ÉTÉ ROUGE, le livre de Daniel Quiros

*…en entendant l’identité de la morte, j’avais senti Comme un coup au creux de l’estomac…le corps était étendu è plat ventre sur le sable et la marée, que Faustino avait évalué à mi-flux, faisait osciller lentement la chevelure de la morte…*
(Extrait : ÉTÉ ROUGE, Daniel Quiros, 2010. Traduction française : Édition de l’UBW, 2014, NUMÉRIQUE. 210p.)

Côte du Pacifique, Costa Rica. Un Éden où les pinèdes sont massacrées afin de permettre la construction de villas luxueuses pour des investisseurs étrangers… et des caïds de la drogue. Un Éden où il fait terriblement chaud. C’est là, dans un tranquille village de pêcheurs, qu’est découvert sur la plage le cadavre d’une femme, surnommée l’Argentine. Don Chepe, ancien guérillero qui a lutté aux côtés des sandinistes, décide de retrouver l’assassin de son amie. Une enquête qui le conduit à découvrir les liens obscurs entre passé et présent, utopie et désenchantement… et à revisiter l’histoire de son pays.

 

Le révolutionnaire enquêteur
*<Ce que vous devez faire, c’est la chose suivante :
À 14 heures, cet après-midi, soyez assis au restaurant
La Caracola, à une des tables sur la terrasse qui donne
sur la mer. Vous y recevrez ma réponse là-bas.
Maintenant, je vais vous remercier pour votre visite.
Peut-être des forces majeures décideront elles de nous
réunir à nouveau à quelque occasion.>*
(Extrait)

Pour apprécier ce roman à sa juste valeur, il faut comprendre la nature du conflit qui opposa au début des années 1980, les sandinistes nicaraguayens, arrivés au pouvoir après avoir renversé la dictature de Somoza, qui tenait le pays sous le joug depuis plusieurs décennies, aux Contras, les contre-révolutionnaires soutenus, encadrés et armés par les États-Unis qui utilisaient largement son maître des basses-œuvres, la CIA.

Cette région de l’Amérique centrale était une véritable poudrière. En cours de lecture, j’ai dû faire une pause pour entreprendre une recherche afin d’être plus à l’aise pour une meilleure compréhension d’un pan sombre de l’histoire sud-américaine qui a toujours été pour moi fort labyrinthique.

Je n’ai pas regretté cette recherche. Rien ne vous oblige à le faire, mais si vous ne saisissez pas bien les enjeux politiques et militaires de cette époque, vous risquez de trouver le récit erratique et inintéressant. Le roman chevauche les genres policier, drame d’espionnage et thriller politique.

Ce roman suit Don Chepe, un ex-révolutionnaire revenu au Costa-Rica désenchanté par ce qu’il considère comme échec la révolution sandiniste du Nicaragua à laquelle il avait participé. Pour trouver la quiétude, Don Chepe s’installe dans une petite station balnéaire tranquille appelée Tamarindo.

Un jour, une amie de Don Chepe, Ilana Echeverri, appelée l’Argentine, tenancière du Café de Tamarindo, est assassinée. Don Chepe voulut savoir pourquoi et décida d’enquêter. Étrangement, l’Argentine avait prévu sa mort : *Si l’argentine voulait me faire comprendre ce qui avait entraîné sa mort, elle ne me facilitait pas les choses. Tant de mystères, aucun nom donné, une série de pistes menant elles-mêmes à d’autres pistes…* (Extrait)

Cette enquête va entraîner le lecteur dans une sombre réalité historique, l’attentat à la bombe de La Penca, qui a coûté la vie, en 1984 à sept personnes parmi lesquelles des journalistes chargés de couvrir le conflit entre les sandinistes et la Contra.

Donc, Don Chepe mène de front deux enquêtes qui amène surtout le lecteur dans les évènements entourant l’attentat de La Cruz :  *ÉTÉ ROUGE utilise toute cette information historique comme base et contexte. Le roman fait, je l’espère, de ce matériel <authentique> un moyen d’exploration des effets de l’histoire sur le présent, en estompant la frontière entre la réalité et la fiction. * (Note de l’auteur)

Là encore, ma recherche m’a été utile, car l’auteur approfondit très bien le contexte géopolitique de l’Amérique Centrale des années 1980. Le terme *labyrinthique* utilisé plus haut n’est pas, je crois, exagéré. Les personnages évoluent entre le passé et le présent, ce qui nécessite une bonne concentration de la part des lecteurs.

Je n’ai pas trouvé les personnages spécialement attachants mais j’ai pu toutefois constater et admiré l’opiniâtreté de Don Chepe. Son enquête rappelle un peu un jeu de piste avec des indices essentiellement fournis par l’argentine (une fois morte).

Imbriquer la réalité et la fiction dans un roman comporte toujours des risques sur le plan littéraire. Les irritants sont souvent inévitables. Ainsi, ÉTÉ ROUGE souffre de remplissage. Je crois que le roman est bien construit mais il y a beaucoup de longueurs, de détails pas toujours utiles, un peu d’errance et bien sûr le caractère géopolitique du récit est sous-développé.

Très évocateur de la complexité historique de l’Amérique Centrale, ÉTÉ ROUGE a un petit côté noir qui ne m’a pas déplu. Mais avant de lire ce roman, disons qu’il faut s’équiper raisonnablement pour en saisir toute la portée.

Suggestion de lecture : HIVER ROUGE, de Dan Smith

Daniel Quiros est un écrivain costa-ricain né en 1979. Il enseigne la littérature espagnole à l’Université Lafayette en Pennsylvanie aux États-Unis. ÉTÉ ROUGE est son quatrième livre.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 30 octobre 2022

DUNE, livre premier et second, de Frank Herbert

*Dans les ténèbres, Paul gardait les yeux mi-clos… Il
voyait les yeux de la vieille femme, larges et brillants
comme ceux d’un oiseau de nuit. De plus en plus larges…
de plus en plus brillants, semblait-il…-Dors bien rusé
petit démon ! Demain, tu auras besoin de tous tes moyens
pour affronter mon ghôm jabba ! *

Extrait : DUNE, livre 1,
Pocket éditeur, 1998, à l’origine, v.f. : Robert Lafont 1970. Version
audio : Lizzie éditeur, duré d’écoute : 18  heures. Narrateur :
Benjamin Jungers

Il n’y a pas, dans tout l’Empire, de planètes plus inhospitalières que Dune. Partout des sables à perte de vue. Une seule richesse : l’épice de longue vie, née du désert, et que tout l’univers convoite. Quand Leto Atréides reçoit Dune en fief, il flaire le piège. Il aura besoin des guerriers Fremen qui se sont adaptés à une vie très dure en préservant leur liberté, leurs coutumes et leur foi. Ils rêvent du prophète qui proclamera la guerre sainte et changera le cours de l’Histoire.

Cependant les Révérendes Mères du Bene Gesserit poursuivent leur programme millénaire de sélection génétique : elles veulent créer un homme qui réunira tous les dons latents de l’espèce. Le Messie  Fremen est-il déjà né dans l’Empire ?

L’émergence de Paul Atréïde
*Je ne connais pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort
qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai
de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai
mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus
rien. Rien que moi. * 
(Extrait DUNE, livre 1 litanie contre la peur du rituel Benegesserit)

C’est un chef d’œuvre mais il est amputé. C’est peut-être un peu gros comme entrée en matière, mais ça évoque ma seule déception relativement à cette œuvre. Elle est incomplète. Il manque le livre troisième qui fait l’objet d’une narration à part chez Audible. Je n’ai pas compris ce choix de l’éditeur et je ne vous le cache pas, ça m’a irrité.

Sinon, nous avons affaire ici à une œuvre culte de la science-fiction, un des romans les plus vendus dans le monde. Voyons d’abord les principaux éléments que les premiers livres mettent en place en vue de la longue saga DUNE .

