LE GRAVEUR, livre de Pierre Bergeron

*L’intrus lève son arme et juste avant de presser
la détente, il voit Soucy lever les yeux vers
l’escalier derrière lui, il presse la détente deux
fois. Deux petits bruits secs résonnent avant que
Soucy tombe à la renverse sur la table à café
dans un grand fracas. *
(Extrait : LE GRAVEUR, Pierre Bergeron, ADA
éditions, collection Corbeau, 2019, 400 pages)

Un avocat opposé au crime organisé, un directeur de la protection de la jeunesse et un pédophile sont abattus dans diverses régions du Québec. Rien ne les relie, mis à part la signature sur leurs cadavres: les lettres T et C ont été gravées dans la chair de leurs fronts. Que signifient ces lettres? Qui peut bien se cacher derrière ces homicides?

La liste de suspects potentiels est tellement longue que les enquêteurs de la Sûreté du Québec et de la police de Longueuil doivent travailler ensemble pour résoudre ces  meurtres sordides.

Un graveur grave
*Méthodiquement et sans s’énerver, il observe les
signes vitaux de sa victime tout en surveillant
cette rue encore déserte. Le décès confirmé, il
sort un couteau tactique Walther P99 d’une poche
avant. Il déplie la lame et se penche sur le corps
avec un frisson de plaisir comme s’il goûtait à
l’avance ce qu’il est sur le point de faire. *
(Extrait)

C’est un roman intéressant, bien développé, avec en général tout ce qu’il faut pour capter l’attention. C’est un thriller fort, malgré certaines faiblesses. Mais voyons d’abord le contenu.

Les policiers de la Sûreté du Québec et du service de police de Longueuil doivent unir leurs forces pour résoudre des meurtres crapuleux qui n’ont en fait qu’un seul point en commun : Les lettres T et C gravées sur le front des victimes. C’est ainsi que le meurtrier devient LE GRAVEUR L’auteur frappe dès le départ avec un meurtre puis un autre, un double…

Entrée en scène des policiers qui seront présent tout le long du récit : de la sq, Marie Loup Berger à la beauté parfois dérangeante. Louis Biron, plus ou moins stable psychologiquement car il se croit l’auteur d’une gaffe policière qui a amené une mort d’homme. De la police de Longueuil, Benoit Lassonde qui a eu dans le passé une vie conjugale pénible.

Beaucoup d’autres personnages vont grossir la galerie en cours de récit. Une enquête aussi minutieuse qu’ardue se développe très lentement.

LE GRAVEUR est un polar minutieux et crédible sur le plan policier. C’est la minutie de l’enquête imaginée par Pierre Bergeron qui amène les policiers à croire qu’il y a peut-être plus qu’un point en commun entre les victimes. Le roman devrait plaire je crois aux amateurs de polars et aussi aux geeks car ce qui a permis au graveur de se rendre si loin est sa maîtrise dans nouvelles technologies et l’utilisation du DARK WEBB, le côté obscur du réseau internet, de plus en plus évoqué en littérature. 

*On y retrouve : des trafiquants d’armes, de drogues ou d’esclaves, ainsi que nombre de pédophiles. Dans cette partie de la toile, tout est accessible par le biais de forums de discussions où vendeurs et acheteurs se rencontrent anonymement à l’abri des organismes qui espionnent l’Internet. Le seul préalable, c’est d’être capable d’y surfer incognito pour assurer sa sécurité en regard des pirates qui y foisonnent. *  (Extrait)

Grâce à cette compétence particulière, LE GRAVEUR se joue des policiers et évolue dans ce qui rappelle le jeu du chat et de la souris. C’est habilement construit et bien imaginé.

La faiblesse du récit est dans sa finale. Pour ce qui est de connaître et comprendre les motivations du tueur, le lecteur et la lectrice sont laissés sur une voie de garage tout le long du récit. Bien sûr, le tueur parle et laisse des indices sur ce qui pourrait être par exemple une vengeance, mais pourquoi exactement ?

La réponse à cette question explose en quelques pages à la fin du récit. Personnellement j’aurais aimé que l’auteur me mette dans le coup plus tôt dans le récit, m’amène à tirer mes conclusions et les comparer à la fin comme si je voulais me donner une note. J’ai eu l’impression que la finale accordait plus d’importance aux États d’âme de Louis Biron qu’aux motivations du tueur.

Il y a dans la finale ce qui ressemble à un déséquilibre. Bien sûr, j’ai fini par savoir ce que signifient les lettres T et C et personnellement, j’ai trouvé ça plutôt simpliste. C’est évidemment une question de perception, sachant à la fin ce qui motive le GRAVEUR et l’entraîne dans un tel déploiement de haine et de violence.

Donc j’ai déchanté un peu à la finale mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle manque d’intérêt. La force du récit réside dans sa construction. Je pense aux étapes de l’enquête, aux subtilités conduisant aux déductions.

Je me suis senti dans les coulisses d’un vrai service de police, ce qui consacre la crédibilité de l’histoire si je tiens compte des 25 années d’expérience de l’auteur dans les enquêtes criminelles. Pour toutes ces raisons, je recommande sans hésiter LE GRAVEUR de Pierre Bergeron.

Suggestion de lecture : DARK WEBB, de Dean Koontz

Pierre Bergeron est né à Longueuil en 1951. C’est à la suite de l’enlèvement de monsieur Pierre Laporte, alors ministre du travail, qu’il a décidé de devenir enquêteur. Après 32 années d’expérience, dont 25 consacrées aux enquêtes criminelles. Il a écrit son premier livre NÉ POUR ENQUÊTER en 2016. LE GRAVEUR est son deuxième roman.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 5 novembre 2022

LE SANCTUAIRE DU MAL, Terry Goodkind

*Depuis trois semaines, John Allen Bishop gardait
le diable enchaîné dans la cave. Le diable de
passage à Chicago ? Pour y faire quoi, exactement ?
John n’en savait rien, et son prisonnier n’était pas
loquace. Mais la situation, ces derniers jours,
devenait de plus en plus inquiétante. *
(Extrait : LES SANCTUAIRES DU MAL, Terry Goodkind,
édition originale, Bragelonne 2017, édition de papier 409p.)

Kate Bishop vit et travaille à Chicago. Elle pensait être une femme ordinaire, jusqu’au jour où, impliquée malgré elle dans l’enquête sur le meurtre de son frère, elle découvre qu’elle dispose d’un don : la capacité d’identifier les criminels en les regardant dans les yeux.
Mais ce don est aussi une malédiction : il fait d’elle une cible. Terrifiée par cette révélation, Kate est contactée par Jack Raines, un mystérieux auteur qui prétend être le seul à pouvoir l’aider. Il possède d’obscures connexions dans le dark Web. Alors qu’une horde de tueurs, sortes de super-prédateurs, s’est lancée à ses trousses, Kate doit se battre pour sa vie. 

Les abysses de la toile

*Dans la vaste configuration du monde, dit-il en enfonçant un pouce dans l’orbite gauche de John, tout ça n’a aucune importance. Après tout, l’univers aussi est aveugle. Alors qu’il sombrait dans un océan de souffrance qu’il pressentait sans fond, John entendit à peine ces mots. La douleur dans ses yeux devint insupportable… * (Extrait)

LES SANCTUAIRES DU MAL est un récit sombre mais original imprégné d’un caractère fantastique. L’histoire comporte des passages haletants mais son rythme est inconstant. Voyons ça en détail.

Voici l’histoire de Kate Bishop de Chicago, impliquée malgré elle dans l’enquête sur le meurtre de son frère John. John avait un don qui lui a valu la mort : il pouvait déceler un criminel en regardant ses yeux. Kate découvre qu’elle a le même don mais il va encore plus loin : elle peut déterminer le nombre de victimes potentielles, la façon dont ils vont mourir et dans combien de temps.

