LA CONSTELLATION DU LYNX, Louis Hamelin

*5 octobre 1970, enlèvement du délégué commercial de Grande Bretagne, John Travers par le Front de libération du Québec.
10 octobre, enlèvement du numéro 2 du Gouvernement québécois.
15 octobre, la force mobile de l’Armée canadienne intervient au Québec.
16 octobre, proclamation de la loi sur les mesures de guerre par le gouvernement central du Canada, suspension des libertés civiles…près de 500 citoyens détenus sans mandat.
17 octobre, le corps du numéro 2 est retrouvé dans le coffre d’une voiture… *

(Extrait : LA CONSTYELLATION DU LYNX, Louis Hamelin, à l’origine, papier, Boréal, 2011. Version audio : Audible Studios éditeur, durée d’écoute : 17 heures 5 minutes, narrateur : Maxim Gaudette.)

En 2001: l’écrivain Samuel Nihilo décide de poursuivre les recherches de son professeur sur la crise d’octobre 1970. De Montréal jusqu’au village mexicain de Zopilote, où les chemins de Nihilo et d’un ex-felquiste se croiseront, en passant par l’Abitibi des grands espaces, les recherches de Samuel vont rapidement se concentrer sur le rôle joué en 70 par les services secrets, l’escouade antiterroriste, et toute une panoplie de personnages pas nets, dont le spectre quasi shakespearien du ministre assassiné!

Québec se souvient
d’un certain mois d’octobre
*Ils s’étaient d’abord baptisés les <octobristes> un calque
des <décembristes> russes rencontrés dans Tolstoï. Puis à
force de descendre des rivières et des rivières de bière dans
leurs abreuvoirs de prédilections de la rue Ontario, le mot
<octobiériste> avait fini par s’imposer de lui-même.*
(Extrait)

C’est un premier roman sur la crise d’octobre qui a plongé le Québec dans la noirceur en 1970. Personnellement je le considère essentiellement comme un thriller politique. L’idée de base est intéressante.

Un écrivain décide de poursuivre des recherches sur la crise d’octobre laissée en plan par un ancien prof de l’écrivain, le poète Chevalier Branlequeue. C’est un nom de plume évidemment. Pour moi c’est un choix incompréhensible mais je passe. Chevalier a vu de façon catégorique, la crise d’octobre comme une vaste machination politique.

L’écrivain appelé Samuel enquête afin de savoir s’il doit valider ce jugement ou pas. Son investigation l’amène à croiser des anciens felquistes et apprendra l’existence d’une batterie de personnages qui sont loin d’être des enfants de choeur. Il fera des découvertes parfois surprenantes.

C’est un roman très documenté, un énorme travail de reconstitution historique bien évidemment assorti d’un caractère romanesque qui camoufle toutefois des tendances éditoriales. J’ai senti comme un *parti pris* de l’auteur.

Il faut faire attention dans l’écoute du récit car il est truffé de sauts temporels qui mêlent le passé et le présent. Tous les noms des personnages ont été changés. Le récit est surtout concentré sur Paul Lavoie, le ministre du travail qui comme on le sait finira assassiné et ici l’auteur développe tout un schéma de pensée sur les circonstances de la mort du ministre.

Il passe en revue ses états d’âme pendant sa captivité et le fait que sa mort arrangeait plusieurs hautes pointures du gouvernement. Le diplomate britannique James Cross devenu John Travers dans le récit, n’était pas très net lui non plus mais comme on le sait, il s’en est tiré. Tout le long du récit, l’auteur m’a semblé s’en tenir à la machination, la manipulation et la conspiration politique :

*Nous vivions à une époque où l’idée même de conspiration avait été réduite…à la permanente caricature d’elle-même, discréditant d’avance toute tentative de réflexion un peu soutenue sur le thème des manipulations politiques* (Extrait)

Je sors de cette écoute mitigé mais satisfait du choix de l’auteur d’avoir empreint son récit d’une forme romanesque de préférence à l’essai par exemple. Toutefois, ce n’est pas un récit aisé à suivre à cause de ses multiples flash-backs et imbrications du passé dans le présent dont je n’ai pas vraiment saisi la logique. Cette façon d’écrire dilue l’aspect évènementiel et par la bande, la compréhension de l’histoire.

La grande agitation qui caractérisait la Société est palpable mais je n’ai pu sortir de cette écoute avec une complète compréhension de ce qu’il raconte. La succession des chapitres m’a paru étrange et j’ai noté des redondances et de la répétition. Excellente recherche quant à la psychologie des personnages mais l’histoire est très centrée sur les terroristes.

J’aurais souhaité une meilleure pénétration des coulisses du pouvoir. Je ne peux pas vraiment adhérer à l’opinion de l’auteur et son récit ne m’a pas vraiment permis de m’en faire une. Je crois tout de même que c’est un roman d’une grande valeur. De plus, le narrateur Maxim Gaudette a raconté l’histoire comme s’il ne s’adressait qu’à moi… un enchantement.