L’empereur Padisha Shadam IV confie au duc Leto la gestion de la planète Dune, une planète de sable occupée par les framens et qui produit l’épice, un mélange addictif convoité dans tout l’univers et pour lequel on tue, on guerroie, on complote sans compter l’obligation d’affronter des vers énormes qui peuvent atteindre 400 à 600 mètres de longueur et qui dévastent tout sur leur passage y compris les usines d’extraction d’épice.

Pour la protection du système, Leto a besoin des Framens qui ne rêvent que de l’arrivée du prophète…l’élu qui changera le cours de l’histoire. Or, les Révérendes Mères du Bene Gesserit poursuivent un programme millénaire de sélection génétique qui concrétisera tous les dons latents de l’espèce. Toutefois, les risques de dérapages sont sérieux.

C’est ici qu’entre en scène Paul Atréïde, le fils de Leto, qui, par des dons très spéciaux qui commencent à se manifester, donne à penser qu’il pourrait être l’élu. Suite à une trahison, Leto meurt. Paul Atrïde, baptisé Muad’Dib par les Framens, hérite d’un univers dont il prendra le contrôle avec un redoutable savoir-faire ouvrant ainsi la voie au trône impérial.

Évidemment, c’est résumé succinctement, mais au final, DUNE raconte un colossal Jihad qui bouleversera une galaxie entière. En écoutant l’excellente narration de Benjamin Jungers, je n’ai pu faire autrement que de revivre presque scène par scène la surprenante adaptation cinématographique signée David Lynch en 1984. Le travail du narrateur a mis en valeur le caractère immersif du roman.

Ce livre est un chef d’œuvre, un immortel. Son pouvoir descriptif atteint par moment la poésie. Il a aussi un petit côté environnemental qui n’est pas sans rejoindre les préoccupations humaines actuelles. L’oeuvre nous amène aussi à découvrir le mysticisme qui confirme la nature initiatique du récit.

*Je ne connais pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon oeil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi* (Extrait : DUNE,  Litanie contre la Peur du rituel Bene Gesserit)

L’écoute de ce classique m’a fait vibrer car non seulement le livre comporte-t-il une vision du futur où il faudra forcément croire à l’immatériel mais il comporte une vision de la vie. Dune pourrait être une quête du sens de la vie.

Ce n’est pas toujours simple car le fil conducteur de l’histoire est parfois instable et prend plusieurs directions. Mais quand on y regarde de près, l’histoire évolue dans un monde grisant, fascinant avec quelque chose qui nous ressemble…parfois un peu…parfois beaucoup. Cette version audio de DUNE fut pour moi un enchantement.

Suggestion de lecture : STAR WARS, LES DERNIERS JEDI, de Brian Johnson

Frank Patrick Herbert (1920-1986) est un écrivain de science-fiction américain. Ses œuvres connurent un succès commercial et furent acclamées par la critique. Il doit principalement sa célébrité à sa série de romans Dune qui aborde des thèmes tels que la survie de la race humaine et son évolution, l’écologie, ou encore les interactions entre la religion, la politique et le pouvoir. (Wikiquote)

DUNE AU CINÉMA

Il y a plusieurs adaptations de Dune à la télévision et au cinéma. Le meilleur film qu’il m’a été donné de voir est celui qui introduit la série, le premier film sorti en 1984 et réalisé par David Lynch : DUNE

À gauche sur l’affiche, on reconnait (personnage du bas) le célèbre auteur-compositeur-interprète Britannique STING de son vrai nom Gordon Mathew Thomas Somner. À droite, Kyle Mclachlan incarne Paul Atréïde et Siân Phillips incarne la révérende mère Gaius Helen Mohiam.

À propos de la série audio

La série audio DUNE de Frank Herbert comprend sept opus, tous édités par Lizzie et narrés par Benjamin Jungers : DUNE 1.1 livre premier et livre second, DUNE 1.2 livre troisième, DUNE 2 LE MESSIE DE DUNE, DUNE 3  LES ENFANTS DE DUNE, DUNE 4 L’EMPEREUR-DIEU DE DUNE, DUNE 5 LES HÉRÉTIQUES DE DUNE et DUNE 6 LA MAISON DES MÈRES.

Je ne reproduis pas ici les premières de couverture car elles sont passablement identiques. Pour plus de détails, rendez-vous sur le site d’audiolib.


BONNE ÉCOUTE
CLAUDE LAMBERT
Le samedi 29 octobre 2022

 

LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE

Commentaire sur le livre de
JULIEN ARANDA

*Quand on arrivait sous les colonnes éclairées de la
Comédie-Française, maman redevenait soudain une
adulte. –La légende raconte que Molière est mort ici,
chuchotait-elle. Surtout, ne fais pas de bruit.*
(Extrait : LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE,
Julien Aranda, Eyrolles éditeur, 2018, 194 pages en format num.)

Quand on a 10 ans, pas de papa mais une mère amoureuse de Shakespeare et que l’on s’attend à voir débarquer les huissiers d’un jour à l’autre, la vie n’est pas simple. Elle, comédienne de théâtre passionnée, fascine son fils qui découvre le monde et ses paradoxes avec toute la poésie de l’enfance. Avec leur voisine Sabrina et les comédiens Max, Lulu et Rita, ils forment une famille de cœur, aussi prompte à se fâcher qu’à se réconcilier. Mais, un jour, la réalité des choses rattrape la joyeuse équipe. Et le petit garçon est séparé de sa mère. Comment, dès lors, avancer vers ses rêves ? 

Dans l’ombre de William et George
*…j’ai pensé que dans ce monde, il ne faut pas
s’attarder à devenir une trop bonne fourmi,
parce que le jour où les mouches changent
d’âne, on a vite fait de se retrouver dépourvu,
comme une cigale mais avec la joie de
vivre en moins. *
(Extrait)

C’est un petit livre qui m’a réchauffé le cœur. Pas pour l’originalité de son histoire mais plutôt pour la sincérité de la plume et la beauté de l’écriture. Le narrateur est un jeune garçon qui a six ans au début de l’histoire. Dommage, l’auteur n’a pas cru bon lui donné un nom. Je ne comprends pas ce choix. Pour la mère, pas plus original…on l’appellera la maman.

Donc la Maman est une comédienne qui s’est rendue au plus profond de la misère par amour pour le théâtre et en particulier pour les pièces de Shakespeare qu’elle joue avec des comédiens aussi passionnés qu’elle devant…des salles vides.

Le petit garçon a passé une partie de son enfance avec, dans son environnement, des huissiers, policiers, juges, juristes familiaux, un voisin grognon, une voisine originale ayant une mémoire phénoménale des codes-barres et une tante obsédée par la réalité des choses et donc de ce fait, en conflit avec sa sœur, la maman.

Un jour, quelques phrases prononcées par un grand monsieur vont tout faire basculer. Suivront : le décès du metteur en scène et l’arrivée dans la vie du garçon encore tout jeune, d’une belle fille appelée Sarah qui se trouve à être la fille du grand monsieur.

Cette histoire raconte donc le parcours enchanté d’une troupe de théâtre très spéciale…disons hors-norme.  Ce récit m’a beaucoup ému et m’a amené à porter un regard différent sur ceux et celles qui n’entrent pas dans *le moule de la Société* qu’on pourrait appeler ici des marginaux mais alors là sans arrière-pensées aucune.

L’écriture est d’une superbe finesse à la limite de la poésie. Si je me réfère à la réalité des enfants, je dirais que cette histoire a de la profondeur. La faiblesse tient dans le fait que, outre l’utilisation de mots déformés, de phrases détournées et d’une bonne quantité de néologismes comme télédébilité par exemple, l’enfant fait plus vrai que nature, une sagesse sans aucune turbulence et une façon trop mature de mettre en mots ses émotions et ses sentiments.