Kate a peur de ce pouvoir et elle a raison, les meurtriers, appelés prédateurs sont à sa poursuite…Kate est par la suite prise en charge par un mystérieux personnage qui peut déceler les porteurs de pouvoir comme celui de Kate. Le super-prédateur Jack Raines tente de remonter une mystérieuse et implacable filière pour atteindre le SANCTUAIRE DU MAL.

Le récit développe deux éléments majeurs : d’abord, le partenariat entre Kate et Jack  qui explique très graduellement les raisons pour lesquelles les personnes ayant le don de Kate sont recherchées pour être mises à mort.

Deuxième élément, tributaire du premier, l’auteur nous entraîne dans une angoissante descente jusque dans les basses fosses d’internet, le dark web, accessible grâce à une simple passerelle facile à trouver, le logiciel T.O.R. Certains sites dont LE SANCTUAIRE DU MAL, d’une inimaginable monstruosité ne sont pas sans rappeler HELL.COM de Patrick Sénécal.

Si vous avez lu ce livre, Rappelez-vous Saul, le richissime homme d’affaire qui voulait profiter des services illicites du dark web et rappelez-vous ce qu’il s’est fait dire :

*…<Sachez que l’enfer est partout et qu’il accueille deux classes de résidents : les démons et les damnés. La grande majorité des humains font partie de la seconde classe ; seuls les privilégiés comme vous appartiennent à la première.. »  (Extrait : Hell.com) À ce titre le livre de Goodkind pourrait vous donner froid dans le dos.

C’est une histoire bien imaginée, très bien écrite et très descriptive. Trop par moment, c’est le principal irritant du livre : des dialogues et même des monologues qui ne finissent pas de finir. C’est Jack Raines qui entraîne le lecteur dans ce qu’on pourrait appeler un cours de prédation 101.

Ces bavardages ont l’effet de diluer l’intrigue, simplement pour décrire une façon de vaincre le mal, ce qui nous ramène à l’éternelle dualité entre le bien et le mal. J’aurais préféré un meilleur équilibre entre les dialogues et l’action qui est la principale force du récit. 

L’ouvrage est quand même bien documenté et m’a même poussé à une recherche supplémentaire…assez pour réaliser que la description que Goodkind fait des bas-fonds d’internet est assez juste. C’est crédible. Malgré quelques passages très tirés par les cheveux et quoiqu’on dise des longueurs générées par une théorie originale sur la lutte contre le mal, je crois que cet essai dans le thriller est réussi.

Somme toute, c’est un bon livre dont on peut pardonner les longueurs au profit des passages addictifs et de l’originalité du sujet. Sur la finale, je suis très mitigé, presque frustré. Au moment d’écrire ces lignes, il n’y a pas de suite annoncée mais on dirait bien que la finale obscure de LES SACTUAIRES DU MAL s’y prête. Nous verrons…

Suggestion de lecture : PANDEMIA de Frank Thilliez

Terry Goodkind est un nouveau prodige de la Fantasy américaine. En quelques mois, son cycle de L’Epée de Vérité est devenu un best-seller international. Il a réussi l’exploit de réunir tous les publics sous sa bannière. Traîtrise, aventure, intrigue, amour, tous les ingrédients sont réunis dans ce cycle pour en faire la plus grande fresque de Fantasy depuis Tolkien.

Né en 1948 à Omaha, Nebraska, Goodkind a d’abord intégré une école d’art de la ville pour se spécialiser dans la représentation de la faune et de la flore pour enfin s’intéresser à la restauration d’artéfacts rares du monde entier. Puis il écrira encore et encore en commençant par LA PREMIÈRE LEÇON DU SORCIER en onze tomes.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 31 juillet 2022

NE TE RÉVEILLE PAS, livre de LIZ LAWLER

*Un vague souvenir refit surface : elle avançait en
trébuchant…poitrine en avant, ventre rentré, histoire
de mettre sa silhouette en valeur dans sa nouvelle
robe. Et ensuite, un vertige, ses jambes qui se
dérobaient sous elle et ses genoux qui heurtaient le
sol…une pression sur sa bouche, plus d’air, un
haut-le-cœur et puis…plus rien.
*
(Extrait : NE TE RÉVEILLE PAS, Liz Lawler, City éditeur,
2018. Édition de papier, 358 pages)

Quand Alex se réveille, elle est nue, attachée sur une table médicale. Tout semble prêt pour l’opérer mais… la jeune femme est en parfaite santé, elle n’a aucune raison d’être là ! Et l’homme qui manipule les bistouris à ses côtés n’est pas chirurgien. La terreur envahit Alex, juste avant qu’elle ne perde conscience.  Quand elle reprend ses esprits, elle se voit indemne, sans blessure apparente. Dans son entourage, personne ne croit qu’elle a été séquestrée ou violée. On l’accuse de paranoïa, d’affabulation. Ravagée par  ces accusations, la jeune femme est décidée à découvrir ce qui lui est réellement arrivé. À n’importe quel prix…

Le piège de la parano
*…Alex Taylor devenait inquiétante. Son comportement…
avait conforté Laura dans sa conviction que cette
fille souffrait d’une maladie mentale. Comment était-
il d’ailleurs possible qu’on l’autorise encore à exercer ?
Mais ce n’était plus qu’une question de temps avant sa
radiation.  
(Extrait)

À partir des évènements cités dans la présentation (ci-haut) plus rien ne tournera à la faveur de la docteure Alex Taylor à qui la vie fera passer un mauvais quart d’heure. Non seulement personne ne la croit mais plusieurs pensent qu’elle est paranoïaque. 

Alex sera aussi soupçonnée suite à une série de graves évènements : sa présence lors de la mort d’Amy Abbott et de Lilian Armstrong, sa présence lorsqu’une erreur de médicament à deux doigts d’être fatale avait été commise. Sans compter la mort de Fionna Woods qui était la meilleure amie d’Alex. Pour Alex, le pire est de n’être crue d’à peu près personne.

Deux autres éléments vont venir se rajouter pour alimenter l’intrigue. D’abord, plusieurs personnes soupçonnaient Alex Taylor de réunir plusieurs symptômes du syndrome de Münchhausen, une pathologie psychologique  caractérisée par un besoin de simuler une maladie dans le but d’attirer l’attention, la compassion.

Deuxième élément, la participation d’un personnage appelé Oliver Ryan, un acteur de cinéma qui avait reçu l’autorisation de suivre le corps médical de l’hôpital où travaillait Alex Taylor, dans le but de camper le mieux possible un personnage médical dans un futur film. Pour le malheur d’Alex, Oliver Ryan est mort pendu. Cette mort a toutes les apparences d’un suicide mais elle est, semble-t-il, entourée de beaucoup de mystères.

Je mentionne enfin qu’Alex Taylor s’est jurée de découvrir ce qui lui est vraiment arrivée et le temps presse, parce que sa vie part complètement à la dérive. La question est : se fait-elle des accroire ?

Le moins que je puisse dire est que l’auteure Liz Lawler a réussi à me mystifier. J’étais tantôt convaincu qu’Alex Taylor disait vrai et était victime d’une cruelle machination, tantôt je croyais que la docteure inventait toute son histoire et se laissait aller à d’horribles crimes. Je me promenai ainsi d’un camp à l’autre jusqu’à ce qu’un policier, un cran plus perspicace que les autres, considère que quelque chose cloche.

