PÉRIL EN MER, le livre d’Olivier Descamps

*Est-ce que je suis le seul à me sentir mal ?… Tania sourit
encore  puis elle s’apprête à partir. À ce moment-là, elle
voit quelque chose derrière moi, et ses yeux s’agrandissent.
Elle pousse un cri et s’accroche à mon bras.* 
(Extrait : PÉRIL
EN MER, Olivier Descamps, Héritage jeunesse éditeur, 2019,
édition de papier, 320 pages, Collection Frissons sang pour sang
québécois)

Lorsque Pierre accepte de passer une fin de semaine sur un catamaran avec des amis de son école, il est heureux de fuir l’inquiétant personnage qui le pourchasse depuis l’invitation. Pierre pense être la nouvelle victime des Croquemitaines, un groupe anonyme qui effraie des élèves pour poster sur internet les vidéos de leurs proies. Ce voyage en bateau est pour lui une façon d’échapper aux mauvais plaisantins. Mais quand les apparitions continuent au milieu de la mer, il n’est plus certain qu’il s’agisse d’une blague.

FRISSONS sang pour sang québécois
*J’hésite. Je sais que c’est presqu’impossible.
Jérôme s’avance. Je me mets devant lui
instinctivement. Il fait un geste et la peur me
retourne l’estomac*
(Extrait)

C’est un livre intéressant pour les 8 à 12 ans. Il l’est aussi  pour les adultes, dans la mesure où ils peuvent comprendre les codes et les procédures qui régissent les relations entre les ados et apprécier la psychologie de ce groupe d’âge particulièrement friand de frissons et d’émotions fortes.

Revoyons un peu le synopsis : Dans un lycée, un groupe de jeune se fait appeler LES CROQUEMITAINES. Leur raison d’être est de capturer en vidéo des scénarios de terreur d’adolescents persuadés de se faire tuer. Dans le plus récent scénario, Charles, dont la vie a été gâchée par les moqueries de ses pairs, perd connaissance suite à une panique incontrôlable. Le tout est filmé et diffusé bien sûr. Vivement une autre victime qui pourrait bien être la dernière.

Pierre, le personnage principal de cette histoire accepte une excursion en haute mer à bord d’un catamaran, prochaine victime toute indiquée des Croquemitaines. Mais rien ne se passe comme prévu et une série d’épreuves amènera Pierre à découvrir la véritable nature des Croquemitaines.

Ce récit met en perspective l’existence, dans beaucoup de collèges et dans la Société en général de petites confréries, bien inoffensives, mais dont quelques-unes développent un esprit sectaire et sont dirigées par une personne psychologiquement instable. L’histoire rapporte de nombreux exemples à ce rayon…un des plus célèbres étant la secte de Jim Jones.

Notre histoire ne va pas aussi loin bien sûr mais les fondements et les motivations sont similaires et reposent sur la manipulation, la naïveté et la pusillanimité. Le développement de ce récit m’a semblé ordinaire ou disons conventionnel. Mais j’ai été moi-même surpris par certains rebondissements imprévus et for bien calculés.

Le rythme très modéré de la plume entretient le mystère et la finale est très bien travaillée quoiqu’elle pourrait forcer les jeunes lecteurs à revenir en arrière pour comprendre l’ultime conclusion. O surprise c’est la grande Agatha Christie qui va amener Pierre à compléter le puzzle. Je ne peux évidemment pas en dire plus, mais j’ai apprécié le petit clin d’œil d’Olivier Descamps sur le pouvoir des livres.

C’est un livre bien écrit qui pousse à la réflexion sur nos anxiétés, peurs, angoisses souvent exacerbées dans l’enfance et dans l’adolescence par des relations familiales complexes et insécurisantes et le livre vient nous rappeler aussi que dans l’entourage des jeunes, ils se trouvent toujours des pairs dont la popularité s’est construite sur la manipulation et l’intimidation. Ces jeunes font souvent des adultes peu convenables…

la principale faiblesse du récit repose sur ce qu’on sait des Croquemitaines : peu de choses. Par opposition à la structure psychologique de Pierre, le point fort du roman, on ne sait presque rien sur la psychologie des autres personnages, Jérôme en particulier. Comment tout a commencé. Il aurait été intéressant d’ajouter quelques scénarios de vidéos pour mieux comprendre les motivations du groupe.