C’est d’ailleurs l’énergie narrative de Maxim qui a rendu presque comique à mes oreilles la crudité du langage qui caractérise l’œuvre. Enfin, la Société de l’époque est bien dépeinte  mais pas toujours de façon gentille :

*Dans quelle autre nation du globe vit-on s’édifier des quasi-cathédrales dans des villages dont la population, même en comptant les pas fins et les moitiés de sauvages installés au fond des rangs, n’a jamais excédé 3 000 âmes?* (Extrait) Non seulement le sujet développé est intéressant malgré quelques faiblesses, mais la narration fût une vraie petite fête pour mes oreilles.

Suggestion de lecture :  LA THÉORIE DES DOMINOS, Alex Scarrow

Louis Hamelin est né à Grand-Mère (maintenant Shawinigan) en Mauricie. Dès la fin des années 1980, il se consacre à l’écriture. En 1989, il reçoit le Prix du Gouverneur général pour son premier roman, La Rage. Chroniqueur littéraire au Devoir et à Ici Montréal, ses textes sont publiés en 1999 aux Éditions du Boréal, sous le titre Le Voyage en pot. Louis Hamelin a collaboré à une quinzaine de journaux et de revues et publié près d’une dizaine de livres. Tous s’accordent pour dire que Louis Hamelin occupe une place de choix dans l’univers littéraire québécois. La Constellation du lynx a reçu le prix des libraires du Québec 2011 et le prix littéraire des collégiens 2011.

Pour en savoir plus sur la crise d’octobre 1970, cliquez ici.

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 17 septembre 2022

LA COMPAGNIE, le livre de ROBERT LITTEL

*Avec un sourire amer, le sorcier releva
le chien et colla l’extrémité du canon
sur le ventre du russe. «On dirait que
les dindes qui vous protègent se sont
endormies.» Puis il tira.*
(Extrait : LA COMPAGNIE, Robert Littell,
Peter Mayer 2002, t.f. : Buchet/Chastel
2003, édition numérique, 1075 pages)

En 1950 à Berlin, Harvey Torriti, dit «le sorcier», et sa nouvelle recrue, Jack McAuliffe, préparent le départ du transfuge russe Vichnievski Pour les États-Unis. Mais à la *Compagnie*, -mieux connue sous le nom de CIA-, ses supérieurs semblent mettre en doute les capacités de leur agent, plus porté sur le whisky que sur l’étude des relations géopolitiques…

Entre agents doubles et traîtres déclarés, personnages de fiction et personnages réels (Kennedy, Castro, Eltsine, mais aussi Ben Laden), Robert Littel dévoile, à travers ce thriller politique un demi-siècle de notre histoire.

Il nous entraîne sur les traces de ses héros, en plein cœur de la guerre froide, des chars soviétiques de Budapest à la Baie des Cochons, de l’assassinat supposé du pape Jean-Paul premier au complot contre Gorbatchev. Une grande saga.

Après l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, le président américain Harry Truman constatant avec regret que les services secrets ont été incapables de prévoir l’offensive Japonaise, décide que Dorénavant, le FBI et J. Edgar Hoover opéreront seulement sur le territoire américain et l’espionnage à l’étranger sera confié à une nouvelle agence qui sera placée directement sous l’autorité du président des États-Unis. C’est la naissance de la CIA, principal élément de la politique de l’endiguement du communisme.

Les coulisses historiques
De la CIA

*Gorbatchev secouait la tête d’un côté, puis
de l’autre en signe de dégoût. «Croyez-vous
vraiment que les gens soient tellement las
qu’ils seraient prêts à suivre n’importe
quel dictateur? »
(Extrait : LA COMPAGNIE)

 Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’actualité mondiale, Nikita khrouchtchev était premier secrétaire de l’Union Soviétique et Dwight Eisenhower était président des États-Unis et il s’apprêtait à laisser sa place à John F Kennedy. Comme les deux plus grandes puissances du monde se détestaient singulièrement, il y avait dans l’air un relent de catastrophe, de fin du monde.

C’est à peu près à cette époque qu’Eisenhower a créé la Compagnie, qui deviendra la CIA. Alors que cette agence de renseignements et d’espionnage en était à son recrutement de *James Bond* et à ses premiers balbutiements, elle s’entourait déjà d’une aura pompeuse : *En entrant dans cette pièce, vous êtes entrés dans ce que les sociologues appellent une culture fermée* (Extrait)

On libérait aussi de tous doutes les nouvelles recrues avec des formules plutôt directes et pas très recherchées… *La seule règle, c’est qu’il n’y a pas de règles* (Extrait)

LE ROMAN DE LA COMPAGNIE commence là et cette histoire s’étend sur quarante ans et sur plus de onze cents pages. Les principaux thèmes de ces quarante ans sont développés avec un remarquable respect de la dimension historique des évènements.

