NÉBULOSITÉ CROISSANTE EN FIN DE JOURNÉE

version audio

Commentaire sur le livre de
JACQUES CÔTÉ

*L’odeur de fibre de verre, d’huile et de pneus brûlés
empestait les environs mais il y avait aussi comme
une odeur de méchoui disaient les badauds. C’était
en fait l’odeur d’un homme qui venait de brûler vif*

(Extrait : NÉBULOSITÉ CROISSANTE EN FIN DE JOURNÉE,
Jacques Côé, or. Alire éditeur, 309 pages. Pour la présente,
version audio :  Audible studio éditeur, 2018. Durée d’écoute :
10 heures 51 minutes, narrateur : Guy Nadon)

 

Juin 1976…Alors qu’une terrible canicule s’abat sur tout le Québec, les jeux Olympiques de Montréal se profilent à l’horizon. Mais à Sainte-Foy, en banlieue de la Vieille Capitale, H se soucie peu de la chaleur et des jeux. À peine sorti de prison, il perd le nouvel emploi qui devait consacrer sa réinsertion sociale. Des gens devront payer pour ce nouvel échec ! Daniel Duval, lui, est enquêteur à la Sûreté du Québec.

À son retour d’un marathon, il est confronté à un cas difficile : un psychopathe s’amuse à canarder des automobilistes sur le boulevard Duplessis. En compagnie de son coéquipier, Louis Harel, il tente désespérément de mettre la main au collet du tireur fou afin d’éviter d’autres meurtres gratuits. Or, les deux policiers ne connaissent pas la passion morbide de H pour la démolition automobile… ni sa ferme intention de se payer la peau d’un flic !

MILLE BORNES POUR UNE CIBLE
Duval tiqua en voyant la carcasse de ce qui avait été
un bolide sur lequel des yeux admiratifs s’étaient
posés. La fibre de verre avait fondu. On aurait
dit une sculpture moderne, informe, toute roussie.
De la guimauve caramélisée.
(Extrait)

Excellente saga qui a retenu mon attention du début à la fin. Elle suit l’évolution de deux personnages que tout oppose : d’une part, Donald Hurtubise, appelé aussi selon les circonstances Donald Hurt mais plus souvent surnommé H parce que c’est un consommateur accro.

H, ancien détenu, perd la raison après avoir échoué sa réinsertion sociale en perdant son emploi et plusieurs personnes paieront très cher cet échec. D’autre part, Daniel Duval, lieutenant à la police criminelle, marathonien, veuf, père d’une fille de 15 ans. Jacques Côté introduit Duval son oeuvre pour une première grande enquête.

L’auteur oppose l’opiniâtreté et la ténacité de Duval à la remarquable intelligence dont Hurtubise fait preuve dans sa folie, une démence de vengeance qu’il exerce en tirant sur des voitures, provoquant des accidents mortels se moquant des policiers en laissant des indices : des cartes de mille bornes. Y a-t-il façon plus efficace de se venger pour un amateur de courses de démolition.

Jacques Côté développe son histoire à la vitesse grand V. Pas de longueurs, pas d’errance, le rythme est élevé et maintient le récit dans un élan constant. C’est conséquent parce que la vitesse d’exécution est minutieusement calculée et qu’il est beaucoup question de voitures et de rapidité dans cette histoire.

C’est évidemment une histoire qui va plaire aux *gars de chars* mais pas seulement. Elle pourrait rendre addicts les amateurs d’enquêtes complexes avec, comme personnage central un déséquilibré qui se joue des policiers et leur échappe toujours au dernier moment, ce qui met en perspective la frustration que les limiers peuvent connaître dans leur travail.

C’est à force de persévérer et de creuser que Duval réussira un coup de filet sans en être un vraiment et encore, ça pourrait faire mal. Très mal. Personne ne sera surpris d’apprendre que l’auteur est un amateur de bolides américains. Ça transpire dans le récit. Personnellement, je ne suis pas un *gars de chars* mais une enquête étoffée comme celle qu’a imaginé Jacques Côté avec son exceptionnel sens de l’intrigue et une finale dramatique qui frappe fort, ça, ça me plait.

