AU NOM DE TOUS LES MIENS, le livre de Martin Gray

*J’ai traversé le temps où l’envie de mourir était ma seule amie.
J’ai traversé le temps où la seule question était « Pourquoi,
 pourquoi moi ? Pourquoi deux fois les miens, n’avais-je pas assez
 payé mon tribut aux hommes, au destin ? Pourquoi ? »Je parle :
 je dis le récit de ma vie pour comprendre cet enchaînement de folie,
 de hasards, ces malheurs m’écrasant…*
(Extrait : AU NOM DE TOUS LES MIENS, Martin Gray, Robert Laffont
éditeur, 1971, réed. 2013, 410 pages. Version audio : Lizzie éditeur, 2018
Durée d’écoute : 14 heures 22. Narrateurs : Eric H. Macarel et Max Gallo)

De la guerre, le petit Martin connaîtra tout : les privations, les humiliations, la peur durant le temps passé au ghetto de Varsovie, l’horreur absolue des camps nazis à Treblinka, la fureur de vivre quand il s’en échappera, caché sous un camion, le suprême courage quand il apprendra qu’il a perdu tous les siens…Et puisqu’il faut bien vivre, il s’engagera ensuite dans l’armée Rouge, puis partira aux États-Unis… Enfin la paix reviendra. Martin reconstruit alors sa vie. C’est dans le sud de la France, par une journée d’été éclatante, que le destin le blessera à nouveau – à mort – en décimant ceux qui lui sont le plus chers.

Témoin de la négation
*Mon brassard était dans la poche. Le tramway filait vers
l’ouest de Varsovie. Bien sûr, j’étais en danger de mort,
mais j’étais libre. Parce que j’avais violé leur règlement.
S’il me tuait, il me tuerait libre. Et cela changeait tout.*
(Extrait)

Ce livre a été pour moi un traitement de choc. C’est un récit autobiographique qui secoue l’intérieur, essore les émotions et marque l’âme comme pour le tatouer. C’est en lisant un témoignage comme celui de Martin Gray qu’on est appelé à se demander sincèrement comment les choses en sont arrivées là.

Comment un peuple a-t-il pu basculer son destin dans la folie eugénique d’un tordu dégénéré, condamnant à une mort atroce plus de six millions d’êtres humains. C’est un livre dur, violent, dérangeant mais il a sa place dans l’histoire lui aussi.

Voici le parcours de Martin. Il a 17 ans quand la Pologne capitule et assiste, impuissant, à l’érection d’un ghetto qui isolera les juifs en attendant la solution finale concoctée par Hitler. La mort sera partout mais elle fuira Martin car son destin est d’être témoin. Au début, il est Martin Gray, puis il adoptera un surnom pour chaque revirement de son destin : il deviendra Mietek (son vrai prénom), et fera preuve d’une incroyable imagination pour survivre.

Puis, lorsqu’il sera recruté par l’armée russe, il deviendra Micha et il ne caressera qu’un seul rêve : envahir Berlin et exercer sa vengeance. Enfin, après la guerre, il deviendra Mentele, homme d’affaires prospère, soucieux d’aider son peuple à se relever et sur qui pourtant le drame s’abattra à nouveau.

Au moment où Grey évoque le brassard imposé aux juifs par les SS, j’ai compris que je devenais addict de cette prenante lecture : *Depuis la fin novembre, il me faudrait porter au bras un brassard blanc avec une étoile de David bleue d’au moins trois centimètres de hauteur. Un brassard qui veut dire homme à voler, à battre, à tuer. * (Extrait)  Martin Grey fut témoin d’une vérité qu’il a livré dans toute sa crudité.

Je me doute un peu que Max Gallo a pu faire un peu d’enrobage mais aux yeux de l’histoire, aux yeux du monde. Martin Gray fut un témoin précieux des atrocités qui ont mutilé son peuple…des atrocités avérées par le procès de Nuremberg. Il y a aussi quelques redondances dans le livre. Mais c’est inévitable, la mort est partout et pourtant le récit de Gray est un hommage, un hymne à la vie et à l’amour.