Mais en général, ça se laisse lire assez vite. La deuxième moitié en particulier pousse les jeunes lecteurs à se mettre en mode *tourne-page*. Je signalerai ici un dernier élément de réflexion évoqué très brièvement dans le récit et qui m’évoque la fondation d’un édifice : on n’en fait jamais assez pour protéger ses données personnelles.

Enfin, beaucoup de jeunes lecteurs apprécieront je crois que l’auteur ait choisi de mettre isolément et en caractère gras les émotions de Pierre :
*Isolé depuis plusieurs jours, je me suis imaginé le pire.*
*Quelque chose attrape mon pantalon.*
*Je ne respire plus, tétanisé*.
*L’image du monstre sortant de l’eau me revient*
*Un sanglot étouffe son dernier mot.*
(Extrait)
Les jeunes vont passer, je crois, un bon moment de lecture.


Après des études à l’université de la Sorbonne, Olivier Descamps part s’installer au Québec pour écrire. Scénariste depuis plusieurs années, il n’a jamais cessé de raconter des histoires, teintant ses fictions des grandes questions de ses recherches philosophiques.

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d’autres titres de la collection FRISSONS

Bonne lecture
Claude Lambert

le dimanche 29 mai 2022

P’TIT BOUT, le livre d’ALEX WHEATLE

*McKay m’a regardé comme si j’étais un extra-terrestre
qui a mauvaise haleine. «…Pourquoi toi ? C’est vrai
quoi… t’es un nabot ! Les canons craquent pas pour
les nabots d’habitude. C’est juste…pas normal. C’est
pas logique…» Je suis sorti de ce gymnase et, pour la
première fois de ma p’tite vie, j’avais l’impression
d’être…grand.*
(Extrait : P’TIT BOUT, Alex Wheatle, Éditions Au Diable
Vauvert, numérique et papier, 347 pages. 2017.
Littérature jeunesse)

Voici l’histoire de Lemar, un ado près de ses 14 ans qui vit avec sa grand-mère, sa mère et sa sœur dans un petit logement au cœur d’une ville anglaise. Lemar est, physiquement, ce qu’on appelle un petit format. Petit mais énergique, Lemar, appelé p’tit bout, caresse de grands rêves. Un jour,  Quand Venetia King, la fille la plus sexy du collège, commence à s’intéresser à lui, une autoroute semble s’ouvrir vers son premier rendez-vous. Mais le chef du gang le plus célèbre de South Crongton a d’autres projets pour lui… Voyons voir comment P’tit bout va se débrouiller pour aller au bout d’un de ses rêves…on peut être petit sans manquer de grandeur…

PETITES LEÇONS D’HUMANITÉ
*Est-ce que je devais l’embrasser sur la joue quand j’aurais
fini de la dessiner ? Est-ce que je devais lui montrer ma
chambre ? … En fait, vaut mieux que j’oublie l’idée du
baiser, j’veux pas foirer mes chances de passer aux étapes
supérieures. Dans deux semaines, on ira peut-être se faire
un ciné ou quelque chose. Ouaip, et c’est là que je lui ferai
du bouche à bouche.
*
(Extrait)

Voici un petit roman léger, drôle et divertissant. Il a un aspect dramatique mais il est développé intelligemment. Voyons ce qu’il en est : C’est l’histoire de Lemar, un garçon de 14 ans, tout à fait normal à une exception près : il est petit pour son âge et d’aspect fragile. Tellement qu’il se fait appeler P’TIT BOUT.

Mais il ne faut pas trop se fier aux apparences. Ce n’est pas un détail qui obsède Lemar : *Tout le monde m’ignorait. Parfois, être un minus présentait un avantage. Personne ne voyait en moi un danger ou ne me considérait d’une quelconque importance.* (Extrait) Lemar travaille presqu’à temps plein pour attraper dans ses filets le canon du lycée, la fille de ses rêves: la belle Venetia King.