C’est le petit côté prévisible de ce genre d’histoire. Il y a quelque part un petit Colombo en puissance qui voudra scruter le côté B de la médaille. Mais cette curiosité, Greg l’a poussée un peu tard. Le lecteur est maintenu longtemps dans une zone grise mêlant adroitement le tort et la raison, d’autant que la pauvre Alex était portée sur la bouteille depuis son premier enlèvement (il y en aura un autre). Au bout du compte, il y avait plus de contre que de pour. 

C’est une intrigue efficace. Elle m’a tenu en haleine. L’écriture est directe. Je n’ai pas décelé beaucoup de longueurs. On entre assez vite dans l’histoire. Je m’attendais à voir des policiers s’épancher sur leurs états d’âme comme ça arrive souvent mais l’auteure s’est abstenue, l’intrigue ayant pu ainsi maintenir toute sa force jusqu’à la fin. Même qu’une policière très portée sur l’avancement s’est fait remettre à sa place et ça m’a plu. 

Dans l’ensemble, les personnages sont plutôt froids. Il est difficile de s’y attacher. Ce qui explique en partie pourquoi il est si difficile de départager le tort et la raison chez Alex. On doit s’en tenir à l’opiniâtreté d’un personnage : *Son unique espoir désormais reposait sur Greg Turner, un homme bien et doué pour déceler les mensonges…* (Extrait)

Je ne veux pas vous mystifier à mon tour mais est-on certain que Turner apprendra la vérité et si oui, en faveur de qui penchera-t-elle? Bien écrit ! Bien rendu ! NE TE RÉVEILLE PAS est un thriller très recommandable.


Après avoir été infirmière et responsable d’un hôtel de luxe, Liz Lawler se consacre aujourd’hui à l’écriture. Ce premier roman l’a consacrée comme nouvelle reine du thriller psychologique britannique. Numéro un des ventes, ce roman palpitant est en cours de traduction dans une dizaine de langues.

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 19 juin 2022

PROIES, le livre anxiogène de MO HAYDER

*…juste là quand il est arrivé sur elle.
Il a dit allonge-toi salope. Elle n’a
reconnu sa voix parce qu’il gueulait. *
(Extrait : PROIES, Mo Hayder, édition originale fr. :
Pocket, 2011, 544 pages, version audio : Audible
studios, 2018. Narrateur : François Hatt. Durée
d’écoute : 12 heures 12)

Alors qu’elle dépose ses courses dans le coffre de sa voiture, une femme est jetée au sol par un individu qui prend la fuite à bord du véhicule. Pour la police, c’est un banal fait divers, l’agresseur ne s’est sans doute pas rendu compte de la présence d’une fillette sur la banquette arrière. Mais le scénario s’assombrit : l’enfant reste introuvable et une deuxième petite fille disparaît dans les mêmes circonstances. Les commissaires vont plonger dans l’horreur à l’état pur.

ANXIOGÈNE
*-C’est son anniversaire demain.
murmura-t-elle.  Vous allez la
ramener pour son anniversaire ? *
(Extrait)

Je dois dire d’entrée de jeu que j’ai été subjugué par la performance narratrice de François Hatt. Un registre vocal précis pour chaque personnage, celui du commissaire Jack Caffery particulièrement réussi. L’harmonique, la signature vocale de l’ensemble traduit une remarquable intensité dramatique.

Je n’ai pas lu la version papier mais je sais que la narration a mis en valeur une histoire particulièrement sombre tout en imprégnant l’auditeur/auditrice d’une atmosphère lourde, glauque. Le récit rappelle une toile d’araignée dont on ne peut s’échapper et qui nous rapproche inexorablement d’une finale au départ improbable. Ce n’est pas ce que je pourrais appeler à proprement parler un livre de détente.

Le rythme du récit n’est pas spécialement élevé sauf dans les deux dernières heures d’écoute, mais la violence contenue, calculée et sans pitié qui caractérise l’histoire est de nature à pétrifier l’auditeur/auditrice : meurtres violents, atmosphère torturée, quelques passages à soulever le cœur et des policiers dépassés mais opiniâtres. Avant d’aller plus loin, voyons le synopsis.

Le scénario est toujours le même. Un homme agresse une femme dans le seul but de lui voler sa voiture. L’agresseur se trouve à kidnapper par inadvertance l’enfant qui se trouve sur la banquette arrière. Le lecteur ou l’auditeur comprendra vite qu’il n’y a pas d’inadvertance, l’histoire étant sensiblement prévisible.

L’effort de Mo Hayder pour développer la psychologie du mystérieux personnage laisse à penser que c’est aux parents que l’agresseur veut s’en prendre en enlevant les enfants qui ont un point en commun. Ce sont des petites filles uniques, les parents, pour toutes sortes de raisons, ne pouvant avoir d’autres enfants.

Ce fait donne un élan capital au récit : *Ce qu’il a fait subir aux petites filles qui l’a enlevé, Dieu seul le sait, mais je n’espère plus grand-chose. Il connait la vie. Il sait que quand on s’en prend à un enfant, c’est à peu près comme si on tuait ses parents. * (extrait)

Côté classique : l’enquête est menée par deux policiers…deux par deux…très classique en effet surtout si on tient compte des états d’âme de ces policiers. Jack Caffery, un commissaire torturé par ses démons, son passé (Son frère a été enlevé par un pédophile il y a trente ans et le corps n’a jamais été retrouvé) mais qui est toutefois très attachant, et Flea Marley, une tête de mule à la discipline douteuse mais qui possède un instinct assez efficace.

La plume de Hayder est énergique. L’histoire est angoissante et est même enrichie, je le précise en passant, d’un mystérieux personnage appelé le MARCHEUR, et dont la sagesse sera d’une aide précieuse pour Caffery. C’est bien écrit. C’est très noir et l’auteure a déployé beaucoup d’imagination pour rendre une atmosphère lourde, intense et angoissante.

Notez bien, ça reste un roman policier, un polar. Il n’est pas horrifiant comme tel mais il est psychologiquement intrigant.

Enfin, je veux signaler au passage quelques faiblesses dans l’ensemble. Si le pouvoir descriptif de la plume est évident, je ne peux pas en dire autant sur le plan géographique. J’ai eu beaucoup de difficulté à me retrouver dans le tunnel, le canal, les péniches. Ce sont des endroits stratégiques du récit, plutôt mal définis et pauvrement décrits. Ça place le lecteur-auditeur dans une situation d’inconfort.

Un plan aurait été bienvenu je crois. J’ai trouvé le dénouement un peu rapide, un tantinet facile et prévisible. Il en aurait coûté quelques pages de plus pour mieux l’encadrer et l’approfondir. Ne prenez pas ce livre sous l’angle du thriller psychologique, vous seriez déçu. Comme je l’ai précisé plus haut, ça reste un roman policier.

Dans l’ensemble, j’ai beaucoup aimé mon audition. J’espère que l’intensité dramatique ressort aussi efficacement dans la version papier.

Pour conclure, une petite pensée que nous laisse l’auteure en héritage : avoir des enfants équivaut à avoir des yeux tout le tour de la tête…et là encore, rien n’est garanti.

Fille d’universitaires anglais, Mo Hayder est née à Londres. À 16 ans, en 1978, elle quitte brutalement sa famille et exerce divers petits emplois avant de partir, à l’âge de 25 ans, au Japon où elle réside pendant deux ans. Attirée par le cinéma d’animation, elle s’installe à Los Angeles pour y entreprendre des études de cinéma. De retour en Grande-Bretagne, Mo Hayder décide alors de se consacrer à l’écriture.