On ne peut pas critiquer un livre comme celui-là, on ne peut que le lire avec une nécessaire ouverture du coeur sur une des taches les plus sombre de l’histoire. C’est une histoire violente, alimentée par le sadisme, la torture physique et psychologique…la lecture pourrait être éprouvante pour beaucoup de lecteurs et de lectrices.

Mais il n’y a pas de mots pour décrire la leçon de courage, d’humanité et d’amour que nous enseigne Martin Gray. C’est un livre qui interpelle et qui me crie…N’oublie pas…n’oublie jamais.

*C’est l’ombre pâle d’un père qui mourut en nous nommant
c’est une sœur, c’est un frère qui nous devance un moment
tous ceux enfin dont la vie un jour ou l’autre ravie,
emporte une part de nous murmurent sous la pierre
vous qui voyez la lumière de nous vous souvenez vous? *

(PENSÉES DES MORTS, Georges Brassens, d’après Alphonse de Lamartine,
1969)

Mieczysław Grajewski ou Mietek Grajewski, connu sous le pseudonyme Martin Gray (1922-2016) est un écrivain franco-américain, d’origine juive polonaise, né à Varsovie. Il est d’abord connu pour son livre  Au nom de tous les miens (1971).

Gray y fait le récit d’une partie de sa vie et notamment le drame d’avoir perdu à deux reprises toute sa famille, d’abord dans les camps d’extermination nazis, puis dans l’incendie de sa maison dans le Sud de la France. Rédigé par le journaliste Max Gallo, ce livre a été réputé mêler fiction et réalité. Ce témoignage est par conséquent sujet à controverse. 

Martin Gray au cinéma

Michael York incarne Martin Gray

Réalisé et sorti en 1985, AU NOM  DE TOUS LES MIENS est un film réalisé par Robert Enrico avec Michael York, Jacques Penot, Brigitte Fossey et Macha Méril.

Ce film est une adaptation de l’autobiographie de Martin Gray, à laquelle a collaboré Max Gallo: « Au nom de tous les miens ». A partir du 7 Février 1985, cette adaptation est passée à la télévision française, en version nettement plus longue, sous la forme d’une série 8 épisodes de 52 mn chacun. En 1985, Maurice Jarre a remporté le 7 d’Or de la meilleure musique.

Bonne lecture
Bonne écoute
le dimanche 26 juin 2022

 

Les aventures de Tom Sawyer, de MARK TWAIN

*Il avait le visage décomposé et ses yeux exprimaient
l’épouvante. Lorsqu’il se trouva en présence du
cadavre, il se mit à trembler et, se prenant la tête à
deux mains, éclata en sanglots. «Ce n’est pas moi qui
ai fait cela, mes amis, dit-il entre deux hoquets. Je
vous le jure sur ce que j’ai de plus cher, ce n’est pas
moi.*

(Extrait : LES AVENTURES DE TOM SAWYER, Mark Twain,
Culture commune 2012 réed. Tête de Gondole, numérique
225 pages num.)

Tom Sawyer est orphelin et vit chez sa tante Polly sur le bord du Mississippi. Pas toujours très sage, il entraîne son meilleur ami Huckleberry Finn (Huck) à faire l’école buissonnière. Les deux garçons découvrent les joies de la liberté. Ils se construisent une vie idéale de jeux, de baignades, de pêche, et empruntent des chemins inconnus qui les font voyager. Tom tombe amoureux de Becky Thatcher et tente de la séduire par tous les moyens sous le regard jaloux de Huck. Ils jouent aux pirates, s’identifient à des personnages de roman et assistent malheureusement à un meurtre commis par nul autre que Joe le balafré.

UN FLEURON DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE
*tu sais, on peut se fier à Tom. Il a dit
qu’
il reviendrait. Il ne nous
abandonnera pas. Ce serait
d
éshonorant pour un pirate et il est
trop fier pour faire une chose comme
celle-l
à. Quand il nous a quitté, il
avait sûrement un plan en tête*
(Extrait : LES AVENTURES DE TOM SAWYER)

 Il y a quelques années, j’ai pu rigoler un bon coup en visionnant LES AVENTURES DE TOM SAWYER. Je n’avais pas lu le livre. Ce n’est que tout récemment que je me suis décidé à lire ce petit chef d’œuvre, un grand classique qui a conservé toute son actualité car le récit évoque des thèmes qui ont toujours été chers à la jeunesse : l’amitié, l’amour naissant, la débrouillardise, l’imagination et surtout la liberté avec un grand L.