Malheureusement, les plans de Lemar sont continuellement chamboulés par les demandes étranges et capricieuses de Manjaro, un petit truand du quartier sud de de Crongton, un caïd auquel il est difficile de dire non. Or ce petit mafieux est le beau-frère de P’TIT BOUT, ex petit ami de sa sœur Élaine et père de son neveu, Jérôme, le bébé d’Élaine. P’TIT BOUT joue un jeu très dangereux. Un drame est inévitable…je vous laisse le découvrir…

L’attirance de Lemar pour la belle Vénetia devient magnétique : *Elle était si sexy qu’elle m’a donné plus chaud qu’un chili épicé sous un soleil de ouf au Mexique. Mon fantasme de plage hawaïenne a eu raison de tout ce que j’avais d’autres dans la tête.* (Extrait)

Les sujets développés dans ce petit roman sont très proches des jeunes : les garçons, les filles, l’éveil des sentiments, les séparations, les familles recomposées…tout ça au beau milieu d’une guerre de gangs et d’une série de règlements de compte qui met Lemar en danger ainsi que sa famille, sa mère, sa grand-mère et bien sûr le petit Jérôme et sa maman Élaine.

P’TIT BOUT est un livre rafraîchissant que j’ai savouré page par page. Lemar est terriblement attachant. C’est un garçon authentique qu’on prendrait plaisir à garder à nos côtés. Dans les petits hics, j’ai trouvé la finale un peu platonique parce qu’elle ne met pas la suite en place. Mais en réalité, Alex Wheatle écrit une trilogie dans laquelle on peut suivre Lemar.

Je suis donc content que ça ne s’arrête pas là. Autre petit irritant : le niveau de langage : *Je pensais l’avoir fâchée en n’acceptant pas son argent, mais comment j’aurais pu prendre sa thune alors que je voulais qu’elle soit ma meuf ?* (Extrait) Eh oui, ça se pourrait bien que le langage très argotique déployé dans le texte énerve les québécois. Ainsi les filles deviennent des meufs, les policiers sont des keufs, la maison familiale est une case et bien sûr, les fesses sont évoquées à tous les égards. Ici, on ne fait pas attention, on fait gaffe à ses fesses.

On ne s’assoit pas, on pose ses fesses, on ne revient pas, on ramène ses fesses, on ne poursuit pas en justice, on colle un procès aux fesses. C’est un roman à la sauce très…très française. Ça m’énerve, ça me fatigue, ça m’irrite mais P’TIT BOUT est un tel rayon de soleil qu’on passe à côté de ces désagréments. Que je l’aie voulu ou pas, je me suis senti happé par le récit et impliqué d’une certaine façon car j’avais vraiment envie d’aider et d’assister Lemar.

P’TIT BOUT est un récit chaleureux et humain qui brasse un peu les émotions et qui pousse à l’empathie. Faut-il s’en surprendre ? L’auteur, que j’ai envie d’appeler amicalement Alex est né de famille haïtienne, a grandi dans les ghettos pauvres de Londres. Entre autres activités littéraires, il a organisé des ateliers d’écriture dans des maisons de redressement. Il en sait long sur les jeunes et sur leur inépuisable soif de vivre, d’amour et de reconnaissance.

Peut-être le récit a-t-il un cachet autobiographique. Une chose est sûre, que vous soyez petit et frêle au point de vous faire appeler *demi-portion*, *minus*, semi-homme, petit format ou autres sobriquets blessants, P’TIT BOUT, le livre d’Alex Wheatle vient nous rappeler que ce n’est pas parce qu’on est petit qu’on manque de grandeur.

