apprendre quelque chose sur lui. Un phénomène ! * (Extrait)

Un jour, le musicien miraculé en a eu marre et a fini par dévoiler son véritable nom à un impresario qui avait besoin d’une preuve d’identité : *Oui, reconnut Wolfgang à voix basse. Joannes Chrysostomus Wolfgangus Théophilus Mozart. Né à Salzbourg le 27 janvier 1756. Puis-je m’en aller maintenant ?* (Extrait) Cette explosion de sincérité a fini par amené Mozart dans un hôpital psychiatrique.

J’ai adoré cette histoire parce qu’elle m’a émue. Elle m’a émue parce que l’auteure Eva Baronsky a réveillé Mozart en lui conservant toutes ses qualités de corps, de cœur et d’esprit. Mozart était un être bon, généreux mais aussi brouillon, désordonné et insouciant, sans le sou et pas toujours facile à vivre. Pour Mozart, tout n’était que musique. La musique est partout dans le récit qui est profondément imprégné de l’esprit de Mozart.

J’ai trouvé aussi le récit drôle parce qu’après un sommeil de deux-cents ans, Mozart se débrouillait plutôt mal avec la modernité ce qui a donné lieu à beaucoup de situations cocasses. Enfin, j’ai trouvé le récit touchant pour plusieurs raisons : la qualité des personnages, la profondeur de leur psychologie.

Par exemple, l’auteur a mis sur le chemin de Mozart un personnage appelé Piotr, musicien violoniste polonais qui a pris Mozart en amitié car Piotr a compris qu’au-delà des qualités de cœur, Mozart était un génie de la musique avec un talent qui avait quelque chose de surnaturel.

Autre personnage un peu plus intriguant celui-là : c’est Anju, l’amour de la nouvelle vie de Mozart, celle qui a touché son cœur et qui apportera une contribution extraordinaire jusqu’à la finale qui est particulièrement poignante.

C’est donc un livre que je recommande. On sent bien que l’auteure admire Mozart. Elle a imprégné son récit du cœur et de la musique de Mozart et avec humour car elle a exploité les anachronismes qui ne manquaient pas d’ébranler le génie musical.

Par exemple, pouvez-vous imaginer comment Mozart a interprété le nom AC/DC trouvé sur un chandail ? Ne se doutant pas qu’il s’agissait d’un des groupes rock les plus populaires de l’heure. Mozart lui, a trouvé une toute autre interprétation : *AC/DC. Il se tortilla le sourcil : Adorate, Cherubim, Dominum Cantu. Adorez le Seigneur avec vos chants. Oui, ça devait être cela* (Extrait)  Un récit magnifique, profondément humain…un coup de cœur.

Wolfgang Mozart est né le 27 janvier 1756 à Salzbourg. Il écrit son premier opéra à l’âge de 11 ans ! Mozart devient de plus en plus connu . Puis, il se marie avec Constance Weber et travaille comme professeur de musique particulier auprès de familles riches. Mais, s’il gagne beaucoup d’argent, il ne sait pas le gérer. Mozart passe des années difficiles avec la mort de son père, la maladie et des dettes.

En 1791, il compose tout de même deux chefs-d’œuvre : la Flûte enchantée et le Requiem. Mozart meurt à Vienne, en Autriche, le 5 décembre 1791 à seulement 35 ans, en laissant plus de 600 œuvres à la postérité. Le REQUIEM est une œuvre inachevée de Mozart. L’idée de Baronsky était de donner du temps à Mozart pour achever lui-même le REQUIEM.