La liberté est un des thèmes les plus importants aux yeux de l’ensemble de l’humanité, malheureusement, historiquement, ce fut un des droits les plus malmenés. J’ajoute à cela qu’en lisant cette merveilleuse aventure, j’ai été fasciné par la capacité des jeunes de s’occuper avec à peu près rien…ce qui est impensable de nos jours.

Le récit est fortement autobiographique. En effet, Twain s’est inspiré de son enfance, de sa famille et surtout de quelques amis en particulier ou *combinaisons d’amis*, Tom Sawyer, jeune orphelin gardé par sa tante Poly, un gentil chenapan sympathique qui a plus d’un tour dans son sac pour tromper la vigilance de sa tante. Et il y a bien sûr Huckleberry Finn dont le père est alcoolique. Il vit dans un tonneau, s’habille en guenille et fume la pipe.

Mais qu’à cela ne tienne, il est libre et heureux. C’est un personnage énergique, sympathique, un peu naïf, un grand ami de Tom, car sur la vie, ils partagent les mêmes sentiments. On retrouve aussi Joe Harper et Becky Thatcher, une jolie fille nouvellement arrivée. Becky et Tom sont loin d’être indifférents un pour l’autre. Ils deviendront troglodytes pendant quelques jours et passeront par une kyrielle de sentiments.

Le fil conducteur de ce récit est en trois volets le principal étant que Tom rencontre Becky dont il tombe amoureux. Il y a bien sûr le volet familial : les relations de Tom avec sa tante poly, son frère Sid et sa sœur Mary. Quant à l’intrigue, elle tourne autour de Joe l’Indien un personnage sinistre qui inspire la peur et qui est impliqué dans un meurtre dont Tom a été témoin. L’écriture est d’une grande simplicité.

L’histoire est fort bien développée et comprend de nombreux passages intrigants et ingénieux. Le récit étant surtout axé sur l’action, la psychologie des personnages n’était pas une priorité pour Twain mais qu’à cela ne tienne, au fil des pages, on développe l’impression qu’on connait Tom et Huck depuis toujours et on a envie de s’en faire des amis. Comme lecteur, j’avais l’impression de faire les cent coups avec eux.

Les adolescents de toutes les époques se reconnaissent dans les tribulations de Tom Sawyer. Mais dans les faits, ce livre a été écrit pour tout le monde en plus d’être actuel dans toutes les époques depuis sa première publication en 1876. J’ai adoré ce livre. J’ai pu faire des liens intéressants avec la télésérie, une excellente adaptation et surtout, j’ai rigolé. L’humour est présent partout… une recette gagnante, pour inciter les jeunes à la lecture.

LES AVENTURES DE TOM SAWYER demeure pour moi un superbe classique qui met en valeur la liberté bien sûr et le fait que cette liberté s’acquiert, se mérite. Mais le récit pointe aussi du doigt le courage et l’audace car j’ai beaucoup aimé le petit caractère rebelle prêté aux deux principaux personnages. Ça ne les rend que plus attachants encore. Donc à découvrir ou redécouvrir absolument : LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

Samuel Langhorne Clemens (1835-1910) est un auteur américain natif de la Floride. Devenu très jeune orphelin de père, il abandonne ses études et rejoint en 1850 le journal fondé par son frère et y rédige ses premiers articles. Il devient reporter et voyage beaucoup en Europe. Ses voyages l’inspireront entre autres pour son premier roman LE VOYAGE DES INNOCENTS publié en 1869. Mais c’est surtout son roman LES AVENTURES DE TOM SAWYER qui lui vaudra la notoriété dès 1876.

POURQUOI MARK TWAIN COMME PSEUDO?
Alors qu’il embarque sur le Mississipi pour rejoindre la Nouvelle Orléans en 1850, Clemens rencontre un capitaine de bateau à vapeur nommé Horace E. Bixby, lequel parvient à le convaincre de travailler pour lui. De cette rencontre naîtra son pseudonyme : lorsqu’il vérifie la profondeur du fleuve, le capitaine lui crie «MARK TWAIN» : des mots de jargon pour signaler que la profondeur est suffisante.

