LA FILLE SANS NOM, de Catherine Cookson

*…Tu es venue à pied depuis Newcastle avec ta mère,
et toi tu me racontes que tu ne sais pas pourquoi ?
Eh bien tout ce que je peux dire, c’est que j’en en face
de moi une petite moufflette imbécile ou alors vraiment
maligne…*
(Extrait : LA FILLE SANS NOM, Catherine Cookson. Pour
la traduction française, Belfond éditeur 1981. 375 pages
pour l’édition de papier.)

Elle s’appelle Hannah Boyle, comme sa mère. C’est encore une enfant, mais elle a déjà l’habitude du malheur : en 1850, on est sans pitié pour les filles mères et les petites filles nées de père inconnu. Avant de mourir, sa mère l’emmène dans une maison bourgeoise. « Occupez-vous de ce qui vous revient », dit-elle au maître des lieux. C’est ainsi qu’Hannah se découvre un père, mais aussi une belle-mère qui va la martyriser. Car elle est l’enfant du péché, la bâtarde, celle par qui le scandale arrive.

Et pendant des années, cette faute originelle qu’elle n’a pas commise la poursuivra comme une malédiction. Jusqu’au jour où elle osera enfin relever la tête et être elle-même, avec l’homme qu’elle a toujours aimé

Scandale à l’origine
*Si chaque homme devait se sentir coupable de ce qu’il a
semé en chemin, il y en aurait peu dans ces collines qui
marcheraient la tête haute. Ce sont des choses qui arrivent,
c’est naturel, et qui donc peut nier la nature quand
elle lui vient ? *
  (extrait)

Voici l’histoire d’Hannah Boyle. Nous sommes au milieu du XIXe siècle dans le Northumberland anglais. Au début, la mère d’Hannah, une tuberculeuse agonisante amène Hannah à Hexam, chez un homme appelé Mathew Thornton. Elle lui confirme qu’il est le père de sa fille et lui demande de s’en occuper.

Même si l’évènement  bouscule toute la famille, Hannah sera prise en charge par Mathew et surtout par sa femme, Anne Thornton, une véritable mégère méchante et tyrannique. Hannah sera maltraitée et cruellement battue. Anne finira par se débarrasser d’Hannah en la donnant en mariage à Fred Loam. L’enfer se poursuit pour Hannah car elle devra tolérer la présence de la mère de Fred, elle aussi une mégère dominatrice et oppressante.

Entre temps, Hannah développera un sentiment de plus en plus fort pour Ned Ridley. Apprenant qu’il est au milieu d’un triangle amoureux, Fred devient fou furieux. Hannah sera battue à nouveau. Seules sa ténacité et quelques complicités, notamment celle du docteur du village et des filles d’Anne Thornton qu’elle aimait beaucoup, permettra à Hannah d’avancer pas à pas vers la liberté. Reste à savoir ce que ça lui coûtera, avec entre autres, son insupportable et invivable belle-mère.

Je ne suis pas amateur de ce genre de littérature à la fois dramatique et sentimentale mais je trouvais le quatrième de couverture intéressant et prometteur, le récit dépeignant le drame que vivaient au siècle dernier, les enfants nés hors du mariage, spécialement les filles qui devaient évoluer dans un monde fortement machiste et phallocrate.

J’ai déchanté quelque peu. Bien sûr, beaucoup d’émotion se dégage de l’histoire. Je n’étais pas indifférent à la situation sociale d’Hannah en particulier. Mais j’ai trouvé difficiles les longueurs et quantité de passages ennuyants et pas forcément utiles. Ce qui suit est très personnel, mais j’ai trouvé quelque peu pénible le caractère misérabiliste du récit :

*La malédiction de sa belle mère la tourmentait, l’emplissait de frayeur et lui rappelait les paroles du docteur : <Tu sembles involontairement semer la catastrophe sous tes pas…> Était-elle marquée par le destin ? Y avait-il quelque chose en elle qui engendrât toujours la tragédie…Avait-elle hérité par sa mère d’une terrible noirceur ? * (Extrait)

Ici, la misère succède à la misère…les drames s’enchaînent et finissent par émouvoir, voir arracher quelques larmes aux âmes sensibles. Je sais que c’est un genre littéraire qui plait beaucoup. On n’a qu’à penser au succès foudroyant qu’a obtenu LA PETITE AURORE L’ENFANT MARTYRE par exemple. 