Je n’ai senti aucune souffrance chez cet enfant pourtant balloté et vivant dans une perpétuelle incertitude. Ça ne me semble pas très réaliste mais il y a une telle sincérité dans le texte qui constitue en fait 200 pages de manifestation d’amour, d’espoir, d’humanité et d’optimisme. Bref, un brassage d’émotions qui ne laisse pas indifférent.

J’ai aussi beaucoup aimé ce livre pour ses nombreuses références à Georges Brassens qui est et restera toujours mon poète et auteur-compositeur préféré.

<…car maman, même si elle était amoureuse de Shakespeare, elle lui faisait parfois des infidélités avec Georges Brassens parce qu’elle trouvait que sa voix et sa guitare s’accordaient parfaitement et que c’était un vrai poète comme il n’en existe plus aujourd’hui et qu’il n’en existerait plus jamais parce que le monde sombrait à cause de toutes ces émissions de télédébilité et tous ces réseaux asociaux…> Extrait

Dans un même monde où tristesse et joies s’entrelacent, l’auteur a fait cohabiter Shakespeare et Brassens avec bonheur et habileté, comme si cela allait de soi. Ça, j’ai adoré. Et si j’ai parlé plus haut de personnes marginales, j’ai trouvé très à propos la citation de LA MAUVAISE RÉPUTATION de Brassens au début de l’ouvrage de Julien Maranda :

*Je ne fais pourtant de tort à personne
En suivant mon chemin de petit bonhomme,
Mais, non, les braves gens n’aiment pas que,
L’on suive une autre route qu’eux*
(LA MAUVAISE RÉPUTATION, Georges Brassens)

Sans révolutionner la littérature, ce livre de Julien Aranda fait du bien…un petit vent de fraîcheur comme je les aime parfois. Les leçons de la vie vues à travers les yeux d’un enfant et la poésie de Brassens. Ça ne pouvait m’atteindre davantage. À lire absolument.

Suggestion de lecture : L’INFLUENCE D’UN LIVRE, de Philippe Aubert de Gaspé fils

Julien Aranda nous livre un premier roman en 2014 : « Le sourire du clair de lune » (City Éditions) qui a le parfum nostalgique des histoires que lui racontait son grand-père.

Encouragé par ses lecteurs, conforté dans sa vocation, il publie en 2016 « La simplicité des nuages » (City Éditions), roman plus contemporain décrivant les turpitudes d’un cadre parisien en quête de sens. En 2018, il publie son troisième roman « Le jour où Maman m’a présenté Shakespeare »(Éditions Eyrolles) qui raconte la trajectoire enchantée d’une comédienne de théâtre éprise d’absolu et de son petit garçon qui n’a d’yeux que pour elle.

William Shakespeare (1564-1616) <photo du haut> un des auteurs les plus évoqués dans l’histoire de la littérature et du cinéma et le poète Georges Brassens, deux immortels en convergences dans la vie d’un jeune garçon.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 23 octobre 2022

 

DREAMWALKERS, tome 1, livre d’Alain Lafond

*La voix de la chose venait de Partout à la fois.
Elle arrêta de courir. Il n’y avait plus de fuite
possible, nulle part où aller, personne n’allait
la sauver. Elle tenta encore une fois d’appeler
à l’aide, mais seul le silence franchit ses lèvres.
La chose…se moquait d’elle. Le désespoir la fit
trembler et elle s’y enfonça. *
(Extrait : DREAMWALKERS, Alain Lafond, Les 
Éditions Coup d’œil, 2018. Original : Onirium, 2012,
Édition de papier, 600 pages)

Samuel Swartz attend impatiemment l’arrivée de son premier enfant. Seule ombre au tableau, sa femme fait d’horribles cauchemars dans lesquels un homme la torture pour obtenir des informations sur lui. Tout bascule lorsque l’homme du rêve se révèle être bien réel. Ce dernier envahit sa vie et la met en péril. Il est alors introduit dans l’univers des DREAMWALKERS, des humains aux capacités extraordinaire qui consistent à infiltrer et manipuler les rêves d’autrui. Entraîné dans un tourbillon d’évènements, Sam cherche des réponses dans les rêves. Il doit apprendre au plus vite les nouvelles lois d’un monde qui lui était alors inconnu …

Invasion onirique
*Qui es-tu ?
Qu’est-ce que tu es exactement ?
-Comprendre ma nature t’es impossible.
Trop insignifiant tu es.
Le non-être est ta seule option.
(Extrait)

Pour mieux saisir la pensée et l’esprit de l’auteur, imaginez un instant que, pendant votre sommeil paradoxal, vous ayez une parfaite maîtrise de vos rêves, que vous puissiez interagir avec votre environnement onirique, changer de décors à volonté, rencontrer des personnes, en inviter dans votre rêve et avoir avec elles des conversations intelligentes, cohérentes et complètes.

Dans un niveau plus avancé, imaginez maintenant que vous vous immiscez dans le rêve d’une autre personne pour discuter avec elle. Vous n’avez pas la maîtrise de son rêve mais vous pouvez l’influencer. Imaginez enfin que, dans un top niveau vous pouviez imposer votre volonté dans le rêve d’une autre personne par hypnose ou suggestion hypnotique et que le tout se traduise dans la réalité.

Au réveil vous vous souvenez évidemment de tout. Vous êtes alors ce que l’auteur Alain Lafond a imaginé comme étant un DREAMWALKER, appelé aussi *voyageur de la nuit* et vous pourriez être détenteur d’un pouvoir énorme allant jusqu’à la démesure.

Voyons maintenant l’histoire. C’est celle de Samuel Swartz, un vétérinaire qui sera bientôt papa et qui adore sa femme Solange. Au début de l’histoire, Samuel ne sait pas qu’il est Deamwalker, et de haut niveau encore. Il ne se rappelle pas non plus avoir éborgner un monstre dégénéré, Viktor Karloff afin de sauver la vie d’une petite fille.

Depuis, Viktor élabore une vengeance sans pitié et tue d’abord Solange et c’est sans parler du sort qui attend Sam. Karloff est un dreamwalker top-niveau dont la cruauté et la soif de pouvoir dépassent l’imagination. Un noyau de dreamwalkers intercepte à temps Sam qui apprendra alors la vérité sur sa nature et acceptera d’être formé et entraîné dans un but précis.

Cette histoire en est une de double vengeance. Sam qui veut venger Solange et Karlof qui veut venger son œil crevé en entraînant Samuel dans les tourments d’une cruelle torture. Les Dreamwalkers veulent aussi débarrasser la planète du pire danger qui la guette : la domination de Viktor Karloff.

Cette histoire, superbement imaginée et bien ficelée me rappelle beaucoup la série de films LA MATRICE des auteurs-réalisateurs Andy et Larry Wachwski ou encore le classique DREAMSCAPE de Joseph Ruben. La question qui se pose est celle-ci : Comment se protéger d’un ennemi qui nous traque jusque dans nos rêves ?

Ce pavé de science-fiction m’a captivé. L’auteur lui a aussi donné un fort caractère fantastique qui décidera d’ailleurs d’une finale somme toute géniale même si ce n’est pas celle que j’avais imaginée. Il n’y avait qu’un pas à faire de l’auteur pour transformer cette histoire en récit d’horreur. Il s’en est bien gardé.

L’univers onirique est complexe. Lafond a préféré donner un produit crédible d’une grande profondeur capable d’aller chercher le lecteur et lui donner de la matière à réfléchir et à se divertir.