Elle fréquente les milieux policiers, rencontre des médecins légistes, et met deux ans à écrire Birdman à partir de notes prises sur le terrain. Avec ce premier roman, elle fait une entrée très remarquée dans le monde du thriller et crée le personnage de Jack Caffery que l’on retrouvera dans quatre autres romans. En 2005, elle est lauréate du Prix SNCF du polar européen et obtient l’année suivante le prix des Lectrices de ELLE avec TOKYO.

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 12 mars 2021

EN SACRIFICE À MOLOCH, livre d’ASA LARSSON

VERSION AUDIO

*La salle de classe pue la crasse, la laine
humide et la peau de renne sure. Mais elle
ne sent pas l’étable et ici, elle a le droit
d’ouvrir la fenêtre.*
Extrait : EN SACRIFICE À MOLOCH, Asa
Larsson, à l’origine : Albin Michel éditeur, 2017,
448 pages, version audio : Audiolib éditeur, 2018,
durée d’écoute : 10 heures 58 minutes.
Narratrice : Odile Cohen, prix meilleur polar suédois)

Au terme d’une traque impitoyable dans les forêts de Lainio, en Laponie suédoise, un ours féroce est abattu. Dans sa panse : les restes d’un homme…cette macabre découverte est suivie quelques mois plus tard par l’assassinat d’une femme à coups de fourche. Chargée de l’enquête, la procureure Rebecka  Martinsson ne tarde pas à recouper ces faits a priori sans rapport : les deux victimes avaient un lien de parenté ; ils étaient père et fille.

Mais ils ne sont ni les premiers ni les derniers à disparaître, comme si une étrange malédiction frappait leur famille… Une odyssée dans les paysages crépusculaires et inquiétants du Grand Nord suédois.

(NOTE : Kiruna existe vraiment. C’est une ville de moins de vingt mille habitants où se déroule l’action de la plupart des romans d’Asa Larsson)

UN THRILLER BORÉAL

 

*N’importe qui peut avoir pris cette fourche
dans cette grange. Il serait normal  d’y
trouver les empreintes de Jinny Egroth.
Elle peut parfaitement l’avoir utilisée…*
(Extrait)

C’est un polar intéressant et même accrochant selon l’état d’esprit du lecteur. En effet, avant d’entreprendre la lecture de ce livre, il faut connaître un peu la nature de la littérature scandinave tout au moins dans sa façon de développer les polars. Au moins trois éléments nous donnent un excellent point de départ : la notoriété de l’auteure Asa Larsson, le fait que ce livre a décroché le prix du meilleur polar suédois en 2012 ainsi que la narration chaude et dynamique d’Odile Cohen qui nous fait oublier un peu le petit côté ennuyeux du style littéraire suédois.

En effet, l’histoire est développée dans le décor boréal de la Laponie suédoise…le froid, la neige et le vent sont omniprésents. L’approche psychologique de l’histoire et de ses personnages prend le pas sur l’action et les rebondissements. Ne vous attendez à rien de particulièrement enlevant. Toutefois, le développement, bien qu’un peu paresseux est fort et très intriguant. J’ai beaucoup apprécié le personnage de la procureure Rebecka Martinson qui en est à sa cinquième enquête dans l’œuvre de Larsson.

C’est un personnage particulièrement bien travaillé, abouti, attachant et très humain et je pourrais parler aussi longtemps de son intuition et de son sens aigu de la déduction. Ici, elle perd l’enquête à cause d’un imbécile mais elle continue tout de même, bravant les interdits. C’est un aspect très intéressant de l’histoire.

Même si son décor est blanc, EN SACRIFICE À MOLOCH est un polar très noir, obscur. Le roman démarre sur des chapeaux de roues avec la découverte, dans l’estomac d’un ours abattu, de restes humains…un homme. Cette découverte macabre sera suivie un peu plus tard de l’assassinat d’une femme. Recoupant les faits la procureure Martinson découvrira rapidement que l’homme et la femme étaient père et fille.

D’autres disparitions surviendront un peu à la façon des malédictions qui sillonnent les légendes scandinaves comme celle de Moloch*divinité capable de donner richesses, belles moissons et victoires au combat… Des nouveau-nés étaient donnés en sacrifice. On fabriquait des statues creuses en cuivre. Avec une large poitrine. On allumait un feu à l’intérieur des statues qu’on chauffait à blanc puis on déposait les enfants vivants entre les bras de Moloch*.  (Extrait)

Le lecteur et la lectrice doivent se concentrer quelque peu car l’auteure nous fait faire de nombreux voyages dans le temps. Je l’avoue, je me suis parfois un peu perdu. Ça donne un petit côté assommant au récit si je tiens compte de la lenteur du rythme. C’est l’intrigue qui maintient l’intérêt.

Quoique l’histoire soit parfois difficile à suivre, la beauté de l’écriture m’a séduit ainsi que l’originalité de l’ensemble. Par exemple, Asa Larsson fait parler la nature et les animaux avec les légendes et l’histoire qui sous-tendent le récit, ça donne à l’ensemble un petit goût surnaturel pas désagréable.

Aussi beaucoup de passages font place à de petites morales pas toutes très recherchées mais intéressantes qui rendent évident le fait que l’auteur a pour habitude de prendre son temps. *Qui aime la perfection ? L’amour ne va pas sans le dévouement et le dévouement ne peut s’attacher qu’aux imperfections de l’être aimé, à ses blessures, à sa folie.

*L’amour veut combler les manques et la perfection n’a pas besoin d’être comblée. Une personne parfaite, on ne l’aime pas, on la vénère.* (Extrait)

Donc pour résumer, EN SACRIFICE À MOLOCH est un roman fort. Pas toujours facile à suivre, empreint de longueur et d’un peu d’errance quoique calculée. Mais le mystère savamment entretenu et la force des personnages ont capté mon attention et maintenu constant mon intérêt. C’est très noir comme roman. Sinistre à la limite.

Mais il y a du mystère, de l’intrigue et la finale vaut bien l’attente. J’ai assez bien apprécié. Il faut se rappeler ici que le style de l’auteur est conforme à la tradition littéraire scandinave. Je n’ai pas tout à fait compris pourquoi ce livre s’est mérité un prix national mais bon…je fais peut-être trop nord-américain.

Suggestion de lecture : LES MYSTÈRES D’AVEBURY, de Robert Goddart

Asa Larsson a grandi à Kiruna, 145 km au-dessus du cercle polaire Arctique, où se déroulent ses romans. Avocate comme son héroïne, elle se consacre désormais à l’écriture. Les cinq tomes de la série autour de Rebecka Martinsson sont en cours de traduction dans 30 pays.

Travaillant sur scène, à l’écran et dans le doublage, Odile Cohen est notamment la voix française régulière de Renée Zellweger et Uma Thurman, ainsi qu’une des voix françaises d’Andie MacDowell (l’autre étant Rafaèle Moutier), Carla Gugino Rebecca Mader, Jennifer Connelly et Anna Torv. Odile Cohen a un impressionnant parcours en théâtre, télévision, cinéma comme actrice et au doublage en livres audio et même un jeu vidéo à son actif.

Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 16 janvier 2022

LA DISPARUE DE LA CABINE No 10, Ruth Ware

*<T’as bonne mine Blacklock> a fait Ben en se
tournant vers moi. Il m’a jeté un coup d’œil qui
m’a donné envie de lui flanquer un coup de
genou dans les couilles mais cette saleté de
robe était trop étroite. *
(Extrait : LA DISPARUE DE LA CABINE N0 10, Ruth
Ware, édition originale : 12-21, 2018. 407 pages
 Version audio : Lizzie éditeur, 2018, narratrice :
Alice Taurand. Durée d’écoute : 10 heures 42 min.)