On ne peut pas vraiment être indifférent au drame qui se joue dans cette histoire car elle représente assez bien la situation des femmes au XIXe siècle…elles évoluaient dans l’ombre des hommes et pour plusieurs, la situation était loin d’être rose. Mais ça s’arrête là. J’aurais aimé avoir un meilleur reflet de la situation des femmes en général et un meilleur équilibre dans les passages explicatifs. Certains sont trop brefs, d’autres inutiles. Bref, je n’ai pas été emballé par cette histoire.

Suggestion de lecture : MÊME PAS PEUR de Luc Venot

Née à Tyne Dock, centre minier du nord-est de l’Angleterre, Catherine Cookson (1906-1998) a connu une enfance malheureuse et pauvre. Devenue romancière après avoir exercé divers métiers (blanchisseuse, domestique, couturière…), elle est aujourd’hui considérée comme un phénomène de la littérature sentimentale, à l’instar de Barbara Cartland ou de Danielle Steel. Les éditions J’ai Lu ont récemment republié une sélection de ses meilleurs romans dont La Maison des flammes et Les Tourments d’Annabella.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 20 août 2022

LE CHUCHOTEUR, Donato Carrisi

*Ce qui le suivait n’était pas là sur cette route.
C’était bien plus proche. C’était la source de
ce bruit. C’était quelque chose auquel il ne
pouvait pas échapper. Cette chose était dans
son coffre. *
(Extrait : LE CHUCHOTEUR, Donato Carrisi,
éditeur Calmann-Lévy, 2010 pour la traduction
française. Édition de papier, 574 pages…Le livre
de poche.)

Depuis qu’ils enquêtent sur les rapts des fillettes, le criminologue Goran Gavila et son équipe d’agents spéciaux ont l’impression d’être manipulés. Chaque découverte macabre, chaque indice les mènent à des assassins différents. La découverte d’un sixième bras, dans la clairière, appartenant à une victime inconnue, les convainc d’appeler en renfort Mila Vasquez, experte dans les affaires d’enlèvement. Gavila et ses agents vont échafauder une théorie à laquelle nul ne veut croire : tous les meurtres sont liés, le vrai coupable est ailleurs. 
Quand on tue des enfants, Dieu se tait, et le diable murmure… un thriller littéraire inspiré de faits réels

Sombre peut être l’humain
*<Billy était un bâtard un BÂTARD ! et j’ai bien fait de le
tuer je le détestais il nous aurait fait du mal parce qu’il
aurait eu une famille et pas nous…personne n’est venu
me sauver PERSONNE.> *
(Extrait)

Tout est noir dans ce livre. L’histoire, l’atmosphère, l’enquête, les personnages, y compris ceux qui portent en eux un secret terrible comme c’est le cas pour Goran Gavila, le criminologue qui traîne en lui le boulet d’un secret soupçonné par un lecteur désarçonné qui assistera, figé, à son dévoilement dans une finale ficelée serrée.

L’auteur va au-delà du thriller psychologique qui fouille à l’infinitésimale les synapses d’un tueur en série hors-série qui n’a rien contre ses victimes…visant autre chose… : * Des parents, qui pour des raisons différentes, n’avaient eu qu’un enfant, une mère qui avait passé largement la quarantaine, et qui n’étaient donc plus en mesure, biologiquement, d’espérer une autre grossesse…<Ce sont EUX ses vraies victimes. Il les a étudiés, il les a choisis. > (Extrait)

Les victimes ne sont pas les fillettes, ce sont leur famille. Comprendre la psychologie de ce tueur en série incorrectement appelé Albert sera le plus grand défi du lecteur qui aura peut-être même à relire cette sordide histoire en partie et même en tout pour en comprendre toutes les facettes.

Dès le départ, l’auteur frappe fort afin d’emprisonner le lecteur dans son intrigue : cinq petites filles disparues, cinq fosses creusées dans une clairière. Dans chaque fosse, un petit bras…puis par la suite, découverte d’un sixième bras appartenant à on ne sait qui.

Avec une intrigue pareille et les maux de tête qui s’annoncent pour les policiers, Mila Vasquez en particulier, le lecteur pourra bien découvrir que l’auteur les mène en bateau avec des longueurs et même un peu d’errance dans le texte, ce qui est singulièrement agaçant…peu importe. Donato Carrisi nous amène exactement là où il veut qu’on aille.