 MON ADAPTATION PRÉFÉRÉE À LA TÉLÉ :

Rolland Demongeot (à gauche) incarne Tom Sawyer et Marc Di Napoli joue le rôle de Huckleberry Finn dans cette série télé sortie en 1969, très fidèle au livre. La série a été réalisée par Mihai Iacob et Wolfgang Libeneiner. La série fut très populaire et a marqué toute une génération.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le samedi 15 août 2020

 

CONVERSATION AVEC UN ENFANT CURIEUX

Commentaire sur le livre de
MICHEL TREMBLAY

-Ma tante Bartine, a’ dit qu’on peut attraper
des maladies avec ces vieux livres là.
A’ veut même pas y toucher. –Ta tante
Bartine, a’l’inventerait n’importe quoi pour
pas lire.

(Extrait : CONVERSATIONS AVEC UN
ENFANT CURIEUX , Leméac/Actes sud
2016, édition de papier, 150 pages)

L’enfance de Michel Tremblay est un coffre aux trésors inépuisables. Après BONBONS ASSORTIS qui nous avait comblé de bonheur avec des récits sur Luis Mariano, le père Noël et les petits Chinois à vendre. Le dramaturge nous offre cette fois un bouquet d’instantanés avec sa mère Nana, son père, son frère, ses tantes, sa grand-maman paternelle… À l’innocence curieuse de jeune garçon se mêle un brin de mauvaise foi quand s’enchaînent les questions cocasses et sans réponse. En découlent de savoureuses conversations au ton résolument drolatique. La prodigalité de Michel Tremblay m’étonnera toujours.

                                                UN PAN D’ENFANCE
*J’T’ai déjà dit de pas jurer! Tu promets, mais tu jures pas.
Jurer, c’est juste pour les choses sérieuses…-Ben, la lecture
c’est sérieux, pis j’te jure que j’la négligerai jamais, même
si on achète une télévision!*
(Extrait : CONVERSATIONS AVEC UN ENFANT CURIEUX)

L’auteur québécois Michel Tremblay nous présente un aspect bien particulier de son enfance à travers une quarantaine de ses plus savoureux dialogues avec des personnes de son environnement social : père, mère, sœur, ami, professeur… Ces dialogues mettent en perspective une particularité de Michel Tremblay qui peut être à la fois une grande qualité et un grand défaut : la curiosité.

Ces dialogues m’ont rappelé un peu mes enfants alors qu’ils traversaient la phase du *pourquoi* vers 4 ou 5 ans…des puits sans fond de *pourquoi* et de *comment ça se fait* qui finissaient par *taper sur les nerfs*. Avec le recul du temps, je pense à tout ça et j’en ris. Et c’est exactement ce que Michel Tremblay nous propose : en rire.

Ces dialogues touchent toutes sortes de sujets : la religion, des livres qui ont pas d’images, les tandems du cinéma Laurel et Hardy, Abott et Costello, Jésus, le Saint Esprit et même la mortadelle.

Tremblay s’intéressait à tout et plusieurs de ses questions induisaient la notion de justice. *C’est pas juste*…vous vous rappelez ? C’est sain pour les enfants de poser des questions et évidemment d’avoir des réponses mais voilà…une curiosité poussée trop loin a le don d’énerver et à ce titre, les réactions et les réparties sont souvent comiques.

Il n’y a pas une page de ce petit livre qui ne m’ait arraché un large sourire ou un éclat de rire. *-Mais pourquoi y faut que les tartes ça soit des surprises pour le temps des fêtes? J’comprends pas… -Une autre affaire que tu comprends pas. Des fois je me demande si j’ai pas mis au monde un nono qui comprend rien. -En tout cas, chus pas assez nono pour pas comprendre que tu réponds pas à ma question. * (Extrait)

Comment satisfaire la curiosité insatiable d’un enfant. La réponse est simple, c’est impossible. Dans une entrevue accordée à Danielle Laurin, collaboratrice au quotidien LE DEVOIR (http://www.ledevoir.com/culture/livres/485027/rencontre-ecrire-pour-s-expliquer-le-monde) Michel Tremblay disait : *Je posais des questions non pas pour être fatigant, mais pour comprendre.

