LE PLONGEUR, le livre de Stéphane Larue

*-T’es qui toé ? On te connait pas la face. Il regarde
Bébert, avec un sourire débile. Il pue le cendrier. –
Tu t’es amené un petit bodyguard. Bébert lève la
main, la paume tournée vers le gars, un peu comme
Magnéto qui arrête une rafale de mitraillette. Je ne
L’ai jamais vu tendu et silencieux comme ça.*

(Extrait : LE PLONGEUR, Stéphane Larue, Le Quartanier
éditeur, 2016. Édition de papier, petit format, 567 pages)

Nous sommes à Montréal au début de l’hiver 2002. Le narrateur est étudiant en graphisme, il dessine depuis toujours et veut devenir bédéiste et illustrateur. Mais depuis des mois, il évite ses amis, ment, s’endette, aspiré dans un tourbillon qui menace d’engouffrer sa vie entière : c’est un joueur. Il joue aux loteries vidéo et tout son argent y passe. Il se retrouve à bout de ressources, isolé, sans appartement.

C’est à ce moment qu’il devient plongeur au restaurant La Trattoria, où il se liera d’amitié avec Bébert, un cuisinier expérimenté, jeune mais déjà usé par l’alcool et le speed. Pendant un mois et demi, ils enchaîneront ensemble les shifts de soir et les doubles, et Bébert tiendra auprès du plongeur le rôle de mentor malgré lui et de flamboyant Virgile de la nuit.

On découvre ainsi le train survolté d’un restaurant à l’approche des fêtes et sa galerie mouvante de personnages : propriétaire, chef, sous-chefs, cuisiniers, serveurs, barmaids et busboys. Tous sont dépeints au plus près des usages du métier, avec une rare justesse. C’est en leur compagnie que le plongeur tente de juguler son obsession pour les machines de vidéopoker, 

Prix des libraires du Québec 2017
> Prix Senghor 2017
> Prix des Rendez-vous du premier roman 2017
> Finaliste au Prix littéraire des collégiens 2018
> Finaliste aux Prix du Gouverneur général 2017

Les mécanismes de l’addiction
<Délaissant de plus en plus mes travaux de cégep, j’avais joué mes loyers d’août, puis de septembre, puis d’octobre, au long d’après-midi lents et engourdis, assis devant une machine de vidéo poker, dans des tavernes quasiment vides ou des bars de danseuses…

Je buvais de la bière qui goûtait le détergent et je brûlais billet de vingt après billet de vingt …à espérer qu’enfin, dans les neuf cases de l’écran, les cloches formeraient une croix et que la banque se viderait dans mes mains. Non seulement je ne gagnais presque rien, mais… j’avais perdu davantage que dans les mois qui avaient précédé. Je n’avais pas encore compris la formule. Plus tu joues, plus tu perds. (Extrait) 


C’est un roman aussi fort que noir, axé sur la tension psychologique ressentie par le joueur pathologique. Cette tension déteint rapidement sur le lecteur et la lectrice. C’est en tout cas ce que moi, j’ai ressenti, en plus d’un profond attachement pour Stéphane, le narrateur de cette histoire, un joueur compulsif dont tout l’argent passe dans les loteries vidéo.

Le seul fil qui relie Stéphane à la réalité du quotidien est son travail de plongeur dans un grand restaurant : La TRATORIA. Il s’y lie d’amitié avec les employés, en particulier Bébert, un excentrique amateur de bière et de pilules. Certaines de ces liaisons ne seront pas sans danger mais peu importe les raisons, les motifs ou la façon, le plongeur joue sa vie.

Le jeu en particulier bouffe tout et amène Stéphane à mentir, à s’isoler, à s’endetter et à malmener dangereusement son estime de soi. L’auteur utilise le cadre de vie de Stéphane et développe un grand thème : l’addiction. Le plongeur croyait sincèrement que la plonge allait lui occuper l’esprit et l’éloigner du jeu…mais le jeu grignote l’esprit…implacablement.