En plus de procurer frissons et émotions, NÉBULOSITÉ CROISSANTE EN FIN DE JOURNÉE développe son intrigue dans l’atmosphère bien spéciale des seventies, livrée dans un langage québécois qui détonne avec son jargon familier incluant des jurons passablement *cordiaux*, le tout narré par un expert.

*T’as pas d’autre chose à faire que de tirer sulmonde ? Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi ? Parce que vous m’écœurez…-Quand on va t’attraper mon ptit criss, tu vas passer au tordeur…j’vas t’faire jouer avec les poignées de ton cercueil comme ton ptit frère…* (Extrait)

Jai beaucoup apprécié la signature vocale de Guy Nadon qui a su mettre en valeur le texte et rendre compte efficacement de l’esprit de l’auteur. C’est un polar original, percutant à la plume riche et spontanée. D’entrée de jeu, on sait qui est le tueur. La question est : Comment on va l’attraper. Voilà qui va occuper les lecteurs et lectrice et les traiter aux petits oignons pendant une bonne dizaine d’heures.

Suggestion de lecture :

Si vous avez apprécié le style de Jacques Côté, vous aimerez je crois LE ROUGE IDÉAL. Un tueur en série, assez différent de H se lance dans une terrible spirale de violence. Une enquête pleine de rebondissements s’annonce pour Daniel Duval.

L’auteur y  associe la philosophie et les sciences policières dans une enquête complexe qu’il fait progresser avec finesse et de bons éléments de surprise. Le meurtrier s’inspire même de grands auteurs…Baudelaire en particulier… Pour en savoir plus, lisez mon commentaire sur LE ROUGE IDÉAL.

Jacques Côté a aussi obtenu en 2003 le Grand Prix La Presse de la biographie avec Wilfrid Derome, expert en homicides, paru chez Boréal, le prix Saint-Pacôme du roman policier 2006 pour La Rive noire, le prix Arthur-Ellis 2009 et le prix de la Ville de Québec – SILQ pour Le Chemin des brumes, quatrième enquête de Daniel Duval, et à nouveau le prix Arthur-Ellis 2011 pour Dans le quartier des agités, le premier des « Cahiers noirs de l’aliéniste ».

En plus d’être un comédien émérite, le québécois Guy Nadon excelle comme doubleur et narrateur. Il prête sa voix à Morgan Freeman, Dustin Hoffman, et Danny Glover et plusieurs autres incluant Robbie Coltrane qui joue le rôle de Rubeus Hagrid dans la célèbre série cinématographique HARRY POTTER,  pour la version québécoise de leurs films. Il a narré trois livres de Jacques CÔTÉ dans la série LES ENQUÊTES DE DANIEL DUVAL : LA RIVE NOIRE, LE ROUGE IDÉAL et bien sûr NÉBULOSITÉ CROISSANTE EN FIN DE JOURNÉE.

Pour connaître le parcours de Guy Nadon cliquez ici.

BONNE ÉCOUTE 
CLAUDE LAMBERT
le vendredi 1er octobre 2021

BLANCHE NEIGE, les contes interdits, partie 2

De L.P. SICARD

*Que dois-je faire pour obtenir la vérité ? Dis-le-moi tout de suite ; si tu comptes la garder pour toi-même, je vais t’assassiner, en finir de ce pas. Mes frères ont besoin de moi, je n’ai pas de temps à perdre à torturer une sorcière de ton espèce…

Quand je pense que nous hésitions entre toi et une autre, bien plus belle encore que toi et ta grande gueule ! Nous l’aurions tous eue, notre pipe, et rien de tout ça ne serait arrivé. Bordel…(Extrait : BLANCHE NEIGE, série LES CONTES INTERDITS, L.P. Sicard, Éditions AdA, édition de papier, 2017, 200 pages).

Pour consulter la première partie de ce commentaire, cliquez ici.

UN CONTE DÉPRAVÉ
*Ce geste en soi était des plus horrifiques,
mais pire encore que ce sanglant et
désinvolte assaut fut l’absence de
réaction de la part des autres ; pas un ne
vint à son secours, pas un n’émit un
commentaire quant à ce geste d’une
innommable inhumanité ; leur comparse
venait d’être tué, et ça ne les indisposait
nullement.*
(Extrait: BLANCHE NEIGE…Les Contes Interdits)

La série m’intriguait. Les titres m’intriguaient. Je trouvais les 4e de couverture impressionnants. J’ai fini par me décider à entreprendre une exploration de la série suite à ma visite au Salon International du Livre de Québec en 2018. C’est là que j’ai rencontré les auteurs Simon Rousseau et L.P. Sicard. J’ai pu discuter avec eux de leur motivation.