Alex Wheatle est un auteur jamaïcain né à Londre et qui a grandi à Brixton où se situe l’action de plusieurs de ses romans… son premier livre, Brixton Rock (1999), raconte l’histoire d’un garçon de 16 ans de race mixte, dans les années 80 à Brixton. Brixton Rock a été adapté pour la scène et présenté au Young Vic en 2010. Sa suite, Brenton Brown a été publiée en 2011.

Parmi les autres romans, citons In The Seven Sisters (2002), dans lequel quatre garçons échappent à une vie abusive dans une maison d’enfants; et Checkers (2003), écrit avec Mark Parham, a été publié en 2003. Sa pièce, Shame & Scandal , a fait ses débuts au Théâtre Albany de Deptford en octobre 2015. Alex Wheatle vit à Londres. Il a reçu un MBE pour services rendus à la littérature en 2008.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 13 mars 2021

INTIMIDATION, le livre de HARLAN COBEN

*« Papa?
« Quoi?
« Où est maman?
Adam ferma les yeux.
« Je te l’ai dit. Elle est partie à un truc de profs.
« Elle vient d’y aller à un truc de profs.
« C’en est un autre.
« Et ça se passe où?
« À Atlantic City.
Thomas secoua la tête.
« Non.
« Comment ça non?
« Je sais où elle est, dit Thomas. Et c’est pas à Atlantic City.
(Extrait : INTIMIDATION, Harlan Coben, Belfond éditeur, 2016, édition de papier, 390 pages)

Adam est un avocat, de toute évidence heureux en ménage. Un jour, lors d’une soirée, la vie d’Adam va basculer lorsqu’il sera abordé par un parfait inconnu qui lui révèlera que Corinne lui a fait un terrible mensonge. Adam doit-il donner du crédit à une aussi aberrante révélation venant de quelqu’un qu’il ne connait pas du tout ? Mais que sait-on vraiment de la personne qui partage notre vie. Adam décide de confronter Corinne, mais cette dernière s’enfuit en lui laissant un énigmatique message. Adam veut connaître une vérité qui risque de faire très mal…Tueurs à gage, réseaux illicites… Comment une femme sans histoire a-t-elle pu se trouver au cœur d’une aussi étrange machination. Quelque chose de terrible est sur le point d’arriver. Adam le sent…

UNE EFFRAYANTE MACHINATION
*Adam scruta l’écran, plutôt de bas en haut
que l’inverse. Au départ, rien de nouveau :
lui, les garçons, les collègues, les amis…
Quand soudain il aperçut un numéro
familier, et son cœur manqua un battement.
(Extrait : INTIMIDATION)

C’est le deuxième livre que je lis d’Harlan Coben. Le premier était SANS UN MOT qui a fait l’objet d’un commentaire sur ce site en octobre 2016. Même s’il ne m’avait pas impressionné, je considère SANS UN MOT supérieur à INTIMIDATION. Les deux titres, soit dit en passant, développe le thème de la cybercriminalité.

C’est courant avec Coben, une grande quantité de personnages qui se croisent et s’entrecroisent, des épisodes de chantage qui s’entrecoupent et qui finissent par converger à la fin. Cette façon d’écrire joue avec la patience du lecteur car dans la première moitié de l’ouvrage, je ne savais pas trop à quoi m’accrocher.

Pourtant, l’histoire en elle-même est originale : Un parfait inconnu aborde Adam dans une soirée et lui murmure à l’oreille que sa femme lui a menti sur toute la ligne. Ainsi Adam découvre que la grossesse de sa femme était bidon…simulée. Adam va enquêter avec acharnement mais son enquête prend des directions anarchiques.

J’ai été patient parce que je voulais connaître la finale. Harlan Coben est réputé pour ses finales surprenantes. À ce titre, je n’ai pas été déçu. Tout s’imbrique rapidement à la fin. Si la finale est satisfaisante pour les lecteurs, la façon d’y arriver m’a un peu découragé.

Le récit a tout de même quelques forces. Le rythme est soutenu parce que l’intrigue s’intensifie au fur et à mesure qu’on se rapproche de la fin. Le lecteur est particulièrement à l’aise dans la deuxième moitié du livre alors qu’on commence à comprendre le cauchemar que vit Adam jusqu’à la finale que j’ai trouvé surprenante.