Je vois les rêves autrement maintenant. Juste l’idée de les manipuler et d’importer leur influence dans la réalité me fait frémir. C’est très personnel notez bien, mais DREAMWALKERS est un récit de nature à triturer l’esprit. Il y a un petit quelque chose de tordu qui m’a beaucoup plu :

*Comment Beethoven, alors qu’il était sourd, a-t-il pu composer la sonate Clair de lune ? Comment Einstein a-t-il pu émettre sa célèbre théorie de la relativité? * (Extrait) Il faut lire DREAMWALKERS avec une certaine ouverture d’esprit.

C’est un livre qui se lit très vite et très bien. Il y a de l’intrigue, du rebondissement, de l’imagination, de l’originalité. J’ai trouvé un peu difficile de m’attacher aux personnages, plutôt froids et changeants mais une jeune femme du noyau DREAMWALKERS a mis une belle empreinte humaine sur le récit et j’en ai été satisfait. La plume de Lafond est vive et énergique. Il m’a accroché dès les premières pages. DREAMWALKERS est une trilogie (voir ci-bas) la question est de savoir si j’ai le goût de continuer avec le tome 2 L’INCRÉÉ. La réponse est OUI, absolument.

Suggestion de lecture : RÊVES ET CAUCHEMARS, d’Alexandre Charbonneau

Né à Montréal, Alain Lafond s’est lancé à l’assaut de la trilogie Dreamwalkers suite à des rêves récurrents. Avec le premier tome, Les voyageurs de la nuit, il a remporté le prix d’excellence en édition indépendante Quadriscan 2013. Avec le second tome, L’Incréé, finaliste pour le même prix en 2014, il a confirmé sa volonté de devenir une référence dans le domaine du suspense fantastique. Son style a été plusieurs fois comparé aux géants américains King et Koontz. Grâce à ce dernier volet, Le forgeron du destin, il mène à son terme une trilogie magistrale.

À LIRE

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 22 octobre 2022

HISTOIRES EFFRAYANTES à raconter dans le noir

Commentaire sur le livre d’
ALVIN SCHWARTZ

*L’humanité se raconte des histoires effrayantes
depuis des millénaires, car la plupart d’entre nous
adorons les frissons qu’elles procurent. Dans la
mesure où nous ne sommes pas en danger, nous
trouvons ça amusant.*

(Extrait : HISTOIRES EFFRANTES à raconter dans le
noir, Alvin Schwartz, Castelmore éditeur, 2019, ill. :
Stephen Gammel. Édition de papier, 380 pages.)

Les fantômes, ça n’existe pas !
Les araignées, c’est tout petit.
Les psychopathes, même pas peur…
Les sorcières, aucun pouvoir !
Ces histoires-là, vous n’y croyez pas ?
Attendez donc qu’on vous les raconte, à la nuit tombée, ou de les lire seul, en tremblant sous la couette… SI VOUS L’OSEZ ! Alvin Schwartz vous dira tout : esprits, revenants, épouvantails hantés et psychopathes en tout genre… Vos pires cauchemars vous attendent.

Le classique jeunesse de la peur
*-Puis-je porter votre panier ? Elle le lui tendit.
De sous le tissu monta une petite voix, qui
déclara : «C’est très aimable à toi», avant de
partir d’un long rire féroce. Sam fût si surpris
qu’il en laissa tomber le panier…d’où roula
une tête de femme.*
(Extrait)

HISTOIRES EFFRAYANTES À RACONTER DANS LE NOIR est un recueil de nouvelles noires et effrayantes qui revisite le folklore américain avec, en particulier, ses légendes urbaines. L’auteur s’est placé en mode *cauchemar* pour verser dans la légende, le paranormal, les histoires de fantômes de revenants.

C’est un concentré de récits d’épouvante, généralement très brefs recueillis par l’auteur dans ses nombreux voyages et ses recherches. Dans un style très concis, l’auteur nous plonge dans l’étrange et l’horreur avec ce recueil récemment adapté à l’écran. Schwartz met particulièrement en évidence les légendes urbaines qui rappellent entre autres les films de Jason, Freddy, films de peur, un genre que les ados adorent en général, des récits qui…

*…regorgent de jeunes gens poignardés ou massacrés à la hache, leurs appels à l’aide ignorés par leurs colocataires trop effrayés pour ouvrir la porte de leur chambre. La folkloriste Linda Dégh suggère que ces légendes s’apparentent à des contes moraux contemporains ayant pour but d’avertir les jeunes étudiants des dangers qui les guettent dans ce vaste monde…* (Extrait)

Évidemment, il n’y a pas que les lames pour effrayer. On trouve dans le recueil des histoires de sorcières, poltergeist, ectoplasmes, spectres, endroits hantés. Fait intéressant, l’auteur a adapté plusieurs de ses thèmes de façon à mettre en perspective le conflit qui oppose l’éducation à la superstition, conflit particulièrement évident quand la situation nous échappe.

Autre fait intéressant, beaucoup d’histoires invraisemblables ont à la base, des faits véridiques. Ça crée un petit *malaise* enrichissant, tout au moins sur le plan littéraire. À la fin du volume, en plus d’une bibliographie plus que respectable, l’auteur explique ses sources et émet des avis, des raisonnements.

Honnêtement, je n’ai pas tremblé en lisant ce recueil mais j’avoue que plusieurs nouvelles m’ont fasciné. En fait ce que propose le livre est davantage qu’une simple lecture. Le livre pousse à la transmission orale. Il invite lecteur à raconter ces histoires en y mettant la conviction, l’émotion et le ton requis.

L’auteur nous donne même des indications, des trucs pour faire peur quand vous raconterez ces histoires. Imaginez-vous figer l’attention de vos amis réunis autour d’un feu de camp au bord du légendaire Crytal lake où a sévi le monstrueux Jason, une espèce de mort vivant meurtrier qui a évolué dans pas moins d’une douzaine de films d’horreur.

Un autre aspect de ce livre m’a fasciné : ce sont les illustrations de Stephen Gammel. Ces illustrations volontairement floues, brumeuses, voilées induisent souvent davantage la peur que le texte lui-même.

Et de ces dessins, on en trouve presque à toutes les pages, de quoi entretenir peur et mystère. Le livre véhicule aussi un certain humour, noir en général mais c’est un plus. Pour le reste, il est difficile de critiquer un recueil, certains textes pouvant être considérés comme des chefs d’œuvre, d’autres comme des navets. 

Les textes sont très courts, trop pour induire la peur chez beaucoup de lecteurs. Moi j’ai apprécié. Après tout, la spontanéité et la brièveté peuvent aussi induire l’épouvante. Ceux et celles qui ont lu ou vu CHAIR DE POULE de R.L. Stine savent de quoi je parle. Un livre intéressant à lire à la lueur d’une chandelle…un bon divertissement.

Suggestion de lecture : ROMAN D’HORREUR, d’Arthur Tenor

Alvin Schwartz (À gauche) est né le 25 avril 1927 à Brooklyn, New York, États-Unis. Il était un écrivain connu pour ses histoires effrayantes à raconter dans l’obscurité (2019), sa forêt des ténèbres (2013) et sa haine (2015). Il est décédé le 14 mars 1992 à Princeton, New Jersey, États-Unis.

Né à Des Moines Iowa en 1943, Stephen Gammell est un illustrateur américain de livres pour enfants. Il a remporté la médaille Caldecott de 1989 pour l’illustration d’un livre d’image américain, reconnaissant Song and Dance Man de Karen Ackermann et nominé au National book award.

HISTOIRES EFFRAYANTES
à raconter dans le noir…au cinéma

1968. Une petite ville des États-Unis se prépare à célébrer l’Halloween. C’est ce moment que choisissent de mauvais garnements pour s’en prendre à Stella, Chuck et Auggie. Les trois adolescents trouvent refuge dans l’automobile de Ramon, un étranger de leur âge.