Leur livre fut le résultat d’une exploration des secrets cachés ou imaginés, enfouis dans les contes des Frères Grimm qui n’étaient pas destinés aux enfants, au commencement du moins. C’est ainsi que BLANCHE NEIGE est devenu un conte interdit parce que perverti et dépravé qui explore les cauchemars qui se confondent dangereusement avec la réalité.

C’est un côté B, la face noire, le côté obscur, appelons ça comme on voudra, ça fait frémir : *Nul mot n’aurait pu décrire avec quelle terreur je levai mes yeux, ni quel effroi me parcourut l’échine lorsque je vis enfin l’auteur de ces gémissements : Un homme, suspendu au plafond, par d’énormes clous qui lui transperçaient et les coudes et les genoux, souriait du plus grotesque sourire. * (Extrait)

C’est un livre très noir qui devrait plaire aux amateurs de gore. Car pour être violents et sanglants, on peut dire que l’auteur a atteint les objectifs des contes interdits et plus :

*Il empoigna une lame de rasoir…et la porta à sa gorge… il porta son arme blanche à sa poitrine qu’il se mit à découper, lentement, indolemment, avec cette même grâce qu’ont les hommes offrant quelque bijou à leur amante* (extrait)

Il y a tellement de ces passages créant à l’esprit des images atroces voire trash que l’éditeur prend soin d’avertir le lecteur que le récit pourrait ébranler les âmes sensibles.

L’auteur s’est aussi arrangé pour nous faire sentir l’influence des Frères Grimm. Elle n’est pas toujours évidente, mais il y a quand même une sorcière qui n’a pas besoin d’interroger un miroir tellement elle est hideuse, il y a sept hommes, ce ne sont pas des nains et ils brillent par leur dérèglement sexuel.

Émilie, notre Blanche Neige par défaut ne l’aura pas facile. D’autres petits indices rappellent le conte : Émilie qui dialogue avec une colombe par exemple sans oublier une surexploitation du passé simple comme on l’a vu dans l’œuvre de Perreault, Anderson, De La Fontaine et j’en passe. L.P. Sicard s’est aussi employé à nous faire chevaucher entre la réalité et la fabulation.

Pour lire BLANCHE-NEIGE, il faut désapprendre ce que l’on sait sur les contes et accepter de se laisser aller dans une angoissante exploration de la démence, du complot, de la mort et de l’inimaginable horreur qui vient des pires cauchemars. La plume de l’auteur est d’une redoutable efficacité. Dès le départ, l’auteur nous agrippe. On ressent d’abord de l’empathie pour Émilie et on se demande qui est fou dans cette histoire, Émilie ou son psychiatre ?

Je ne suis pas un grand amateur de Gore, mais à l’analyse, L.P. Sicard remplit la plupart de mes critères de satisfaction. Le récit est noir, dur mais fort. L’Histoire est atypique et sa finale est fort bien imaginée et bien travaillée. Il y a des passages à soulever le cœur, mais les lecteurs sont avertis. Bien écrit ! Bien ficelé ! Lire ce livre, c’est tenter une expérience…

L.P. Sicard a 25 ans alors qu’il achève la sombre réécriture de BLANCHE NEIGE. S’inspirant de la théorie freudienne de l’inquiétante étrangeté, dite unheimlich, il a tenté de conduire subtilement son lectorat dans une indétermination angoissante, où la folie se joint à la fois au réalisme et au surnaturel.

D’abord poète, il a publié un recueil de poésie en 2012, en plus de remporter le second prix de l’association littéraire et artistique de France, le grand prix du concours international de poésie de Paris,  celui Salon du livre international de Québec, avec le premier tome de sa série Felix Vortan, traduit en braille.

On peut suivre L.P. Sicard sur Facebook. Vous pouvez aussi visiter son site WEB. Cliquez ici

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 5 mars 2021