J’ai toujours voulu comprendre. L’écriture, pour moi, c’est une lettre sans fin que je m’écris à moi-même pour m’expliquer le monde. * Ce qui pourrait être plus drôle encore, si c’est avéré, c’est que Tremblay mettait une mauvaise foi évidente pour en rajouter et en rajouter encore jusqu’à l’exaspération du *puits de sagesse* auquel il s’adressait.

Serait-ce cette curiosité qui a amené Michel Tremblay à devenir un des écrivains les plus importants de sa génération ? Peut-être. Elle n’a certainement pas nuit en tout cas. Quoiqu’il en soit, j’ai trouvé cette lecture savoureuse du début à la fin.

J’ai lu aussi BONBONS ASSORTIS, un petit délice réunissant des souvenirs d’enfance et des anecdotes de jeunesse de Michel Tremblay. Deux merveilleux et trop brefs moments de lecture.

(Huffington post quebec)

L’œuvre de Michel Tremblay est colossale. Plusieurs de ses pièces ont été acclamées à l’étranger et presque toutes ont été publiées en anglais. Six fois boursier du Conseil des Arts du Canada, Michel Tremblay a reçu une vingtaine de prix et de distinctions dont l’Ordre des arts et des lettres de France et le prix du Québec (Athanase-David).

Dans la littérature québécoise, son œuvre se caractérise par son originalité et son audace. Premier auteur à utiliser le « joual » dans ses écrits, Michel Tremblay a choqué l’establishment de l’époque. Il traite surtout des difficultés des milieux populaires francophones de Montréal depuis 1940, et ce, avec tendresse et humour. (source : edimage.ca)

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 7 septembre 2019

14 ANS ET PORTÉE DISPARUE, ARIELLE DESABYSSES

*Je me suis débattue violemment; je donnais des coups
de poing et des coups de pieds à l’aveuglette. J’étais terrifiée
et enragée, mais la fureur d’une jeune adolescente
sous-alimentée ne suffit pas face à un homme. Il m’a frappée
en plein visage en cognant violemment ma tête contre l’asphalte
et je me suis évanouie.*

(Extrait : 14 ANS ET PORTÉE DISPARUE, Arielle Desabysses,
autobiographie, Éditions De Mortagne, 2015, numérique, 170 pages)

À 14 ans, Arielle se rebelle contre l’autorité de son père et décide de fuguer. Un bon matin, Arielle fait semblant de partir pour l’école à l’heure habituelle. Elle prend l’autobus et débarque à Montréal. En début de soirée, l’adolescente s’installe sur un banc de parc. Elle a froid, elle est épuisée, mais elle s’endort tout de même. En pleine nuit, Arielle sera violée deux fois. Elle s’évanouit. En fin de journée, elle reprend conscience, étendue à plat ventre dans une ruelle. Si Arielle a connu la pire journée de sa vie, ce n’est que le début d’un long cauchemar qui l’amènera aux limites de l’horreur, à la frontière du trafic humain et de l’esclavage sexuel…

Une triste réalité…
En même temps que je disais ça, un coup de feu a retenti.
Presque simultanément, une balle est venue s’écraser
sur l’arbre juste à côté de nous. J’ai levé les bras,
j’ai tiré sur le cran d’arrêt, puis j’ai pressé la détente,
comme je l’avais vu faire dans une multitude de
films d’action…j’ai entendu un homme hurler de douleur…
(Extrait : 14 ANS ET PORTÉE DISPARUE)

C’est un livre intéressant que tous les ados devraient lire et pas seulement, les adultes y trouveraient leur compte aussi, les parents en particulier. Au fond, sa conclusion est simple : FUGUER N’EST PAS UNE SOLUTION, point final. Mais je ne m’arrêterai pas là. Des solutions, il y en a d’autres.

La communication et le dialogue ne suffisant pas toujours, il y a les ressources et Arielle en publie une liste exhaustive à la fin de son livre. Donc, si fuguer n’est pas une solution, il faut comprendre pourquoi. Arielle nous l’explique en racontant son cheminement avant, pendant et après la fugue.