Une semaine à bord d’un yacht luxueux, à sillonner les eaux de Grand Nord avec seulement une poignée de passagers. Pour Laura Blacklock, journaliste pour un magazine de voyage, difficile de rêver d’une meilleure occasion de s’éloigner au plus vite de la capitale anglaise. D’ailleurs, le départ tient toutes ses promesses : le ciel est clair, la mer est calme et les invités très sélects de l’Aurora rivalisent de jovialité.  Mais dès le premier soir, le vent tourne.

Laura, réveillée en pleine nuit, voit la passagère de la cabine adjacente être passée par-dessus bord. Le problème ? Aucun voyageur, aucun membre de l’équipage ne manque à l’appel. L’Aurora poursuit sa route comme si de rien n’était. Le drame ? Laura est témoin d’un meurtre dont l’auteur se trouve toujours à bord…

MORT PAR-DESSUS BORD
*Prenant mon courage à deux mains, j’ai ouvert brusquement
la porte. Le bruit de l’eau emplissait L’espace confiné. J’ai
cherché l’interrupteur à tâtons… la lumière a inondé la pièce.
Et c’est là que je l’ai vu. En travers du miroir couvert de buée.
En lettres d’une vingtaine de centimètres de haut, on avait
écrit les mots ARRÊTE DE FOUINER. *
(Extrait)


LA DISPARUE DE LA CABINE no 10 raconte l’histoire de Laura Blacklock, journaliste spécialisée dans le tourisme et les voyages. Une jeune femme est sensiblement perturbée par son passé, trouble d’anxiété et de panique, un peu portée vers l’alcool et consomme des antidépresseurs. Au début, comble de malchance, elle est cambriolée.

La peur l’étreint, elle se rend chez son ami Judah Lewis. Elle entre, il n’est pas là. Elle se prépare à se calmer quand quelqu’un entre. Accès de panique, elle l’agresse et le blesse : C’est Judah.

Après ces évènements, elle saute sur un évènement qui lui changera peut-être les idées : couvrir le voyage inaugural d’un luxueux paquebot : L’aurora Boréalis, un paquebot de croisière grand luxe dans les fjords norvégiens… j’avais eu la chance de récupérer l’une des rares invitations de presse pour son voyage inaugural…* (Extrait) Laura, appelée affectueusement Lau s’embarque donc mais verra basculer sa vie complètement.

Une nuit, même si Lau est imbibée d’alcool, elle se réveille brusquement, tente te comprendre ce qui l’a réveillé. Serait-ce un hurlement? *C’était la porte de la véranda de la cabine voisine qui s’ouvrait doucement. J’ai retenu mon souffle, tendu l’oreille et il y a eu un <plouf>…pas un petit <plouf> non ! Un énorme plouf. *

(Extrait) Si Lo en était resté là, elle aurait fait le voyage le plus agréable qui soit. Mais elle était journaliste quoi…irrésistiblement poussée par la curiosité d’autant que le <plouf> qu’elle a entendu est le genre de <plouf> d’un corps quand il tombe à l’eau…

Convaincue qu’il y a eu meurtre, Lau devient obnubilée par la cabine no 10. Son enquête commence plutôt mal quand on lui apprend le lendemain que personne ne manque à bord. Elle n’en croit rien surtout après la découverte d’un graffiti sur le miroir de sa salle de bain : *ARRÊTE DE FOUINER* . Ainsi commence pour Laura, une descente aux enfers.

J’ai été intéressé mais loin d’être passionné par ce huis-clos qui repose sur une idée qui m’a semblé sous exploitée.  D’abord dans un huis-clos, il n’y a jamais beaucoup d’acteurs.

L’auteur peut en profiter à loisir pour développer la psychologie des personnages, travailler leur rôle et créer l’interaction, un peu comme Agatha Christie l’a fait pour LES DIX PETITS NÈGRES. C’est une des faiblesses majeures de LA DISPARUE DE LA CABINE NO 10. Il y a très peu d’interaction et par extension, pas d’action.

J’avais l’impression qu’il ne se passait rien sur ce bateau à part les mondanités qui deviennent vite lassantes. J’aurais cru que les efforts désespérés pour aller au bout de la vérité m’auraient gardé en haleine, mais non, le rythme était trop lent. C’est un thriller assez bien ficelé basé sur la crédibilité questionnable du principal personnage. Il y a une certaine originalité. Mails il y a beaucoup d’irritants.

L’histoire commence par le cambriolage chez Lau. Pas grand-chose avec l’histoire qui est, je dois dire, longue à démarrer. L’intrigue est classique et un peu prévisible. L’auteure accuse un peu d’errance dans son récit la plume est redondante.

Les pauses dans l’histoire, pour permettre l’échange de e mails est une bonne idée je crois, qui humanise un peu le tout et insuffle un caractère dramatique qui manque au texte. J’ai trouvé la finale longue et alambiquée.

J’ai été satisfait de la performance narrative d’Alice Taurant pour le registre vocal précis attribué à Laura Bradlock et qui transmet avec habileté au lecteur tout le brassage d’émotions intérieures qui caractérise la jeune journaliste.

Pour conclure je dirai que ce n’est pas un roman qui soulève les montagnes mais c’est quand même une bonne lecture. En ce qui me concerne, j’ai trouvé la version audio assez immersive.

Suggestion de lecture : LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE, de Gaston Leroux

Ruth Ware est née en 1977 à Sussex et vit aujourd’hui à Londres. Après des études d’anglais à l’université de Manchester, elle a enseigné cette matière à Paris. Elle a notamment travaillé en tant que libraire et attachée de presse d’un grand éditeur anglais, avant de passer à l’écriture. Après son premier thriller PROMENEZ-VOUS DANS LES BOIS PENDANT … QUE VOUS ÊTES ENCORE EN VIE (Fleuve Editions, 2016 ; Pocket, 2017) – traduit dans plus de quarante langues – elle revient en force avec LA DISPARUE DE LA CABINE No 10.

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert

le dimanche 7 novembre 2021

 

L’OUTSIDER, le livre de STEPHEN KING

*Il y avait un banc en pierre au milieu. Couvert de
sang, partout, même dessous. Le corps était
allongé à coté, dans l’herbe. Le pauvre garçon. Il
avait la tête tournée vers moi, les yeux ouverts.
Mais il n’avait plus de gorge…*
(Extrait : L’OUTSIDER, Stephen King, Albin Michel
éditeur, 2019, édition de papier, 570 pages)

Le corps martyrisé d’un garçon de onze ans est retrouvé dans le parc de Flint City. Témoins et empreintes digitales désignent aussitôt le coupable : Terry Maitland, l’un des habitants les plus respectés de la ville, entraîneur de l’équipe locale de baseball, professeur d’anglais, marié et père de deux fillettes.

Et les résultats des analyses ADN ne laissent aucune place au doute. Pourtant, malgré l’évidence, Terry Maitland affirme qu’il est innocent.

Et si c’était vrai ?

Pas trop de *Ça*
*<Terry>, dit Ralph. Il voyait la sueur de son front
goutter sur le visage du coach et se mêler au
sang qui coulait de sa plaie au crâne. <Vous
allez mourir Terry. Vous m’entendez ? Il ne vous
a pas loupé. Vous allez mourir.>*
(Extrait)

On dirait que le Maître de l’épouvante et du suspense n’a pas livré sa marchandise habituelle. L’Outsider est loin d’être le meilleur livre de King à mon avis. Il relève plus du roman policier que de l’histoire d’épouvante. Je ne partage pas l’avis de certaines critiques qui comparent l’Outsider à *ÇA* l’œuvre la plus aboutie de King dans laquelle on n’entend jamais parler des policiers. C’est le surnaturel qui nous enveloppe dans l’histoire.