Comme lecteur, attendez-vous à des allers-retours car il semble que chaque découverte suppose un assassin différent. *Au centre de tout ceci, il n’y avait pas une simple chasse à l’homme, mais l’effort pour comprendre le dessein qui se cachait derrière une séquence apparemment incompréhensible de crimes atroces. La vision difforme d’un esprit malade. * (Extrait) Mais de quel esprit s’agit-il exactement? Là, une surprise attend le lecteur.

Toute l’originalité du récit repose sur le chuchoteur, un tueur en série d’une espèce rare peu ou pas développée en littérature policière : *<Mais vous n’êtes pas le seul à pouvoir entrer dans la tête des gens…Dernièrement, j’ai beaucoup appris sur les tueurs en série. J’ai appris qu’ils se divisent en quatre catégories : visionnaires, missionnaires, hédonistes et assoiffés de pouvoir…mais il y a une cinquième sorte. On les appelle tueurs en série subliminaux.>* (Extrait)

d’une main de maître et avec une plume parfaitement maîtrisée, Carrisi amène ses limiers à adopter une théorie d’apparence tirée par les cheveux mais qui finit par s’imposer inexorablement donnant au livre un caractère absolument diabolique et m’ayant donné, comme lecteur, la bizarre impression d’être manipulé. J’ai dit que l’écriture est maîtrisée, c’est vrai mais elle est aussi d’une grande complexité. Ça demande de la relecture et beaucoup de concentration.

Que penser de ce tueur qui a toujours un pas d’avance sur ses poursuivants? C’est une histoire très complexe. Trop à mon avis. L’auteur aurait pu simplifier un peu. Je suis d’accord pour qu’une lecture lance des défis et même exige une certaine recherche. Je le fais souvent. Quand ça devient un fardeau, c’est différent. Malgré tout, le caractère intriguant de l’ouvrage lui sauve la mise.

Donc Pour faire court : polar complexe mais efficace, personnages très aboutis et froids. Se lit avec un minimum de concentration. Ensemble macabre et noir. Certains passages sont répugnants. Langage cru et direct. Atmosphère oppressante, finale éclairante et bien imaginée. Étude très intéressante d’un fond humain tordu au possible évoquant au passage les travers de la société.

J’ai eu l’impression de lire quelque chose de différent. Ça m’a plu.

Né en 1973, Donato Carrisi est l’auteur d’une thèse sur Luigi Chiatti, le  » monstre de Foligno « , un tueur en série italien. Juriste de formation, spécialisé en criminologie et sciences du comportement, il délaisse la pratique du droit en 1999 pour se tourner vers l’écriture de scénarios. Au moment d’écrire ces lignes, LE CHUCHOTEUR son premier roman, vendu à plus de 200 000 exemplaires en Italie, est en cours de traduction dans douze pays et a déjà remporté quatre prix littéraires.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 22 mai 2022

FILM NOIR À ODESSA, livre de WILLIAM RYAN

*Pour finir, il posa son majeur au-dessus de son crâne.
Le dernier coup de marteau…l’ordre n’est peut-être
pas celui-ci, mais peu importe…lui a fait un trou de
cinq centimètres dans la tête. Il lui a fendu le crâne
entièrement…ton frère est bien mort.*
(Extrait : FILM NOIR À ODESSA, William Ryan., 2012,
Flammarion Québec pour l’édition canadienne. Édition
de papier, 335 pages)

URSS, 1937 – L’inspecteur Korolev, des affaires criminelles, est tiré du lit en pleine nuit, à l’heure où un citoyen peut craindre de partir pour ne plus jamais revenir. C’est à Odessa, en mission confidentielle, qu’on l’envoie pour enquêter sur le présumé suicide d’une jeune femme un peu trop liée à un haut dirigeant du Parti. Korolev débarque dans une Ukraine ravagée par les politiques de Staline, décor parfait pour La Prairie ensanglantée, le film scénarisé par son ami Babel. Malgré lui, il se retrouve mêlé aux embrouilles du « roi des Voleurs » de Moscou. Il lui faudra son sang-froid, et l’aide d’une jeune inspectrice pour démasquer les vrais ennemis de la Révolution.