Eva Baronsky est une auteure allemande née en 1968. Après des études de marketing et de communication, elle a été tour à tour consultante en communication, graphiste, vendeuse de confiture et journaliste. MONSIEUR MOZART SE RÉVEILLE est son premier roman, publié en 2009. Avant sa traduction en français plusieurs années plus tard, l’œuvre de Baronsky a reçu le prix Friedriech Hölderlin, un prix d’encouragement de renommée internationale.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
le samedi 15 février 2020

HANTISE : LA MAISON HANTÉE, Shirley Jackson

<Voyons se dit-elle, voyons. Ce n’est qu’un bruit, et
un froid terrible, terriblement, affreusement froid.
C’est un bruit au fond du couloir, à l’autre
extrémité. Près de la porte de la nursery, et un
froid terrible. Ce n’est pas ma mère qui frappe le mur.>
(Extrait : HANTISE : LA MAISON HANTÉE, Shirley
Jackson, Éditions Presses Pocket, collection Terreur,
1999, édition numérique, 180 pages.)

Le docteur Montague, intéressé par les phénomènes parapsychologiques, décide de passer un été dans une maison réputée hantée appelée HILL HOUSE. Il est accompagné de l’héritier de la maison, et deux femmes qu’il a choisies pour leurs dons paranormaux : Ils se rendent compte que les rumeurs sont justes : la maison abrite quelque chose ou quelqu’un…quelqu’un qui ne veut pas se taire. HILL HOUSE est une maison de 80 ans construite par Hugh Crain qui avait des goûts architecturaux très particuliers. La plupart des maisons ont une bonne nature. Certaines sont mauvaises…

UNE BICOQUE BELLIQUEUSE
Un tout petit rire ténu leur parvint, apporté
dans la chambre comme par un courant d’air
un minuscule ricanement teinté de folie, le
plus faible des chuchotements de rire.
(Extrait : HANTISE : LA MAISON HANTÉE)

Encore une maison hantée me direz-vous ? Vous avez raison, le sujet est très réchauffé mais on en a peut-être pas exploité toutes les facettes. Le livre qui nous intéresse aujourd’hui est un classique. Il a corrigé le tir dans certains cas et ouvert la voie dans d’autres cas. Donc comme dans tout classique, il y a des choses qui ne changent pas.

Par exemple, le gentil professeur qui réunit des sujets, autant que possible avec des talents médiumniques afin de vérifier et prouver ses théories : *Mais il comptait bien être récompensé de toutes ses peines par la sensation qui ne manquerait pas de saluer la publication de son ouvrage sur les causes et les effets des perturbations parapsychologiques dans une maison communément dite ‘hantée’.* (Extrait)

C’est l’adaptation du livre à l’écran qui m’a donné l’idée d’entreprendre la lecture du livre. Les deux versions m’ont fait réaliser qu’en général, les auteurs, et surtout les réalisateurs se dépêchent de passer à la violence, l’agressivité, les effets visuels spectaculaires. Dans notre livre du jour, Shirley Jackson installe l’horreur tout doucement, graduellement, donnant une place à l’expression corporelle, au non-dit.

Elle explore avec une lenteur étudiée non seulement la psychologie des personnages, Nellie en particulier, mais aussi à la psychologie de la maison : HILL HOUSE qui…*C’était une maison sans gentillesse, qui n’était pas destinée à être habitée. Il n’y avait pas en elle la moindre place pour l’homme, ni pour l’amour, ni pour l’espoir* (Extrait)

Le but de l’auteur n’était pas de faire éclater des têtes ou de faire pourrir la chair mais d’installer graduellement une peur qui devient une terreur qui va crescendo. C’est ainsi que le ton s’intensifie et la maison devient alors pire que ce que l’on croyait : *Un réservoir de méchanceté contenue* (Extrait) Il y a une espèce de jeu dans lequel l’auteur tente d’entraîner le lecteur.

Si le livre a pu me donner l’impression que j’étais un cobaye dans cette étude, c’est je crois parce qu’il a trouvé le ton juste. Ce livre a quelque chose d’hypnotisant. Ses personnages ont été bien développés. En particulier celui de Léonore (NELLIE) dont l’exaltation est un facteur de stress non négligeable. Et encore plus fort : l’énigmatique madame Dudley qui semble la seule à savoir ce qui se passe.