J’ai développé de l’empathie pour le plongeur, désolé de le voir bousiller sa vie à cause du jeu, et essoufflé pour lui dans les nombreux passages consacrés à son travail de plongeur. Je dis que le roman est noir en fait parce que l’auteur nous fait descendre lentement mais sûrement dans la conscience et l’esprit d’un joueur compulsif et c’est sombre à en faire peur :

*Mon jeton a été balayé par le croupier. J’avais l’impression d’être enveloppé dans un acouphène, coupé du reste du monde… Je n’aurais pas pu me lever de la table pour aider ma mère mourante à dix mètres de moi.

Toutes mes facultés ou presque étaient engourdies… J’ai misé en deçà de toute volonté, maintenu en place sur ma chaise par le frisson de milliards d’aiguilles le long de mon épine dorsale…* (Extrait)

Cet extrait révèle de façon précise non seulement l’état d’esprit du joueur pathologique mais toute la beauté de l’écriture de Stéphane Larue.

C’est un récit profondément humain, bien écrit, accrocheur. L’histoire n’est pas sans rappeler LE JOUEUR de Fiodor Dostoïevsky qui décrit brutalement le jeu comme corrupteur moral :

*Le jeu brûle tout. Il est la passion. Il est le rêve.
L’enfer et la démesure. Le révélateur des abîmes de l’âme et l’ignoble concentré de la comédie bourgeoise. Il est l’argent ! *
(Extrait : LE JOUEUR)

Il savait de quoi il parlait le grand Fiodor car il était lui-même joueur invétéré. Je me suis accroché au destin de Stéphane jusqu’à la toute fin, ce qui m’a permis de découvrir une belle leçon d’amitié et les effets de baume d’un sens aigu de la famille.

Le récit pointe du doigt les incontournables addictions sociales créées et entretenues par une société avide de profit. Il n’est pas encore admis par tout le monde que le jeu compulsif est une maladie. Enfin j’ai beaucoup apprécié les passages sur la plonge et je rends hommage aux personnels de cuisine. Il faut être solide.

Le seul petit reproche que je peux faire au livre concerne sa finale que j’ai trouvé sensiblement sous-développée. J’aurais aimé savoir par exemple quel a été le sort de Greg. Est-ce que le logeur du plongeur, Vincent, a fini par être remboursé et récompensé pour son incroyable patience. Et qu’est-il advenu de Marie-Lou?

J’ai trouvé un peu frustrant aussi les passages en anglais. Mais au final, LE PLONGEUR est un livre excellent, un récit qui rend captif le lecteur. Il faudra surveiller la carrière de l’auteur Stéphane Larue. Elle est prometteuse

Suggestion de lecture : ARMADA, d’Ernest Cline

.

Stéphane Larue est né à Longueuil en 1983. Il a publié Le plongeur en 2016, qui a remporté en 2017 le Prix des libraires du Québec et le prix Senghor, en plus d’avoir été finaliste aux Prix du Gouverneur général et au Prix littéraire des collégiens. Il détient une maîtrise en littérature comparée de l’Université de Montréal. Il travaille dans le milieu de la restauration depuis le début des années 2000. Il vit à Montréal.

Bonne lecture
Claude Lambert
janvier 2020

L’ÉPREUVE, tome 1, LE LABYRINTHE, de James Dashner

*Les griffeurs ont un sale effet sur leurs victimes, un truc très douloureux qui les secouent de la tête aux pieds. Ceux qui sont passés par là ne sont plus jamais les mêmes.* (Extrait : L’ÉPREUVE tome 1, éditions Pocket jeunesse Univers poche, 2013, numérique, 680 pages)

Thomas, un ado de 16 ans reprend graduellement conscience. Il ne se rappelle de rien sauf de son nom. Il est dans un ascenseur qui le conduit dans un labyrinthe aux murs infranchissables où vivent déjà une quarantaine d’ados. La vie y semble bien organisée. Des vivres apparaissent chaque jour.  Des monstres d’acier longent le labyrinthe chaque nuit et empêchent toute activité. Un jour, une jeune fille fait son entrée dans le labyrinthe par l’ascenseur. Elle a un message : *C’EST LA DERNIÈRE*. L’approvisionnement cesse. Une épreuve impitoyable commence. 