Les personnages de l’histoire ne sont pas spécialement attachants, même Adam sauf que j’ai pu apprécier son acharnement à connaître la vérité et je me suis rendu compte que pour un temps, je me suis acharné avec lui, surtout dans la 2e moitié de l’histoire. Il y a donc un certain magnétisme qui opère dans la plume.

J’ai de la difficulté avec cette façon d’écrire. Ce que je recherche dans un récit peu importe sa longueur, c’est qu’il y ait dès les premiers chapitres un certain brassage d’émotions et que j’aie une bonne idée du profil des personnages.

Si l’auteur tient à ce que les personnages me *parlent*, il prendra soin de leur donner de la profondeur et de faire en sorte que je comprenne leur psychologie. Il devient alors plus facile de ressentir le message ou l’intensité dramatique du livre. Ainsi, je peux ressentir l’empathie, la colère, l’angoisse, etc.

Je n’ai lu que deux livres de Coben, mon commentaire ne peux s’étendre à toute sa bibliographie mais dans les deux cas, il y a eu peu de ressenti et quand on lit un livre avec comme unique intérêt d’arriver à la finale dès que possible, on ne peut pas appeler ça un grand moment de lecture. Heureusement, INTIMIDATION se lit vite et bien avec des chapitres courts et une excellente ventilation.

Voilà…ça fait peut-être très cliché, mais la balle est dans le camp du lecteur.

Harlan Coben est un écrivain américain spécialisé dans le roman policier et né le 4 janvier 1962 dans une famille juive. Il est le premier auteur à avoir reçu trois des prix majeurs de la littérature policière aux États-Unis : Le prix Edgar Allan Poe, le prix Shamus et le prix Anthony. L’œuvre d’Harlan Coben est considérable. Pour y jeter un œil, je vous suggère de visiter le site officiel de Harlan Coben en version française. Cliquez ici.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 23 février 2020

TREIZE RAISONS, le livre de JAY ASHER

*-Eh, mollo ! C’est moi… qu’est-ce que tu fais là? Je lui demande. Sous mes yeux,
Marcus brandit une grosse pierre de la taille de son poing. -Prends ça, dit-il. Je lève les yeux vers lui. Pour quoi faire? -Tu te sentiras mieux après, Clay. Sérieux.* (Extrait: Treize raisons, Jay Asher 2007, t.f et rééditions 2010, 2014, 2017, Albin Michel, éditions de papier, 290 pages.)

*-J’espère que vous êtes prêts, parce que je vais vous raconter l’histoire de ma vie. Ou plus exactement la raison pour laquelle elle s’est arrêtée. Et si vous êtes en train d’écouter ces cassettes, c’est que vous êtes l’une de ces raisons.*
En entendant ces mots, Clay Jensen croit à une erreur, il n’a rien à voir dans la mort d’Hannah Baker. D’abord choqué, il erre dans la ville endormie, suspendu à la voix de son amie. Et ce qu’il va découvrir va changer sa vie à jamais.

SUICIDE RAISONNÉ
*À la fin du cours, Mrs Bradley a distribué des
tracts intitulés «les signaux indicateurs chez
les personnes à tendances suicidaires».
Devinez ce qui venait en tête du top 5?
«Un brusque changement d’apparence.»
J’ai tiré sur une mèche de mes cheveux courts.
hmm…Si prévisible, moi? Qui l’eût cru?
(Extrait : TREIZE RAISONS)

TREIZE RAISONS est le récit de Clay Jensen, un des treize désignés sur les cassettes enregistrées par une adolescente perturbée, Hannah Baker. Avant de mettre fin à ses jours, Hannah a enregistré des cassettes dans lesquelles elle pointe du doigt chacune des treize personnes qui aurait une responsabilité dans son suicide.