Si l’outsider n’est pas le meilleur de King, il n’en demeure pas moins un thriller intéressant qui a capté mon attention. Je mentionne au passage qu’OUTSIDER est un terme anglais utilisé pour désigner <celui qui est en dehors.> Par extension, celui qui est en dehors de la normalité. Le terme peut désigner par exemple celui qui a perdu son humanité. Le titre de l’histoire est ce qui crée le lien entre l’enquête et son petit côté surnaturel inavoué par les policiers évidemment. Voyons voir l’histoire car King frappe fort dès le départ.

Terry Maidland, citoyen modèle, bon père de famille et entraîneur bénévole de l’équipe locale de baseball, est arrêté par la police de façon spectaculaire devant la foule réunie au stade. Terry est formellement accusé d’avoir violé, mutilé et assassiné le petit Frank Peterson, 11 ans. Pour des raisons qui déstabilisent sensiblement les policiers, Terry Maidland sera assassiné quelques minutes avant sa comparution devant le juge au Palais de justice.

En cours d’enquête, l’inspecteur Ralph Anderson s’aperçoit très vite que quelque chose cloche. En effet les empreintes ADN confirment que le tueur aurait été à deux places en même temps séparées par une distance trop importante pour se déplacer. L’ubiquité étant une chose impossible…il y a quelque chose de pas naturel et c’est là qu’intervient Holy Gibney une enquêteuse spéciale qui a l’esprit très ouvert et qui émet l’hypothèse de l’outsider, une entité mystérieuse capable de prendre le contrôle d’un corps et le transformer.

L’objectif et le fil conducteur de l’histoire tiennent sur l’enquête policière et la capacité des enquêteurs à composer avec un phénomène qu’ils ne comprennent pas d’une part et d’autre part la question qui est de savoir si on pourra réhabiliter la mémoire de Terry Maidland…

L’aspect surnaturel du récit est développé avec beaucoup de retenue. Malgré les passages où je reconnais moins le style de King, je dois admettre que l’enquête policière a quelque chose d’addictif, que l’intrigue est habilement menée. Le fait que les enquêteurs admettent avec une évidente difficulté, l’hypothèse du paranormal, une possibilité dérangeante, un mur sur lequel généralement, les enquêteurs se cassent le nez.

Mais qu’est-ce qu’on doit faire quand toutes les explications plausibles et les hypothèses raisonnables ont été épuisées. C’est une bonne histoire mais ce n’est pas ce à quoi m’a habitué King : je n’ai pas senti l’épouvante, les rebondissements s’enchaînent parfois mais l’auteur garde le cap sur l’enquête même si le dernier quart du récit sombre beaucoup plus dans l’obscur et l’étrange.

On avance dans le paranormal avec des armes à feu…ça fait bizarre et c’est inhabituel chez Stephen King. Malgré tout, je trouve sain que l’auteur essaie quelque chose de différent. Je n’ai pas pu m’accrocher à ses personnages sauf à Holly, audacieuse et perspicace.

On ne peut pas vraiment comparer l’OUTSIDER avec ÇA, sauf peut-être à la fin alors que Holy cherche un troglodyte, mais c’est sans commune mesure avec l’oppressante intensité de *ÇA*. Pour résumer, je m’attendais à un drame d’épouvante mais j’ai eu plutôt droit à un simple roman policier où l’irrationnel prend péniblement la relève du pragmatisme.

J’ai été juste un peu surpris du changement de style. C’est pas un chef d’œuvre mais ça se lit bien et j’ai aimé. Je note autour de 75%.

SUGGESTION DE LECTURE : pour ceux et celles qui veulent s’ajuster à la critique et fare la comparaison, je vous invite à lire mon commentaire sur ÇA, de Stephen King

Stephen King a écrit plus de 50 romans, autant de best-sellers, et plus de 200 nouvelles. Couronné de nombreux prix littéraires, il est devenu un mythe vivant de la littérature américaine (médaille de la National Book Foundation en 2003 pour sa contribution aux lettres américaines, Grand Master Award en 2007 pour l’ensemble de son oeuvre). En février 2018, il a reçu un PEN award d’honneur pour service rendu à la littérature et pour son engagement pour la liberté d’expression. Pour tout savoir sur Stephen King, cliquez ici.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 24 octobre 2021

 

UNE FORÊT OBSCURE, le livre de FABIO M. MITCHELLI

<Louise Beaulieu, tome 1>

*…le poids qui s’écrase sur le métal souple de la carrosserie… un froissement de tôle Emma fut projetée à quelques dizaines de mètres…son corps s’immobilisa…stoppée par le tronc d’un cèdre… La forêt de Tongas, immuable, venait une fois encore d’engloutir la vie d’un enfant de Juneau. * (Extrait : UNE FORËT OBSCURE, Fabio M. Mitchelli, à l’origine : Pocket éditeur 2017, 408 pages, version audio : Audible studios éditeur, 2017, durée d’écoute : 10 heures 34 minutes. Narratrice : Christine Bellier)

À Montréal, Luka diffuse sur le Web les images des animaux qu’il torture, puis celles de son amant qu’il assassine à coups de pic à glace. Pour enquêter sur une telle affaire, il faut un flic borderline comme Louise Beaulieu.

En Alaska, dans la petite ville de Juneau, deux jeunes filles sont découvertes en état de choc. Pour comprendre, il faut un flic comme Carrie Callan, qui va exhumer les vieux secrets et regarder le passé en face.

Le point commun à ces deux affaires : Daniel Singleton, un tueur en série. Du fond de sa cellule, il élabore le piège qui va pousser Louise à aller plus loin, toujours plus loin… Jusqu’à la forêt de Tongass, là où le mensonge corrode tout, là où les pistes que suivent les deux enquêtrices vont se rejoindre.

LA NOIRCEUR QUI TIENT EN HALEINE
*A présent il ne pouvait plus contenir le poison qui lui infectait le sang,
 ce venin qui incendiait et ravageait ses chairs, ses entrailles. Il lui fallait
s’ouvrir en deux et se dégorger de ce pus immonde qui coulait en lui,
vomir de trop-plein de rage et de honte qu’il aurait tant aimé cracher à la
gueule du monde avant de sombrer. *
 
  (Extrait)

Bien que cette histoire soit une fiction, elle est amplement et librement inspirée par l’actualité judiciaire. Ici, un petit rappel des faits s’impose. L’auteur débute d’ailleurs son livre par une petite synthèse des évènements.

Le roman s’appuie sur des faits divers qui se sont réellement déroulés à Montréal et à Anchorage en Alaska. Certaines scènes évoquent aussi des évènements liés à la catastrophe écologique causée par l’Exon Valdez en 1989.

L’ouvrage s’inspire également de l’escalade criminelle de Luka Rocco Magnotta et du meurtre prémédité qu’il a commis en 2012 sur la personne de Lin Jun, un jeune étudiant chinois installé au Canada ainsi que des crimes de Robert Christian Hansen qui a violé et assassiné entre 17 et 21 femmes dans les environs d’Anchorage entre 1971 et 1983.

Donc les auditeurs et auditrices devront jongler entre la réalité et la fiction. Peut-être même cette histoire leur imposera une certaine recherche pour faire la différence. Personnellement, j’ai trouvé le défi plutôt emballant.

C’est un roman très noir et très librement inspiré de l’œuvre de deux grands criminels. Tous les acteurs du récit un subi un ou plusieurs traumatismes dont quelques-uns liés au naufrage de l’EXXON VALDEZ, le célèbre pétrolier américain qui s’est échoué en 1989 sur la Côte de l’Alaska, provoquant une colossale marée noire.