Ensemble, ils décident de passer la soirée entre les murs d’un manoir lugubre où des gens ont disparu par le passé. Stella y trouve un livre étrange, qu’elle ramène à sa maison. Il contient des histoires macabres, dont certaines s’écrivent devant elle, devenant réelles et mettant en péril la vie de ses amis.

Le film, réalisé par André Ovredal, est sorti en août 2019 et réunit à l’écran entre autres, Zoe Margaret Colletti, Austin Abrahan, Nathalie Ganzhorn, Gabriel Rush et Aston Zajur qu’on voit sur la photo ci-haut.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 16 octobre 2022

LE LIVRE NOIR DE LA CIA, Yvonnick Denoël

*Kennedy esquissa un de ses sourires cyniques.
peut-être était-il une des rares personnes à déjà
savoir que, dans le monde des renseignements,
vérité et CIA étaient bien trop souvent opposées
une de l’autre. *
(Extrait : LE LIVRE NOIR DE LA CIA, YVONNICK DENOËL,
avec la collaboration de Gordon Thomas, Nouveau MND
éditeur, 2017. J’ai lu 2009, 444 pages. Pour la présente,
Nouveau Monde, 2007 en format numérique, 400 pages)

En 1947, le président américain Harry S. Truman fait passer un décret appelé NATIONAL SECURITY ACT qui créée officiellement l’agence centrale de renseignement, appellation officielle américaine : CIA, une des agences de renseignements les plus connues dans le monde. Elle sera chargée de l’acquisition du renseignement, l’organisation et la réalisation des opérations clandestines hors du territoire américain. Elle a le statut juridique d’une agence indépendante du gouvernement.

Selon WIKIPÉDIA, D’après un document fourni par Edward Snowden, le budget alloué à la CIA pour l’année 2012 s’élève à 15,3 milliards de dollars. Son budget en 2010 avait été évalué à 10 milliards de dollars américains, sur un programme de renseignement national s’élevant à 53 milliards. En 2009, l’ensemble des seize agences – aujourd’hui dix-sept – de l’Intelligence Community avait un budget annuel de 75 milliards de dollars et employait quelque 200 000 personnes dans le monde, y compris des entrepreneurs privés.

Assassinats de dirigeants étrangers, coups d’État, trafic d’armes et de drogues, soutien à des groupes terroristes, détentions abusives et tortures, expérimentations d’armes. Depuis sa création, la CIA n’a cessé de multiplier les infractions à la loi. Elle déclassifie une partie de ses archives arguant que les dérapages de la guerre froide sont aujourd’hui révolus. Ce livre montre qu’il n’en est rien. Cet ouvrage dresse un bilan aussi exhaustif que possible des méthodes douteuses de l’Agence, des origines à nos jours. Il reproduit les archives permettant d’approcher la vérité. On trouve ici de nombreuses anecdotes inédites sur des épisodes que l’on croit connaître.

Une évidente dérive
Malgré les 23 000 espions et analyste qu’elle emploie,
la CIA apparait dans ces documents comme une agence
rongée par le doute, les récriminations internes et les
échecs. Cette vérité s’est cachée derrière un demi-
siècle de livres et de films romanesques présentant la
CIA comme le super-espion du monde libre.
(Extrait)

Il est difficile de commenter un tel livre et encore plus de le critiquer. Après tout, ce n’est qu’un recueil de faits avérés. Là où ça peut être intéressant pour les amateurs d’histoire, entre autres, c’est que ce livre réunit la collection complète des coups tordus d’une agence américaine qui dérive depuis sa création.

Il n’y a jamais eu d’enfants de chœur dans cette agence spécialisée dans l’accomplissement des basses œuvres du gouvernement américain et si j’en juge par les succès de l’agence, pas très flatteurs, il n’y a pas eu beaucoup de stratèges efficaces :

*Mais, tout comme il existe des flics véreux, la CIA a eu plus que sa part d’officiers corrompus. Contre toute attente, on a même découvert une taupe en son sein, en pleine ère Gorbatchev. Certains agents sont devenus alcooliques, d’autres sont sortis mentalement malades d’opération secrètes qui furent ensuite encensées pour ajouter à la légende de la CIA. * (Extrait)

Le volume comprend l’historique des opérations et les documents à l’appui… supposés secrets, qui prennent plus de 50% de la place dans le livre. Étonnant que l’agence SECRÈTE ait laissé sortir autant d’informations sensibles. Ceci dit, l’ensemble est très instructif.

Des centaines d’histoires incroyables circulent sur le compte de la CIA. Le livre de Denoël réunit les plus marquantes. Le livre évoque entre autres la protection des criminels de guerre nazis, l’expérimentation de drogues et de la torture sur des innocents, les nombreuses tentatives de meurtre sur la personne de Fidel Castro.

À cela s’ajoutent le *nettoyage* du Vietnam et du Laos, l’affaire Watergate, sans oublier la célèbre fable des armes de destruction massive en Irak…armes qu’on a toujours pas retrouvés. Le livre est divisé par suite de règnes présidentiels : Les années Truman-Eisenhower, Kennedy-Johnson, Nixon-Ford, Reagan-Bush sr et les années Clinton et Bush.

Plusieurs éléments découlant de l’historique des opérations et des témoignages m’ont simplement sidéré. Le fait par exemple qu’on planifie des assassinats avec autant de scrupules que si on planifiait une liste d’épicerie, les sommes colossales d’argent englouties par l’Agence pendant la guerre froide La chasse aux sorcières qui devait empêcher le communisme de gagner du terrain dans le monde a été le prétexte aux pires excès.

J’ai été aussi surpris du peu de contrôle exercé sur la CIA, allant même jusqu’à me demander qui gouverne aux États-Unis. J’ai compris qu’une agence de renseignements est indispensable dans une saine démocratie au moins pour voir venir les coups durs. Mais je m’explique mal une telle série de dérapages.

Les témoignages m’ont donné l’impression, sinon la conviction que la CIA échappait aux lois américaines ou les contournait joyeusement. Pas très reluisant comme palmarès.

Quant à la présentation du livre, à l’écriture et à l’originalité, je dirais que l’ensemble est plutôt indigeste car pour comprendre le positionnement de la CIA, il faut comprendre l’administration américaine et c’est un véritable panier de crabes.

Beaucoup d’instances politiques et administratives, beaucoup d’agences, une bureaucratie lourde et tentaculaire, le tout opacifié par le trafic d’influence, la recherche du pouvoir, l’ambition et j’en passe. Les non-initiés risquent d’y perdre leur latin.

Par contre, je le rappelle, l’ouvrage est instructif et s’annonce très intéressant pour les amateurs d’histoire, particulièrement ceux qui s’intéressent aux enjeux de la guerre froide. Personnellement, j’ai perdu mes illusions. Comme vu plus haut, le livre est très documenté, tellement qu’il devient opaque, difficile à lire.

À lire dans le calme, avec des pauses et de la patience. Livre intéressant spécialement sur le plan historique.

Suggestion de lecture : MOMENTUM, Patrick de Friberg

Spécialiste du renseignement, Gordon Thomas photo , est l’auteur de plus de quarante ouvrages traduits dans le monde entier, dont les best-sellers Histoire secrète du Mossad et Les armes secrètes de la CIA. Il est également journaliste d’investigation, collaborant avec le Sunday Express ou la BBC. Yvonnick Denoël est historien et éditeur.