Avant la fugue, la position d’Arielle dans sa famille était inconfortable en raison d’un conflit avec son père. Il faut dire que la jeune fille a un caractère fort. La situation dégénère au point qu’elle adopte une solution ultime pour s’en sortir : la fugue. C’était la pire solution mais elle ne le savait pas. Pendant sa fugue, Arielle sera victime d’un incroyable enchaînement de cruautés.

Beaucoup de lecteurs pourraient trouver plusieurs passages misérabilistes, ce fût mon cas. Mais il faut se rappeler que cette autobiographie est authentique et quand l’auteure dit qu’elle l’a écrite avec la plus grande honnêteté, sur la base de sa mémoire, je la crois. Partant de ce principe, la meilleure question qu’on doit se poser est : comment les choses peuvent-elles dégénérer à ce point?

Arielle a été battue, droguée, violée plusieurs fois, privée de nourriture, de contacts et a été entraînée malgré elle dans un monde bas et cruel que la Société a encore tendance à occulter : le trafic humain et son corollaire, l’esclavage sexuel. Et ça touche le Québec et le Canada dans une proportion surprenante.

Si on décortique en profondeur le message de l’auteure, il est à l’effet que la crise de l’adolescence est à prendre au sérieux ainsi que tout ce qui en découle, la douleur, la détresse et les gestes désespérés qui vont trop souvent jusqu’au suicide.

Sur le plan de l’écriture, je dirai que le livre se lit bien, il est fluide, la plume est simple et très directe. La principale faiblesse du livre est dans sa deuxième moitié. Si Arielle est très généreuse sur son cheminement avant et pendant la fugue, elle est beaucoup plus vague sur ce qui se passe après.

Par exemple, j’aurais aimé en savoir beaucoup plus sur sa réinsertion dans la famille, ce qu’elle a ressenti profondément, qu’elle a été la réaction de son père, comment s’est passé son retour à l’école, etc. Ce sont des sujets qu’elle effleure, j’aurais aimé qu’elle les approfondisse. Elle est vague aussi sur sa période adulte, ses relations avec les hommes, elle saute des années.

J’aurais eu l’impression d’un ouvrage bâclé n’eut été de faits précis qui m’ont surpris, accroché et poussé à la recherche, le principal étant que la prostitution juvénile est une chimère. Par définition, une personne prostituée est consentante, or aucun mineur n’est consentant à offrir son corps.

Dans un contexte de trafic humain, il est forcé de le faire par des proxénètes sans pitié, sans morale et sans empathie, sous peine de violence. Le trafic humain existe et ce type de barbarie est bien implanté au Québec.

Dans une entrevue, Arielle Desabysses déclarait que plus les gens seront sensibilisés à ce problème, tant les parents que les adolescents ou n’importe quel autre citoyen, moins il y aura de fugues et par le fait même, moins de victimes de l’esclavage sexuel.

Le livre d’Arielle est un voyage introspectif qui constitue à la fois un message, un avertissement, un outil de réflexion et d’information grâce, en particulier à ses deux annexes. Même si je le trouve incomplet, je considère que ce livre en dit long et qu’il vaut la peine d’être lu.

Suggestion de lecture : IL PLEUVAIT DES OISEAUX, de Jocelyne Saucier

Je ne sais pas quelles sont les règles de l’art pour
écrire une biographie. Mais en ce qui me concerne, l’idée
de commencer mon autobiographie en me comparant à
une princesse plongée dans la noirceur de la solitude me
plaisait bien. Au fond, on a tous été, un jour ou l’autre, une
petite princesse ou un petit prince qui s’est senti seul au
monde.

Le problème, selon moi, quand on écrit sa propre
histoire, c’est qu’on se sent un peu comme un imposteur
lorsqu’on utilise le terme « biographie » parce que, avouons-le,
ce simple mot nous pousse subtilement à croire que
l’auteur est une personnalité publique. Au risque de vous
décevoir, je ne suis pas célèbre, je suis seulement une jeune
femme ordinaire, avec un passé qui sort de l’ordinaire.

(Extrait du chapitre 1 dans lequel Arielle se présente)

À CONSULTER : un intéressant dossier sur la fugue adolescente

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
Le 26 mars 2017