Une chaîne d’évènements amènera deux enquêtrices : Carrie Callan, une américaine en poste à Juneau, Alaska et Louise Beaulieu du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) à collaborer sur deux affaires qui n’ont rien d’évident en commun au début en tout cas : la découverte de deux jeunes filles en état de panique à Juneau et un homme assassiné à coup de pic à glace par son amant à Montréal.

Le reste est une affaire de police qui va de découverte en découverte à un rythme très élevé et qui paralyse en quelque sorte les auditeurs/auditrices : torture, meurtres, pédophilie, séquestration, prostitution. Il n’y a pas de limites pour les esprits tordus et comme l’auteur a puisé sans retenue dans les faits divers, il n’a pu éviter une certaine crudité dans le langage.

Les auditeurs/auditrices vont peut-être s’attacher, comme moi aux enquêtrices, en particulier Louise Beaulieu du SPVM, une caractérielle accro au poker et qui jure comme une charretière mais qui est dotée d’un remarquable instinct et qui traîne elle aussi de dures épreuves de la vie. Ici, j’en profite pour dire que j’ai beaucoup apprécié la narration de Christine Bellier.

J’ai trouvé remarquable sa façon de passer au français dit standard à l’accent québécois pure laine incluant une façon très crue de descendre les saints du ciel. Pour ce qui est de raconter, madame Bellier a un registre vocal qui force l’attention. Elle m’a donné l’impression de s’adresser à moi.

Pour écouter ou lire cette histoire, il faut être ajusté à l’actualité jusqu’à un certain point parce qu’on sait ce qui va arriver. Ce qui est beaucoup moins évident, ce sont les motivations des tueurs.

Le récit est empreint d’une analyse des mobiles qui nous tient prisonnier de la trame et ça pousse au questionnement : est-ce suffisant d’évoquer la maladie mentale ou les traumatismes subis dans l’enfance. Y a-t-il autre chose? Personne ne peut rester indifférent à un tel récit d’autant qu’il a été plus vécu que fantasmé.

Donc pour résumer, c’est un roman fort, très noir, très violent, certains passages sont difficiles. La finale est un peu obscure. Excellente narration. Beaucoup de québécois trouveront la couleur locale divertissante dans un contexte aussi sombre. Ensemble détaillé, rythme élevé…pas de temps morts et pas tellement conçu pour les âmes sensibles. Seule petite faiblesse, le lien de l’histoire avec l’Exon Valdez est un peu mince, sous-développé. Sinon, c’est un ouvrage fascinant.

Suggestion de lecture : INTIMIDATION, de Harlan Coben

Fabio M.Mitchelli, est un musicien et écrivain né à Vienne (Isère) en 1973, auteur de thrillers psychologiques inspirés de faits réels. Il a signé « La trilogie des verticales » parue aux éditions Ex-aequo entre 2010 et 2012, dont La verticale du fou, le premier opus de ce singulier triptyque, a été classé dans le top 3 des romans les plus téléchargés sur le territoire français en 2011 aux côtés de David Foenkinos. Mitchelli se consacre désormais à l’écriture de true crime et thrillers psychologiques. « La compassion du diable », paru aux éditions Fleur Sauvage en octobre 2014 a reçu le Prix du polar Dora-Suarez 2015.

Christine Bellier est une actrice canadienne. Notamment active dans le doublage, elle a été entre autres la voix québécoise de Drew Barrymore, Tara Reid, Reese Witherspoon, Charlize Theron, Piper Perabo, Shannon Elizabeth et Kate Winslet lors de son activité au Québec. Elle aime aussi à l’occasion, jouer le rôle de narratrice.

Aussi à écouter :
le 2e tome de la série Louise Beaulieu

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
Le samedi 23 octobre 2021

A COMME APOCALYPSE de PRESTON et CHILD

VERSION AUDIO

*L’explosion qui avait suivi avait coupé le tanker
en deux et provoqué son naufrage. Les raisons
même de l’explosion n’avaient jamais pu être
établies clairement. Les ingénieurs d’EES
pensaient toutefois que la déflagration était le
résultat d’une réaction entre la météorite et l’eau
de mer.*

(Extrait : A COMME APOCALYPSE, Preston & Child,
version audio : Audible studio éditeur, 2018, durée
d’écoute : 10 heures 37 minutes. Narrateur : Alexandre
Donders.)

Il y a cinq ans, Eli Glinn avait participé à une expédition pour convoyer une météorite géante tombée sur un îlot du Cap Horn. Mais le navire qui la transportait avait sombré en mer, et la météorite avec. Seulement, Glinn avait eu le temps de découvrir que la météorite d’origine extraterrestre était en fait une sorte de graine, qui depuis a germé pour donner naissance à un arbre gigantesque. Et sa croissance est loin d’être terminée : elle constitue une vraie menace pour la planète. Aussi Glinn confie à Gideon Crew la mission de détruire coute que coute ce baobab géant. 

Une mission de Gideon Crew
*Vous avez raison de parler de mutinerie. Nous n’avons
pas le choix. Il ne s’agit pas de nous mutiner pour sauver
nos peaux mais de sauver la peau de tous ceux qui
n’ont pas encore été infectés. *
(Extrait)

Cinq ans avant les évènements décrits dans A COMME APOCALYPSE, une expédition tente de convoyer une météorite géante de 25 000 tonnes, tombée dans la périphérie du Cap Horn. L’entreprise colossale est vouée à l’échec. Le navire sombre et la météorite avec. On devait en rester là mais Preston et Child ont reçu un fort volumineux courrier pour leur demander de conclure cette histoire qui manquait effectivement d’aboutissement.

C’est ainsi qu’est né A COMME APOCALYPSE et dans ce volet final, la tension sera forte par moment car on a découvert que la météorite couvait une graine qui a fini par produire dans les profondeurs de la mer un arbre qui rappelle le baobab à cause de l’épaisseur de son tronc et l’aspect tentaculaire de ses branches.

Les politiques et les scientifiques décident que cette créature qui est intelligente et vorace est un danger pour l’humanité et qu’il faut la détruire. Pour se faire, on fait appel à Gideon Crew, personnage récurrent dans l’œuvre de Preston et Child, toujours aussi attachant et brillant d’autant qu’on ne lui demandera rien de moins qu’un miracle.

C’est bien écrit et c’est plein de bonnes idées qui nous font un peu oublier que le sujet en général est réchauffé : des extraterrestres qui s’emparent de l’esprit des humains dans un but de domination ou d’anéantissement c’est monnaie courante en littérature, amplifié au cinéma par des films comme INDEPENDANCE DAY. La procédure est toutefois différente dans A COMME APOCALYPSE. Il y a des trouvailles intéressantes.

La pression fait plonger l’auditeur et l’auditrice avec les sauveteurs de l’humanit. Les auteurs frappent fort dès le départ et le suspense monte rapidement jusqu’à une descente aux enfers alors qu’on s’aperçoit qu’aucun contrôle n’est possible sur cette créature.

Des vers se sont échappés de quelques branches du baobab et ont été ramenés à bord pour analyse. Je ne parlerai pas des ravages engendrés par ces créatures diaboliques. Toutefois, on sent ici le *déjà vu*. Ceux qui ont vu le film PROJET CLOVERFIELD savent ce que je veux dire.

En résumé, le sujet est élimé mais bien travaillé. La trempe des personnages fait la différence. Le livre n’échappe pas à une tendance agaçante : des longueurs générées par de nombreuses explications scientifiques, heureusement pas trop longues dans ce cas-ci mais qui nuisent parfois à l’intrigue.