J’ai toutefois trouvé plutôt ordinaire de voir se pointer dans le cours de l’histoire un personnage qui s’insère mal : madame Montague en personne. Une sorte de miss-je-sais-tout qui porte sur les nerfs et accompagné de son sous-fifre : Quant à l’inclusion de ce  personnage dans l’histoire, je ne suis pas sûr d’avoir bien compris le choix de l’auteur.

Pour toutes les raisons expliquées plus haut, je considère ce livre de Shirley Jackson comme un chef d’œuvre. Ce livre a été plus qu’une addiction pour moi, je suis carrément devenu acteur du drame qui se joue entre les murs de HILL HOUSE. C’est un livre d’horreur écrit avec une grande intelligence et beaucoup d’imagination afin de garder le lecteur alerte.

Le talent de Jackson force l’admiration car même lorsque la maison est calme et ses occupants en repos, la grande HILL HOUSE demeure inquiétante. Il y a très peu de coups de théâtre. La force du livre est sa capacité de jouer sur le ressenti et l’atmosphère avec une lenteur calculée et voulue.

Quant à savoir si on doit lire le livre avant de voir le film. Moi, c’est ce que je recommande. Le livre est plus prenant, assorti d’un rythme efficace. J’ajoute que le livre exploite vraiment bien le personnage de madame Dudley, personnage beaucoup plus discret dans le film. C’est donc un bon livre à lire à la lueur d’une chandelle, juste pour le plaisir et vous laissez la porte de votre penderie ouverte. Qui sait si elle ne va pas se fermer toute seule…

Shirley Jackson est une romancière américaine née à North Bennington, Vermont. C’est une spécialiste du récit fantastique et dhorreur. Elle a écrit entre autres NOUS AVONS TOUJOURS VÉCU AU CHÂTEAU, considéré comme un chef d’œuvre. Son livre LA MAISON HANTÉE est tenu par Stephen King pour lun des meilleurs romans fantastiques du XXe siècle. En 1948 paraît THE ROAD THROUGHT THE WALL, un premier roman dhorreur, suivi dune série de nouvelles réunies plus tard dans le recueil LA LOTERIE ET AUTRES HISTOIRES. Sy déploient les qualités qui ont fait la notoriété de lauteur : une mise en situation ancrée dans un quotidien banal, le passé trouble des personnages, lentretien diabolique du doute sur les évènements surnaturels qui simposent peu à peu. (voir Polars pourpres)

LA MAISON HANTÉE AU CINÉMA

Je suis peut-être à contre-courant de plusieurs critiques mais je trouve l’adaptation du livre de Shirley Jackson au grand écran en 1999, très intéressante. Il s’agit donc du film réalisé par Jan De Bont.

Il est possible toutefois que j’ai un parti pris car la distribution de LA MAISON HANTÉE comprend deux de mes acteurs préférés : Liam Neeson dans le rôle du docteur David Marrow (Montague) et la magnifique Marian Seldes qui incarne l’énigmatique madame Dudley, un personnage tout à fait fascinant de la distribution du film et omniprésent dans le livre.


À gauche l’affiche du film, à droite, Liam Neeson incarne le docteur Marrow qui est en fait le docteur Montague dans le livre. Les deux ont les mêmes motivations.

Marian Seldes incarne madame Dudley qui tient dans une stressante routine verbale qui va au-delà du domaine domestique :

*Je ne reste pas, une fois que jai préparé le dînerje ne reste pas ici après la tombée de la nuit. Je men vais avant quil ne commence à faire noirce qui veut dire quil ny aura personne dans les environs si vous avez besoin daidenous ne pourrions pas vous entendre, pendant la nuitpersonne ne pourrait vous entendrependant la nuitdit madame Dudley avec un large sourire.*

Cette dame a quelque chose de glaçant, terrifiant. Je suis peut-être naïf mais selon moi, elle est le personnage le plus énigmatique du moins si je me limite à l’aspect littéraire.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le jeudi 6 février 2020