Clay se demande qu’est-ce qu’il fait sur ces cassettes, quel est son rôle. Il décide donc de les écouter, une par une…pour comprendre. C’était capital pour Clay de comprendre, d’autant qu’il avait un sentiment amoureux pour Hannah. La vie de Clay ne sera plus jamais la même à cause de ce qu’il a entendu…et compris.

Il est étrange ce livre. Je l’ai trouvé dur, dérangeant et il touche une corde extrêmement sensible : le suicide. Il pourrait heurter certains lecteurs, certaines lectrices qui, comme moi par exemple, trouvent le suicide très difficilement justifiable. Un livre qui confronte une école de pensée, ce n’est pas nouveau, ce n’est pas malsain non plus.

C’est l’idée de base qui m’a mis mal à l’aise. C’est vrai. Le livre est poignant, émouvant. L’auteur prend le lecteur à témoin d’une incroyable succession de malheurs, trahisons, de coups bas, le tout porté, voire bercé par un nuage d’indifférence.

Ce qui m’a dérangé en particulier, c’est que dans ce livre, l’idée du suicide est développée un peu à la façon d’une téléréalité à rebours. On dirait un scénario. Le suicide est plus que raisonné ici, il est présenté comme la seule solution au problème d’Hannah et ça, c’est singulièrement dérangeant car ça laisse supposer qu’il n’y a plus d’espoir, plus rien à faire. Ça me dépasse et ça livre un message qui va complètement à l’encontre de mes croyances. Dans son histoire, Hannah ne communiquait pas.

Les sentiments ne se sont jamais développés avec Clay parce qu’ils n’ont jamais su communiquer. Hannah avait besoin d’aide. Il y en a un qui a essayé : monsieur Porter, le prof d’anglais. Il s’est joliment planté quand il a évoqué l’ultime possibilité pour Hannah de tourner la page…mauvaise idée.

Au moins, ai-je développé un courant d’accord avec Clay : il n’en revenait pas et moi non plus : *J’aimerais seulement trouver une trace d’elle loin de la laideur de ces cassettes. C’est même une nécessité vitale*  (Extrait)

Je sais, je vais un peu à contre-courant de la critique. TREIZE RAISONS est considéré comme un chef d’œuvre de la littérature américaine. Plus d’un million d’exemplaires vendus. Moi je l’ai trouvé décevant et dévastateur. C’est un livre-spectacle porté à l’écran. J’en reste au livre toutefois : il ne contient pas de volonté évidente de privilégier la prévention, rien ou presque sur les signes annonciateurs de suicide.

Dans un communiqué émis en avril 2017 par l’Association québécoise de prévention du suicide, l’organisme s’inquiète de voir des jeunes déjà fragiles s’identifier à Hannah Baker et à son choix fatal : *La série peut renforcer l’idée que le suicide est un résultat « naturel » de l’intimidation ou d’autres difficultés, ce qui n’est pas le cas* (AQPS/Radio-Canada)

Le succès télévisuel de TREIZE RAISONS a convaincu NETFLIX de poursuivre l’aventure. J’espère que l’accent sera mis davantage sur la prévention, la formation en relation d’aide qui devrait même faire partie du programme scolaire de secondaire.

Je l’ai déjà dit, aucun livre n’est foncièrement mauvais sauf de rares exceptions. TREIZE RAISONS véhicule une espèce de non-dit qui évoque le refus de cette saleté qu’on appelle l’indifférence, l’action devant l’intimidation et qui appelle à une meilleure compréhension de la fragilité psychologique des adolescents, l’importance de développer une capacité d’empathie.

Ça peut paraître étrange mais c’est comme ça, le non-dit parle dans l’écrit et je l’ai ressenti. C’est la qualité du défaut de ce livre.

Je crois qu’il y a toujours de l’espoir. J’aurais préféré que le livre manifeste cette croyance…

Jay Asher est un romancier américain né en Californie dans une famille qui a toujours encouragé ses goûts artistiques. Treize Raisons, son premier roman, a reçu de nombreuses distinctions, dont celle du Teen Book Review, et a figuré sur la liste des best-sellers du New York Times. Treize Raisons est devenu une référence de la littérature jeunesse actuelle. (lecteurs.com)
Il a été adapté à la télévision en 2007. succès immédiat,  fulgurant. forçant la réédition du livre.