VASE CLOS
*Comment peut-on bouger une masse pareille? Ces
murailles sont gigantesques, on dirait qu’elles sont
là depuis mille ans. L’idée de voir ces murs se
refermer et le piéger dans cet endroit qu’on appelait
le BLOC lui glaçait le sang.
(Extrait : L’ÉPREUVE, livre 1, LE LABYRINTHE)

Voici un excellent livre qui vous assurera un extraordinaire moment de lecture. Je viens d’ailleurs de le placer dans le TOP 50 de mes meilleures lectures à vie. LE LABYRINTHE est une dystopie, premier tome d’une trilogie intitulée L’ÉPREUVE, adaptée au cinéma. Idéalement, pour lire ce livre, il faut du temps parce qu’il est frustrant d’en interrompre la lecture.

Mon attention a été retenue dès le départ, saisi et intrigué que j’étais par l’étrange environnement dans lequel le personnage principal, Thomas a été catapulté, ne se rappelant que de son prénom, amené par une **boîte-ascenseur** venant d’on ne sait où.

Thomas venait ainsi rejoindre une communauté de jeunes garçons ados vivant depuis plus de deux ans, approvisionnés à chaque semaine, dans un vase clos comprenant ce que l’auteur appelle un bloc et tout autour, un immense labyrinthe dont les murs se déplacent et se ferment chaque soir. Après deux ans, aucun coureur n’a jamais trouvé de sortie et plusieurs ont subi la transformation suite aux piqures de cruelles bestioles qui rôdent dans le labyrinthe.

Quand j’ai plus de cinq questionnements sérieux dès les premières pages d’un livre, j’en deviens prisonnier, c’est inévitable. C’’est quoi cette «boîte ascenseur» et d’où elle vient? Qui sont ces jeunes et pourquoi ont-ils perdu la mémoire? Pourquoi sont-ils enclavés devant le labyrinthe?

Pourquoi la dernière personne arrivée au bloc est une fille et que veut dire le message qu’elle tient à la main : «c’est la dernière, il n’y en aura pas d’autres». C’est quoi ce labyrinthe et ces créatures meurtrières… j’arrête ici…disons que la liste est très longue.

Bref, ma curiosité a été constamment stimulée. J’ai eu les réponses à mes questions, mais à la petite cuillère seulement. Comment lever le nez d’un livre quand on va de surprise en surprise et de rebondissement en rebondissement.

Je ne peux pas tout dévoiler, mais imaginez un monde désespéré, en perdition, atteint par une maladie provoquant des souffrances qui mènent à la folie, ajoutez-y des scientifiques tarés, des jeunes qui ont un point en commun : une intelligence supérieure et un endroit étrange pour les parquer, vous obtenez LE LABYRINTHE, premier volet d’une expérience tordue qui fera mal…très mal. Vous trouvez que j’en ai beaucoup dévoilé? Vous n’avez rien vu.

En plus d’une intrigue solide qui s’intensifie au fil des pages, le livre a tout pour plaire aux jeunes comme aux moins jeunes : des chapitres courts, des phrases courtes, une plume habile d’une remarquable fluidité, une trame captivante qui enveloppe le lecteur, intensité dramatique en crescendo. Le sujet est original et la finale donne l’EAU À LA BOUCHE.

Vous pouvez lire mon commentaire sur les tomes 2 et 3 ici  et sur le livre de Dashner qui raconte l’histoire qui précède LE LABYRINTHE ici.

Suggestion de lecture  : LE SICARIER, de Danny-Philippe Desgagné

James Dashner est un auteur américain né en 1972. Après avoir écrit des histoires inspirées du SEIGNEUR DES ANNEAUX, il a suivi des études de finances, mais très vite, il est revenu à sa passion de l’écriture. Aujourd’hui, il continue d’inventer des histoires inspirées de ses livres et films préférés. Sa dernière trilogie L’ÉPREUVE connait un immense succès aux États-Unis …tellement qu’après la trilogie, Dashner a écrit un nouveau tome pour éclaircir les derniers mystères du labyrinthe.

LA TRILOGIE ET LE PRÉQUEL

 LE LABYRINTHE AU CINÉMA

                 

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
le dimanche 4 mars 2017