Bonne lecture
JAILU/Claude Lambert
Le samedi 15 octobre 2022

HOMO DEUS, livre de YUVAL NOAH HARARI

VERSION AUDIO

*Dans la salle de bain, l’humanité se débarbouille, examine
ses rides dans la glace puis, elle se prépare une tasse de
café et ouvre son agenda…voyons l’ordre du jour : le
programme a été le même pendant des milliers d’années :
La famine, les épidémies et la guerre ont toujours été en tête
de liste…*

(Extrait : HOMO DEUS, Yuval Noah Harari, édition originale, Harvill
Secker éditeur, 2015, 448 pages. Version audio : Audiolib éditeur,
2018. Narrateur : Philippe Sollier, durée d’écoute : 14 heures 48)

Que deviendront nos démocraties quand Google et Facebook connaîtront nos goûts et nos préférences politiques mieux que nous-mêmes ? Qu’adviendra-t-il de l’État providence lorsque nous serons évincés du marché de l’emploi par des ordinateurs plus performants ? Quelle utilisation ferons-nous de la manipulation génétique ? Homo deus nous dévoile ce que sera le monde d’aujourd’hui, selon les mythes qui le hantent.

À ces légendes concernant  les dieux, l’argent, l’égalité et la liberté, s’allieront de nouvelles technologies démiurgiques. Et que les algorithmes pourront se passer de notre pouvoir de décision. Car, tandis que l’Homo sapiens devient un Homo deus, nous nous forgeons un nouveau destin. Le nouveau livre audio de Yuval Noah Harari offre un aperçu vertigineux des rêves et des cauchemars qui façonneront le XXIe siècle.

Une brève histoire du futur
*Hisser les humains au rang des Dieux peut se
faire selon trois directions : le génie biologique,
le génie cyborg et le génie des êtres non-
organiques. *
(Extrait)

Ce livre est en principe une suite logique de SAPIENS de Harari. Harari y livre sa version de l’histoire globale de l’humanité et développe une philosophie qui place l’homme et les valeurs humaines au-dessus de toutes les valeurs. Cette philosophie qui a valeur de religion s’appelle l’humanisme, un principe global de la vie humaine qui se précarise dans HOMO DEUS au profit des nouvelles technologies.

L’humanisme pourrait bien être parqué dans une voie de garage par un autre phénomène qui prendra valeur de religion dans HOMO DEUS, c’est-à-dire le traitement des données et  l’omniprésence des algorithmes qui caractérisent le troisième millénaire. Ces protocoles technos vont jusqu’à penser à notre place. Ainsi, des méga-MACHINES comme Google ou Facebook nous connaîtrons mieux qu’on ne se connaît nous-même.

Je dois noter ici une faiblesse et un irritant. Il y a beaucoup de redondance dans HOMO DEUS par rapport à SAPIENS. De la redite. Mais comme le propos est extrêmement intéressant et dans ce cas-ci, une narration dynamique et persuasive, il faut considérer HOMO DEUS comme un complément d’information, une mise à jour pour utiliser un langage techno, des précisions sur la pensée de l’auteur.

Sapiens s’en tient à l’histoire et aux dérives de la Société. Dans HOMO DEUS, il faut faire très attention au sous-titre UNE BRÈVE HISTOIRE DU FUTUR. Ça fait vendeur mais il n’est pas tout à fait approprié. L’auteur ne fait aucune prédiction sur le futur de l’humanité, pas d’énigme à la Nostradamus ni pronostic.

Harari développe outille le lecteur pour lui permettre de développer sa propre interprétation de l’avenir en s’appuyant sur la force d’attraction et de pénétration des nouvelles technologies…la fameuse techno-dépendance qu’Harari appelle le *dataïsme*. Le terme *histoire du futur* m’apparait donc un peu fort.

J’ai été séduit par la pensée de Yuval Noah Harari, basée sur l’histoire et la science, un soupçon d’empirisme et une analyse de l’esprit humain. Moins spontané que SAPIENS, HOMO DEUS m’a néanmoins gardé continuellement en alerte par la richesse du propos, la déconstruction de vieux concepts humains et la quantité d’informations livrées, parfois surprenantes.

Je n’ai jamais eu le temps de m’ennuyer : *Au début du XXIe siècle, l’être humain moyen risque davantage de mourir d’un excès de McDo que de la sécheresse, du virus Ébola ou d’un attentat d’Al quaida * (Extrait) Plusieurs passages ont de quoi surprendre et poussent à la réflexion.

Le livre nous laisse sur un tas d’interrogation. C’est souvent le cas dans les essais. Mais HOMO DEUS contient suffisamment de *données* pour brasser les consciences :

*Pour l’américain ou l’européen moyen, Coca Cola représente une menace plus mortelle qu’AL quaida. (Extrait) … *Plutôt que de craindre les astéroïdes, c’est de nous que nous devrions avoir peur. * (Extrait) … HOMO DEUS est une prise de conscience de l’histoire en devenir.

HOMO DEUS est un essai qui nourrit la réflexion par son propos ajusté aux réalités historiques de l’homme. À ce titre, c’est un ouvrage précieux que je n’hésite pas à recommander, en particulier la version audio avec l’exceptionnelle performance narrative de Philippe Sollier qui me donnait l’impression de s’adresser à moi.

Suggestion de lecture : 8 HISTOIRES DU FUTUR, collectif de nouvelles

Yuval Noah Harari est docteur en Histoire, diplômé de l’Université d’Oxford. Aujourd’hui, il a remporté le  » prix Polonsky pour la Créativité et l’Originalité  » en 2009 et en 2012. Acclamé par Barack Obama et Mark Zuckerberg, son ouvrage Sapiens est devenu un phénomène international : traduit dans près de 40 langues et présent dans toutes les listes de bestsellers à travers le monde.

 

Sur les scènes de théâtre Philippe Sollier a joué Goldoni, Marivaux, Labiche, Tchekhov, Strindberg, Wesker… des spectacles pour enfants et des spectacles de clown. À la télévision, il a participé à de nombreuses séries, notamment policières, des téléfilms et un documentaire-fiction Otages à Bagdad. Il prête sa voix à grand nombre de documentaires, téléfilms étrangers ou dessins animés.

Homo Deus est la suite logique de SAPIENS



Sapiens retraçait l’histoire de l’humanité. Homo deus interroge son avenir.

Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 9 octobre 2022

 

LA GRIFFE DU CHAT, de Sophie Chabanel

Version audio

*Je ne le reverrai plus jamais, hoquetait la femme
effondrée sur la banquette à trois mètres du corps
étendu par terre. Elle tenait sa tête dans sa main
gauche tandis que son bras droit en attelle restait
stoïque à côté d’elle curieusement désolidarisé de
son corps en émoi.*

(Extrait : LA GRIFFE DU CHAT,
Sophie Chabanel, Le Seuil éditeur, 272 pages, papier.
Version audio : Sixtrid éditeur, 2019, durée d’écoute :
7heures 40 minutes, narratrice : Marie-Cristine Letort.)

Le propriétaire d’un bar à chats lillois est retrouvé gisant dans une mare de sang au milieu de ses matous. Comble de l’infamie, le chat star du commerce, Ruru, manque à l’appel. La commissaire Romano est mise sur le coup, assistée de son adjoint Tellier – aussi terre à terre qu’elle est spirituelle et borderline. Étrangement, ce duo fait des étincelles sur le terrain, et l’assassin voleur de chat (si tant est que ce soit une seule et même personne) va devoir user de mille ruses s’il compte échapper à ces deux enquêteurs de choc…

Une histoire de chats qui a du chien !
*Sur la porte du café des chats, une feuille A4 avait été scotchée:
< Fermé pour convenance personnelle, réouverture jeudi 12 mars.>
Une expression inattendue pour évoquer un mari décédé, la veuve
était décidément une personnalité créative.* 

LA GRIFFE DU CHAT est une comédie policière, atypique, très sortie des sentiers battus à cause du profil de ses principaux personnages qui ont pris, au final, plus d’importance que l’histoire elle-même. Mais voyons le décor: Le propriétaire d’un bar à chat, Nicolas Peyrard est trouvé au beau milieu de son bar, gisant dans son sang, le ventre troué par une balle.