TREIZE RAISONS À LA TÉLÉ

Katherine Langford et Dylan Minette sont les acteurs principaux de la série TREIZE RAISON inspiré du livre de Jay Asher et développée en 2017 par Brian Yorkay pour Netflix. 

Bonne lecture

Claude Lambert

le dimanche 25 août 2019

L’ORANGE MÉCANIQUE, livre d’ANTHONY BURGESS

*…Alors on l’a croché aux pattes, si bien qu’il s’est
étalé à plat, raide lourd, et qu’un plein baquet de
vomi biéreux lui est sorti swoouuush d’un coup.
C’était si dégoûtant qu’on lui a shooté dedans, un
coup chacun, et alors, à la place de chanson et de
vomi, c’est du sang qui est sorti de sa vieille rote
dégueulasse. Et puis on a continué notre chemin.*
(Extrait : L’ORANGE MÉCANIQUE, Anthony Burgess,
Éditions Robert Laffont, 1972, 2010 pour la traduction
française. Édition de papier, 290 pages)

 Alex, un jeune voyou à la fois charmeur et dépravé décide de régner par la violence et la terreur. À la tête d’une bande d’ados, il frappe, viole, torture, sème la peur et manifeste sa haine de la société. Après une série de meurtres, ce monstre froid et cynique est arrêté et soumis à une forme de lavage de cerveau  basée sur la projection de films violents en continu sur fond de musique classique. Cette thérapie a rendu Alex pacifique au point que toute action violente lui soulève le cœur. En lui retirant son libre arbitre, la méthode a rendu Alex doux et timorée : une orange mécanique. mais son  passé l’a rattrapé…

Maltchick, malchickicaïd et malinfrat
(jeunes, durs et voyous)
*Regarde-le, ce beau spécimen de notre jeunesse lâche
et brutale, critchait-il. Oui, là, au milieu de nous, et à
notre merci. Ses amis et lui m’ont battu, roué de
coups de poing et de pied. Ils m’ont déshabillé,
arraché les dents. Ils ont ri de mon sang et de mes
plaintes. Ils m’ont renvoyé chez moi à coups de
botte, à moitié assommé et nu.*
(Extrait : L’ORANGE MÉCANIQUE)

L’ORANGE MÉCANIQUE, publié en 1972, est un livre qui ne vieillit pas à cause du thème que son auteur développe avec une remarquable justesse : la violence, terme générique utilisé dans son plus large spectre : intimidation, harcèlement, agression et brutalité sur les plans physique, psychologique, sexuel et social.

Le fil conducteur est simple à suivre. Alex, un jeune ado dépravé sème violence et terreur partout où il passe. Un jour, il va beaucoup trop loin et sa victime meurt. Il est arrêté et va en prison où on lui propose de participer à un programme susceptible de le réhabiliter et de le remettre en liberté.

Sans réfléchir, Alex accepte et tombe dans le filet du programme Ludovico qui le rendra doux comme un agneau. En effet, la seule idée de la violence le rendra malade et faible. C’est alors que son passé le rattrape et que tout se retourne contre lui. Alex devient victime de ses victimes.

C’est un roman bien sûr, mais on pourrait très bien l’interpréter comme un essai sur la violence, une sérieuse réflexion philosophique et sociale davantage évidente dans le livre que dans le film qui évoque plutôt une apologie. Ici Burgess ne fait pas dans la dentelle. Son livre m’a non seulement accroché, mais il m’a interpellé et même brassé un peu.

Les questions qu’il pose sont toujours d’une brûlante actualité et nous poussent à la réflexion : Est-ce qu’on nait avec la violence en nous ou ces pulsions s’acquièrent dès le plus jeune âge? La violence engendre-t-elle forcément la violence? Et qu’est-ce qu’on peut faire pour diminuer la violence voire l’enrayer? Ce qui me semble impossible.