Au cœur de la purge
*-…Vous êtes en état d’arrestation. Lomatkine
réussit à devenir encore plus blême. –Pourquoi ?
Pour avoir fait sortir Andreychuk de sa cellule…
Et avoir comploté avec je ne sais qui ensuite pour
lui coller une balle dans la nuque. *
(Extrait)

C’est un roman très sombre mais fort. Nous sommes en 1937. L’histoire se déroule à Odessa en Ukraine, un pays affamé par Staline, à la tête d’un pouvoir pervers, vicieux et meurtrier. Un inspecteur est envoyé en Ukraine dans une mission ultraconfidentielle pour enquêter sur le suicide d’une jeune femme apparemment liée à un haut dirigeant du parti. Pour Korolev, qui a un haut degré de moralité, la situation est délicate et dangereuse.

Dans ces heures sombres de l’Union Soviétique, la vie humaine ne valait pas cher. Seule la raison d’état était valorisée : *Demeurez discret, camarade, dit Korolev…ce qui se passe ici va bien au-delà de nos petites personnes* (Extrait) Korolev sera aidée par une jeune femme de la milice. Korolev met les deux pieds dans les coulisses d’une contre-révolution.

Pressé de toute part par les autorités du parti, qui ne communiquent pas toujours entre elles, tiraillé entre la traîtrise et les magouilles politiques, Korolev marche sur une corde raide et son souci majeur est de s’en sortir vivant.

Ce qui m’a le plus ébranlé dans ce roman, c’est le non-dit, l’atmosphère étouffante tout à fait conforme à l’oppression soviétique. La peur était partout. Aucun soviétique n’était à l’abri d’accusations gratuites, même des personnages haut placés tombaient en disgrâce pour des raisons souvent simplistes :

*Korolev s’aperçut que, dorénavant, une conversation entre citoyens soviétiques se construisait avec des non-dits, des sous-entendus et des euphémismes* (Extrait) l’hypocrisie régnait partout et les dénonciations étaient souvent récompensées d’un simple bout de pain.

Dans le verbal, ce qui a retenu mon attention, c’est l’intrigue qui est bien ficelée. L’efficacité de la narration m’a accroché dès le départ. Le roman est facile à lire avec des chapitres courts et un fil conducteur stable.

Il faut simplement faire attention à la grande quantité de personnages qui vont et viennent dans le récit, portant des noms russes qui souvent se ressemblent. Par moment, ça vient un peu mêlant. L’intensité dramatique et la profondeur de l’intrigue vont crescendo.

J’ai été aussi fasciné par l’écriture de Ryan. Elle est directe, parfois choquante, teintée d’un humour plus ou moins noir et pour plusieurs passages, elle ne manque pas d’élégance : *Il entendit dans son dos l’arme de Slivka qui débitait en rugissant une condamnation à mort de huit-cents mots par minute, et en se tournant, il vit le revolver de Mishka tressauter dans son poing comme la jambe d’une danseuse de cancan.* (extrait)

L’écriture est puissante et fortement imprégnée de la malfaisance stalinienne : terreur, faim, incertitude, complot, trahison qui s’’incrustent dans la motivation des personnages. Le roman a quelque chose d’étouffant. C’est voulu et travaillé. Le lecteur est intrigué et envahi par le doute. Il veut savoir…il tourne les pages…

J’ai beaucoup aimé ce roman. L’auteur restitue brillamment l’atmosphère suffocante du régime soviétique. L’intrigue est menée de main de maître dans un cadre précis, les personnages sont intéressants. Slivka, la jeune policière est attachante. Korolev aussi, très instinctif et toujours au bord de manquer de cigarettes. La finale m’a impressionné, le coupable étant celui que je croyais le plus improbable.

Je vous laisse découvrir ce que le régime soviétique réserve à Korolev et par la bande à Slivka. Allez-y sans crainte…ça vaut la peine.

Suggestion de lecture : HIVER ROUGE, d Dan Smith


William Ryan, né en Irlande, a fait ses études à Dublin, avant d’entrer au barreau de Londres où il a ensuite travaillé comme avocat à la City. Il a écrit pour la télévision et le cinéma, avant de se consacrer à la littérature. Après Le Royaume des voleurs, sélectionné par l’Association britannique des auteurs de romans policiers pour le prix John Creasey (New Blood) Dagger 2010, il signe Film noir à Odessa, la deuxième enquête menée par l’inspecteur Korolev.

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 27 juin 2021