Ici, je veux préciser que le bar à chat, est un concept japonais qui consiste à accueillir plusieurs chats dans un bar pour détendre et apaiser les clients qui peuvent aussi faire preuve d’affection. Mais il y a pire que Peyrard tué au beau milieu de ses chats indifférents, la plus belle pièce féline de la famille, RURU a disparu…un persan gras comme un voleur et con comme un balai. Le verdict des clients : suicide et enlèvement.

Mais pour le département de police, il y a anguille sous roche et il est temps de faire intervenir ses meilleurs limiers en la matière, la commissaire Romano et son adjoint, l’inspecteur Tellier. Le reste du récit est une suite d’argumentaires qui ballotent le lecteur-auditeur : suicide ou pas suicide…on se perd un peu en conjecture jusqu’à la finale ou on donne enfin un peu plus de place à l’émotion.

Ce n’est pas tant l’histoire qui m’a intéressé que l’originalité des principaux personnages: d’abord, la commissaire Romano, féministe déjantée, séductrice et sexuellement très libre.

*Romano avait une préférence pour les hommes mariés, statistiquement moins collants. Elle n’était pas chargée de la moralisation de la vie conjugale du pays. * (Extrait) Sa technique d’enquête est particulière et donne parfois l’impression de s’enfarger dans les fleurs du tapis. Sa muflerie cache un profil très humain.

Et puis, il y a l’adjoint : l’inspecteur Tellier, le mal attifé de l’histoire, vêtements désassortis, un minois juvénile dans un corps d’homme, particulier sur ses méthodes, redoutable dans sa façon d’interroger…une sympathique bouille d’ado, maintenue hors de l’eau grâce à Romano.

*Tellier était un pur, et les purs étaient dangereux, Romano en était convaincue. En même temps, elle… observait son mélange de colère et de droiture névrotique avec la curiosité d’un expert psychiatrique, et parfois une forme d’envie. * (Extrait)

Voilà ce qui m’a subjugué: l’évolution de deux sympathiques énergumènes qui m’ont fait passer un vrai beau moment. Ne vous attendez pas toutefois à un chef d’œuvre de littérature policière.

Outre une enquête parfois décapante rendue nécessaire par une gaucherie sentimentale, ne vous attendez à rien. Laissez-vous porter par l’agréable légèreté du récit, rendu par la voix bien modulée de Marie-Christine Letort et dans lequel l’humour confine parfois à la loufoquerie. Ce sont des petits formats comme je les aime parfois.

Ça ne révolutionne rien, mais il n’y a pas de longueurs, pas de lourdeur, quelques passages décapants, beaucoup d’humour et des chats partout. Si vous aimez les félins, c’est donc un plus. S’ils vous énervent…passez votre chemin.

Mais voyez…je ne suis pas fou des chats et j’ai écouté l’ensemble du récit avec un sourire bien accroché aux lèvres… *Le scotch jaune de scène de crime avait disparu, les chats dormaient, la déco décorait, la patronne trônait : bref, le bar avait repris son apparence ordinaire. * (Extrait)

Suggestion de lecture : HISTOIRE D’UNE MOUETTE ET DU CHAT QUI LUI APPRIT À VOLER, de  Luis Sepulveda

Après sa formation à HEC, Sophie Chabanel travaille quelques années en entreprise avant de bifurquer vers le monde associatif. Le Principe de réalité (Plein Jour, 2015) est un récit fondé sur son expérience avec les personnes sans logement. Désireuse de contribuer à un monde du travail plus humain. La Griffe du chat le troisième roman et premier policier de Sophie Chabanel

Bonne écoute
Claude Lambert
Le samedi 8 octobre 2022

LE PETIT MOZART, la BD de William Augel

*-Bimperl, ne touche pas à cette trompette.
Ce n’est pas parce qu’elle fait un bruit de pet
que tu as le droit de renifler ses fesses.*
(Extrait : LE PETIT MOZART, William Augel,
La Boîte à bulles éditeur, 2019, BD en format
numérique, 50 pages)

Pour l’instant connu sous le sobriquet de Wolferl, le petit Wolgang Amadeus Mozart ne vit que pour la musique. Et il sait déjà l’apprécier sous toutes ses formes, même les plus inattendues ! Le jeune virtuose cherche — et trouve ! — l’inspiration partout où elle se cache, jusque dans les cris de Nannerl, sa soeur… Qu’elles proviennent des oiseaux ou des grillons, toute note est bonne à prendre, car pour ce génie en herbe, tout n’est que musique ! De l’Autriche à l’Angleterre, en passant par la France, notre petit Wolgang, bien que promis à la postérité, n’est pas encore mûr pour garder ses réflexions pour lui et ce, pour notre plus grand plaisir !

Génie en devenir
*…-‘LE BAVON DE LA QUEUE DE COCHON’ ? –C’est
quoi cette nouvelle signature sur ta partition?
C’est mon nouveau pseudonyme. Génial hein?
Amadeus, c’est un peu prétentieux.*
(Extrait)

LE PETIT MOZART est un adorable petit livre proposant un récit humoristique sur l’enfance du célèbre compositeur Wolfgang Amadeus Mozart. Dans le récit, on l’appelle Wolferl. C’est un enfant. Ce n’est pas encore un génie mais on sent que la graine va germer et produire un des fruits les plus appréciés du monde.

Entre temps, le petit Wolferl développe une passion pour la musique qu’il sait déjà écrire. Il joue du clavecin. Il a même terminé son premier menuet. Il est très intelligent, a une répartie spontanée. Et surtout, il est drôle. Dans cette trop courte mais savoureuse BD, William augel, auteur-concepteur-dessinateur, nous raconte ce qu’il imagine comme le quotidien du petit Mozart : sa famille, son clavecin et son violon.

Il ne faut pas oublier non plus ses petits concerts et une incroyable quantité de situations drôles, rigolotes qui s’enchaînent à la queue leu leu comme sur une feuille de musique. Wolferl n’a pas vraiment de vie sociale dans le sens qu’on lui donne aujourd’hui. Sa société, c’est la musique dont l’enrichissement à l’échelle universelle n’est plus qu’une question de temps.

En lisant cette petite bande dessinée, j’ai beaucoup ri et je me suis senti aussi attendri à cause de l’amour qui se dégage du récit et de la pétillante personnalité de Wolferl. Ma lecture ma aussi rappelé des souvenirs de mon enfance  car la bande dessinée est présentée un peu comme ce que j’appelais les *Comics* qui étaient publiés en planches simples dans les quotidiens de l’époque.

Tous les jours, j’allais dans les dernières pages du Nouvelliste pour voir Henri, Philomène, Mandrake, etc  évoluer quotidiennement dans un bref strips. On appelle une série de quatre ou cinq cases dessinées et disposées horizontalement un strip. Certains de ces strips racontent une histoire à suivre, mais plusieurs, comme dans le petit Mozart, se concluent dans une seule et même série.

C’est ce que la presse bédéiste appelle un *gag indépendant*. C’est sûrement la forme la plus exigeante pour un auteur-dessinateur car sa petite série de cases doit être conclue intelligemment et avec humour à la quatrième ou cinquième case. À ce titre, je considère William Augel comme un virtuose.

Ce petit opus est plein de bonne idées, des situations très cocasses, inattendues et surprenantes. Au-delà du génie, de l’intelligence supérieure et de la virtuosité, le petit garçon est attachant et fort sympathique. Ce livret est une magnifique façon non seulement d’introduire les enfants à la lecture mais aussi les introduire au panthéon des personnages célèbres.

Toutefois, si vous proposez cette BD à un enfant, je vous suggère de faire une petite recherche afin d’expliquer à l’enfant qui était Mozart et comme il serait intéressant de voir de quoi il avait l’air quand il était enfant.

Ça aurait été une bonne idée d’inclure en introduction un petit texte en ce sens, destinés aux parents parce que beaucoup d’entre eux aime raconter des histoires. Mais je ne considère pas cette absence comme une faiblesse. Le petit Mozart m’a diverti au-delà de toute attente.