Ce qui m’a le plus fasciné dans ce livre à saveur fortement philosophique est le programme LUDOVICO et ses conséquences sur Alex dont toutes les idées de violence ont sombré dans la velléité. On l’a forcé à être bon.

C’est là où le génie de Burgess nous pousse à l’introspection : quelle société n’a pas songé tôt ou tard à utiliser des moyens tordus pour enrayer la violence. Est-ce qu’il n’y a pas un réel danger de déshumanisation si on enlève à l’être humain son libre arbitre? *L’intention profonde, voilà le vrai péché. Quiconque est incapable de choisir cesse d’être un homme.* (extrait)

La principale difficulté que j’ai eue avec ce livre est d’ordre lexical. En effet, Burgess a créé pour son jeune narrateur Alex et ses semblables un langage qui ressemble à un code qui fait que les jeunes se reconnaissent entre eux. C’est un langage complètement inventé qui fait qu’au début, j’étais complètement perdu.

C’est ainsi qu’une jeune fille est une *dévotchka*, un prisonnier est un *plenni*, ce qui est fou est *bezoumni* et ainsi de suite… un vocabulaire de près de 250 mots qui saturent le texte d’un bout à l’autre. *Oh ça j’ai dit, c’est ce qu’on appelle entre nous parler NADSAT. Tous les moins de vingt ans parlent comme ça m’sieu.* (Extrait)

Cette étiquette linguistique m’a désorienté. Je me disais que c’était trop, que ça dilue l’attention et que ça pourrait décourager bien des lecteurs sans compter le fait que traduire ce livre a dû être tout un défi pour les traducteurs Georges Belmont et Hortense Chabrier. Mais finalement, plus vite que je l’aurais cru au départ, j’ai réussi à comprendre la signification des mots en les plaçant dans le contexte de la phrase.

Tout est devenu limpide pour mois. Alors, vers la fin du premier quart du livre, j’ai recommencé…retour à la page 1 et croyez-moi, je ne l’ai pas regretté car j’ai pu pénétrer dans l’esprit de Burgess et comprendre son point de vue et le prendre pour ce qu’il est : visionnaire.

Toutes les qualités d’un bon livre sont réunies ici. Je l’ai savouré. Peut-être à cause de son petit côté métaphysique. On ne peut tout simplement pas passer outre à la réflexion que propose ce livre sur la violence du monde moderne. Je recommande fortement la lecture de ce livre. En passant, je préfère le livre au film car je considère que le réalisateur Stanley Kubrik en a trop fait, donnant plus d’importance à l’exhibition du mal qu’à la pensée profonde de Burgess.

Suggestion de lecture : DÉSAXÉ, de Lars Kepler

Anthony Burgess (1917-1993) était un écrivain romancier, critique littéraire, compositeur natif de Manchester. Son tout premier roman A VISION OF BATTLEMENT sera publié en 1965, soit 16 ans après avoir été écrit. Burgess était un auteur prolifique et aussi un grand compositeur. Il a composé des œuvres musicales bien avant d’écrire des livres.  Toutefois, Anthony Burgess restera surtout connu comme étant l’auteur de L’ORANGE MÉCANIQUE, œuvre majeure d’anticipation sur la violence.

L’ORANGE MÉCANIQUE AU CINÉMA

L’adaptation cinématographique de L’ORANGE MÉCANIQUE est sortie en avril 1972, Réalisé par Stanley Kubrick, le film réunit à l’écran Malcolm McDowell dans le rôle d’Alex, Patrick Macgee, Michael Bates, Philip Stone et Steven Berkoff.Dès sa sortie, le film a été controversé, considéré comme le plus violent de tous les temps. On l’accusait de banaliser la violence…violence beaucoup plus présente dans le film que dans le livre à mon avis. Avec le temps, ce film, récipiendaire de plusieurs prix, est devenu une œuvre majeure du cinéma.


À propos de L’ORANGE MÉCANIQUE, je vous invite à lire le commentaire de MLLambert. Cliquez ici.

 BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
le dimanche 23 juillet 2017