À partir de l’épisode de la mutinerie, le récit accuse de l’errance et quelques incohérences. Tout est expliqué dans l’épilogue mais c’est rapide et pas très fouillé. J’ai été un peu déçu par la finale. Mais en général, le suspense est bien entretenu, les personnages sont bien travaillés et remplissent bien leur espace. Les habitués de Preston et Child ne seront pas déçus de la performance de Gideon Crew.

L’écriture est habile quoiqu’elle rappelle davantage un scénario de film. Enfin, hommage au narrateur de la version audio qui, malgré les petites faiblesses de l’histoire m’a fait sentir acteur du drame. A COMME APOCALYPSE est finalement un très bon divertissement.

Comme vous l’avez vu, cette œuvre peut s’écouter indépendamment, mais pour le plaisir de participer à l’œuvre entière et de cheminer avec Gideon Crew et d’autres personnages comme Eli Glinn, toujours aussi suffisant, je vous recommande d’écouter ou de lire d’abord ICE LIMITE de Preston et Child <voir critique> et de voir comment tout a commencé.

Suggestion de lecture : L’APOCALYPSE N’EST PAS POUR DEMAIN, de Bruno Tertrais

Douglas Preston (À gauche) est né en 1957, Il est l’auteur de plusieurs romans dans les genres de l’horreur et du techno-thriller. Il a travaillé plusieurs années au « Museum d’Histoire Naturelle » américain avant de se consacrer à l’écriture en équipe avec son meilleur ami, Lincoln Child, déjà auteur de plusieurs anthologies d’horreur.

Lincoln Child est né le13 octobre 1957 à Westport, dans le Connecticut. En 1987, il devient analyste chez MetLife. C’est là qu’il fera une rencontre décisive avec Douglas Preston, commence peu après une fructueuse collaboration dans l’écriture de techno-thrillers. Ensemble, ils créeront les séries Pendergast et Gideon Crew.

À lire ou écouter aussi

BONNE LECTURE
BONNE ÉCOUTE
Claude Lambert
Le samedi 16 octobre 2021

CETTE NUIT-LÀ, le livre de LINWOOD BARCLAY

VERSION AUDIO

*Trois types débattant des mérites d’un groupe de rock des années soixante-dix pouvaient-il réellement envisager de m’emmener quelque part pour me tuer ? L’ambiance dans la voiture n’aurait-elle pas été un peu plus sinistre ? *

(Extrait : CETTE NUIT-LÀ. Linwood Barclay, J’ai lu éditeur pour l’édition originale, traduction française. 474 pages. Version audio : Audiolib studios éditeur, 2016. Narrateur : Éric Aubrahn, durée d’écoute : 11h26)

 

Imaginez… Vous êtes une ado de quatorze ans. Vous avez fait le mur pour la première fois. Vous rentrez en cachette la nuit. Au matin, la maison est vide. Toute votre famille a disparu sans laisser de traces. Apparitions suspectes, coups de fils anonymes, messages accusateurs : vingt-cinq ans plus tard, le passé ressurgit… CETTE NUIT-LÀ suit le destin de Cynthia dont les proches disparaissent sans laisser aucun indice…


CRUEL MAL-ÊTRE
<Écoute-moi ducon. Tu sais seulement
à qui tu parles ? Ces types qui t’ont emmené ici.
t’as une idée de ce qu’ils sont capables de faire ?
Tu pourrais finir dans un broyeur à bois. Tu pourrais
être balancé d’un bateau au milieu du détroit…*
(Extrait)

Ce récit de forte intensité raconte l’histoire de Cynthia Bigge et de son mari Terry. L’histoire commence vingt-cinq ans après la disparition de la famille de Cynthia. En effet. Il y a déjà un quart de siècle, au retour d’une petite fugue nocturne bien alcoolisée, alors qu’elle avait quatorze ans, Cynthia constate avec horreur la disparition de sa famille.

Elle n’en aura plus jamais de nouvelles avant au moins 25 ans. La détresse de Cynthia est inimaginable.

Après vingt-cinq ans, Cynthia est obsédée par la disparition de sa famille. Sont-ils morts ? Et pourquoi Cynthia est encore là ? Vingt-cinq ans après, non seulement rien ne s’est arrangé mais Cynthia a développé une véritable obsession :

*Par moment, je les entends. Je les entends parler, maman, mon frère, Papa, je les entends aussi clairement que s’ils étaient dans la pièce. Avec moi. Ils me parlent…* (Extrait)

Décidée à tout essayer pour retrouver son frère et ses parents, Cynthia participe à une émission de télévision appelée DEADLINE qui se spécialise dans l’appel des personnes disparues.

Cette initiative de l’appel télévisé a le don d’entretenir le feu. En effet, Cynthia décèle plusieurs indices qui laissent supposer que sa famille est vivante. Pourquoi ne se montre-t-elle pas. Toute cette histoire ne serait qu’une sordide machination. Même son mari Terry croit que Cynthia pourrait développer une paranoïa.

Terry qui va prendre la relève, décidé à aller au bout de cette histoire grâce à certains jeux d’alliance dont une avec un truand qui était avec Cynthia il y a vingt-cinq ans. Une chose est sûre, quelqu’un sait quelque chose et Linwood Barclay a réussi à jouer avec mes nerfs, curieux de voir un petit prof d’anglais, Terry, aller de découverte en découverte.

Les trois premiers quarts du récit mettent l’accent sur l’obsession et l’opiniâtreté de Cynthia. Le dernier quart enchaînera les revirements et les rebondissements. Il suit Terry dans son enquête qui devient de plus en plus agressive. Ce genre de récit est courant en littérature. Barclay ne réinvente pas le genre et est tombé dans certains pièges : les longueurs et la redondance.

Les trois premiers quarts sont riches en indices, en petites observations intrigantes. L’intrigue est coriace…c’est la qualité de son défaut. Ça tient en haleine, d’autant que Terry prendra conscience de la folie d’une femme qui n’est rien de moins qu’un monstre. Toutefois, la motivation de cette femme est au cœur de milliers d’histoires comme celle-ci.

Je n’ai pas pu vraiment m’attacher aux personnages. Difficile de dire pourquoi mais une étincelle manquait. Certains même me tapaient sur le système comme Vince, ce petit dur qui me donnait l’impression de caricaturer un cowboy sortant d’un saloon avec l’envie de tuer.

Toutefois, je crois que le poids des forces excède celui des faiblesses. CETTE NUIT-LÀ est un suspense efficace doublé d’un thriller psychologique.

Le rythme est élevé, l’écriture efficace, le fil conducteur est solide et le tout maintient le lecteur ou l’auditeur dans une espèce de zone grise qui l’oblige à jongler avec des indices dont plusieurs sont très intéressants.

J’ajoute à cela que j’ai été enchanté par la performance narrative d’Eric Aubrahn qui a trouvé globalement le ton juste avec une signature vocale très distincte pour chacun des principaux personnages. CETTE NUIT-LÀ ne réinvente pas le genre, mais le thriller est fort bien ficelé et il m’a fait l’effet que j’attendais de lui : il m’a gardé captif.

Un thriller qui tient en haleine…à lire.

Suggestion de lecture : NE TE RÉVEILLE PAS, de Liz Lawler

Star aux États-Unis et en Angleterre, Linwood Barclay s’est fait un nom dans le club très fermé des grands maîtres du thriller. Belfond a déjà publié treize de ses romans, dont Cette nuit-là (2009), Fenêtre sur crime (2014), La Fille dans le rétroviseur (2016), ou encore la série des aventures de Zack Walker. Tous sont repris chez J’ai lu. Après Fausses promesses (2018 ; J’ai lu, 2019) et Faux Amis (2018), Vraie folie clôt la trilogie consacrée à la petite ville fictive de Promise Falls.

Bonne écoute
Claude Lambert