Donc offrir LE PETIT MOZART à un enfant est une bonne idée. Pour l’adulte que je suis, c’est définitivement trop court. Mais pour les jeunes lecteurs, 48 pages, c’est juste parfait, insuffisant pour se décourager et le thème développé plait généralement aux enfants, C’est comme une introduction toute en douceur et en humour dans le monde de la musique. J’ai trouvé ça génial.

Suggestion de lecture : LE VILLAGE, de Karl Olsberg

 

William Augel est né au Mans, en 1973. Dessinateur et illustrateur indépendant, il signe plusieurs ouvrages à destination de la jeunesse et travaille régulièrement pour des magazines tels que, par exemple, « La Salamandre ». Il publie en 2011 Atomes Crochus puis, en 2012, Monstrueuse Cathy dans la collection BN des éditions Jarjille, qui sera suivi d’un second album, en grand format cette fois, mettant en scène le même personnage. En 2016, paraissent Zoostrip et Pinard mon nectar puis, l’année suivante,  Le Petit Mozart.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 2 octobre 2022

IL PLEUVAIT DES OISEAUX, Jocelyne Saucier

*…où il sera question de grands disparus, de pacte
de mort qui donne son sel à la vie, du puissant
appel de la forêt et de l’amour qui donne aussi
son prix à la vie…*
(Extrait : IL PLEUVAIT DES
OISEAUX, Jocelyne Saucier, à l’origine, XYZ éditeur,
179 pages, 2011. version audio : Audible studios
éditeur, 2018. Durée d’écoute : 4 heures 57 minutes,
narrateurs : Jacques Clermont et Dominique Petin.)

Une photographe du Herald Tribune part réaliser un reportage sur la région du Témiscamingue, dont les forêts ont été ravagées par de gigantesques incendies au début du XXe siècle. Elle y trouve une communauté de marginaux fantasques et solitaires, dont Tom et Charlie, deux vieillards qui ont survécu à l’incendie et vivent en ermites au fond des bois. D’abord méfiants puis déterminés à aider la photographe dans son enquête, les deux hommes voient leur quotidien chamboulé.

Et, soudain, lorsqu’arrive Marie-Desneiges, octogénaire énigmatique tout juste échappée de sa maison de retraite, la vie, puis contre toute attente l’amour, reprend peu à peu ses droits.

Poétique et vert
*Dans son visage tout ridé, il y avait la peur
et la fascination de la peur. D’un mince doigt
gracile, elle a désigné le monstre empaillé de
fureur blonde. Elle n’avait aucune idée de ce
que c’était…  *
(Extrait)

C’est un roman d’une belle profondeur, bien bâti et fortement imprégné de douceur, de chaleur et d’émotion et avec, comme toile de fond les incendies de forêts les plus meurtriers de l’histoire du Canada au début du XXe siècle, incendies qui ont détruit de gigantesques espaces dans le nord de l’Ontario jusqu’à Cochrane et Matheson, touchant durement une partie de l’Abitibi-Témiscamingue.

Une photographe du Herald est chargée de se rendre à Matheson pour recueillir les témoignages d’hommes et de femmes qui sont devenus aujourd’hui des vieillards. Elle veut particulièrement recueillir les propos de trois vieillards, Tom et Charlie mais le troisième, Boychuck n’est plus là,  Il est mort. Pourtant, ce sera le personnage qui induira le plus d’empathie dans le récit de Jocelyne Saucier…

Boychuk, 14 ans au moment des grands feux et qui, agressé par les flammes et la fumée, aveugle, marche et cherche son amoureuse avec l’énergie du désespoir. Il faut voir et entendre comment la photographe bouleversera la vie des vieillards. Et voilà qu’arrive le personnage le plus énigmatique et le plus original de l’histoire.

Marie-Desneiges a 82 ans. Libérée après 66 ans à l’asile et elle se souvient…elle se souvient qu’il pleuvait des oiseaux. En tant qu’auditeur, une brise chaude est venue m’envelopper. C’est le caractère humain du récit qui est surtout venu me chercher.

C’est ainsi que le récit, assis sur un inimaginable drame humain et environnemental devient une chronique des souvenirs de vieillards, des hommes qui ont choisi la forêt pour y vivre et mourir au moment qu’eux-mêmes auront choisi.

Le récit développe les difficultés et les misères de la vieillesse vivant à l’écart de la Société bien sûr, mais aussi l’amour, continuellement mis en attente et qui est pourtant ardent, spécialement dans le coeur de Boychuck que j’ai trouvé particulièrement attachant. J’irai plus loin en disant que l’auteur jette un regard critique sur notre Société et ses vieux et ses vieilles qui donnent parfois l’impression d’être dans une voix de garage.

À cet effet, j’ai beaucoup apprécié la plume de l’auteur, exempte de jugements, de propos moralisateurs et de philosophie bon marché. Il pleuvait des oiseaux est un hommage à la vie et à la liberté. C’est aussi une réflexion sur les choix qu’imposent une fin de vie. ll y a beaucoup d’émotion dans l’histoire.

Quand j’ai entendu qu’il pleuvait des oiseaux, j’ai eu un long frisson tout le long du dos et jusqu’au coeur. L’auteur m’a figé et elle m’a emmené où elle voulait. À l’audition, vous ne tarderez pas à saisir le sens du titre. Et là, l’addiction vous guette.

C’est une belle histoire, émouvante et sensible. J’y note très peu de faiblesse à part peut-être la question du choix de la mort, le choix du moment, le choix de la façon, le poison en particulier. La fin de vie est abordée avec une légèreté un peu irritante.

Finalement, une introduction un peu longue, teintée d’indécision et une finale qui m’a semblé un peu expédiée. Entre les deux, un récit addictif avec un un fil conducteur solide que symbolise le courageux Boychuck. La beauté de l’écriture est à la limite de la poésie.

<Tout est là, ce pétillement de lumière rose dans les yeux d’une petite vieille qui s’amuse avec son âge et cette image d’une pluie d’oiseaux sous un ciel noir…séduite et intriguée par toutes ces vieilles personnes qui avaient la tête peuplée des mêmes images, la photographe… en était venue à les aimer plus qu’elle n’aurait cru. >  Extrait…

L’écoute n’est pas trop longue et j’ai trouvé la narration de Jacques Clermont et Dominique Petin très agréable même si je me suis questionné sur la nécessité de mettre deux voix là-dessus. Enfin, je crois que je vais me rappeler longtemps de ce livre. J’ai vu le film aussi, je ne ferai pas de commentaire sur l’adaptation à part que je préfère de loin le livre audio.

Suggestion de lecture : LES MONDES CACHÉS, bande dessinée de Denis-Pierre Filippi et Silvio Camboni

IL PLEUVAIT DES OISEAUX au cinéma

IL PLEUVAIT DES OISEAUX a été adapté à l’écran en 2019. Scénarisé et réalisé par Louise Archambault, Le film réunit à l’écran Andrée Lachapelle, Gilbert Sicotte Rémy Girard, Ève Landry, Éric Robidoux et Louise Portal. Prod. : Ginette Petit

Jocelyne Saucier est romancière. Ses trois premiers romans, La vie comme une image (finaliste, Prix du Gouverneur général), Les héritiers de la mine (finaliste, prix France-Québec) et Jeanne sur les routes (finaliste, Prix du Gouverneur général et prix Ringuet) ont été chaleureusement accueillis par la critique.

Il pleuvait des oiseaux, son ode à la liberté parue en 2011, lui a valu de nombreux prix et a conquis le cœur d’un très vaste public en une quinzaine de langues, en plus d’avoir fait l’objet d’une adaptation au cinéma par Louise Archambault.

 

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 1er octobre 2022