Le récit commence par une imposante opération d’exfiltration qui s’est soldée par un échec, puis le complot contre Castro, l’affaire des missiles, la Baie des Cochons, La CIA aurait souhaité que les États-Unis combattent le communisme en territoire cubain, mais l’administration Kennedy, plutôt timorée a préféré se rabattre sur le Vietnam, puis l’Afghanistan : échec sur échec.

Puis est arrivé Mikhaïl Gorbatchev qui menaçait dangereusement la ligue du vieux poêle soviétique avec sa perestroïka. La CIA a quand même contribué à dénoncer et combattre le complot contre Gorbatchev en faisant pression sur Boris Eltsine qui présidera finalement au démantèlement de l’Union Soviétique et à la mise au rancart du KGB.

L’auteur explique aussi plus brièvement l’arrivée de personnages qui s’inscriront dans l’histoire comme Ben Laden, Sadam Hussein et bien sûr Vladimir Poutine. Avec la fin de la guerre froide, la CIA n’allait pas chômer pour autant avec la montée de l’extrémisme islamiste.

C’est un roman fascinant qui m’a entraîné dans le temps et dans l’histoire jusqu’au début de la guerre froide alors que la Russie se remettait à peine des horreurs de Staline, cet esprit tordu. Ça n’allait pas s’arrêter là : le communisme allait faire l’objet d’une chasse aux sorcières avec, au cœur de la tourmente les services de renseignements : le KGB contre la CIA.

L’auteur de la COMPAGNIE tend à démontrer si on lit un peu entre les lignes que le communisme était une idée intéressante, déformée à la base par des chefs erratiques, incohérents et violents…Lénine, Staline et autres génies du genre :

*L’URSS n’était pas un pays dit Jack. C’était la métaphore d’une idée qui pouvait paraître bonne sur le papier, mais qui, dans la pratique, s’est révélée terriblement défectueuse. Et les métaphores défectueuses sont plus difficiles à abattre que les pays défectueux*. (Extrait)

The Company a été adapté à la télévision par Mikael Salomon en 2007. Donc c’est une série américaine en trois épisodes avec Chris O’Donnel, Alfred Molina et Michael Keaton, entre autres.

Parce qu’on ne m’a pas démontré le contraire, j’ai toujours été d’avis que la CIA a accumulé les fiascos. L’auteur n’a pu éviter cet aspect de la CIA mais sur les côtés sombres de l’agence, Littel est plutôt timide. C’est une faiblesse que j’attribue à ce roman.

Il faut aussi faire attention car ce récit met en perspective les dualités du monde de l’espionnage : infiltration / exfiltration, espionnage / contre-espionnage, agent / agent double / agent triple / taupe, conflit / détente. C’est plus ou moins bien expliqué. Il s’agit d’être attentif.

Pour moi, LA COMPAGNIE est un excellent roman historique et même quelque uns de ses personnages sont particulièrement attachants. Je pense en particulier au seul espion qui apparait tout au long du récit : Harvey Torriti, dit le sorcier, un gros bonhomme obèse, balourd, traînard et alcoolique mais doté d’une intuition extraordinaire et qui imprègne toute l’histoire.

C’est un livre évidemment très long et pourtant, je n’ai pas trouvé le temps long. Il se lit très bien. Je pense que l’auteur, Robert Littel, a couvert 40 ans d’histoire avec brio. J’ai apprécié aussi la présence d’une taupe tout au long du récit et qui n’a été identifiée qu’à la fin…ça donne une touche de mystification et ça renforce l’intrigue.

Bref c’est un roman tranchant, un peu acide par moment. La plume est quand même fluide et nous fait oublier un peu la piètre ventilation du roman. Ce thriller politique aussi appelé avec raison roman d’espionnage est une réussite. Je le recommande.

Suggestion de lecture : LE LIVRE NOIR DE LA CIA, de Yvonnick Denoël

Robert Littell est un auteur et journaliste américain né en 1935 à New York. Il a commencé dans le journalisme au Newsweek en 1964 et s’est spécialisé dans les questions sur le Moyen et le Proche Orient. Son expérience de reporter lui a donné le goût du voyage et plusieurs lieux qu’il visite serviront de cadre à quelques-uns de ses grands romans. Son premier roman, Robert Littell l’a écrit en 1973 sous forme de feuilleton.

Les grands romans d’espionnage vont suivre dont LA COMPAGNIE en 2003, LÉGENDES en 2005, LE FIL ROUGE en 2007 et L’HIRONDELLE AVANT L’ORAGE en 2009 pour ne nommer que ceux-là… En tout douze romans.  Observateur minutieux de l’univers géopolitique, Robert Littel partage aujourd’hui son temps entre la France, Le Maroc, l’Espagne, l’Italie et dans une moindre mesure, les États-Unis. (Source : overblog.com )

 BONNE LECTURE

JAILU/Claude Lambert

Le dimanche 8 octobre 2017