LE GRAND SECRET, le livre de René Barjavel

version audio

*Pour un indien, la mort n’est pas un évènement
important ni déplorable. Ni celle des autres, ni la
sienne. La mort est seulement la fin d’une des
étapes successives du long voyage des
réincarnations. * 
(Extrait : LE GRAND SECRET, René
Barjavel, Pocket éditeur, 1974, version audio : éditions
Thélème, 2017. Durée d’écoute : 9 heures 42 minutes,
narrateur : Sylvère Santin)

Un couple séparé par un extraordinaire événement, est réuni dans des circonstances extraordinaires. C’est aussi l’histoire d’un mystère qui, depuis 1955, a réuni, par-dessus les oppositions des idéologies et des impérialismes, les chefs des plus grandes nations. C’est ce «grand secret» qui a mis fin à la guerre froide, qui a causé l’assassinat de Kennedy, qui a rendu indispensables les voyages de Nixon à Moscou et à Pékin. C’est le secret de la plus grande peur et du plus grand espoir du monde.

Le virus de Pandore
*Bahamba avait tué et incinéré les souris immunisées et
détruit à l’acide toutes les souches du JL3. Il avait écrit
à ses correspondants leur demandant de détruire par le
feu ou par l’acide le contenu de l’ampoule qu’il leur avait
envoyée ainsi que les animaux sur lesquels son contenu
avait déjà été expérimenté, cette souche virale s’étant
révélée excessivement dangereuse.*
(Extrait)

LE GRAND SECRET est un petit chef d’œuvre d’anticipation, un roman uchronique issu de l’imaginaire de Barjavel. Je ne dévoilerai rien du GRAND SECRET évidemment, mais au risque de surmonter un ou deux irritants, je crois que vous ne serez pas déçu. Le récit commence très simplement.

Jeanne aime Roland d’un amour fou. Un jour Roland disparaît sans laisser de trace. Armée de son courage, Jeanne enquête…une longue investigation qui durera 17 ans et qui l’exposera à des risques énormes et des dangers de mort. Elle finira par apprendre que Roland fait partie d’un grand secret, isolé sur un îlot américain dont rien ne peut s’échapper, au risque d’étouffer la planète…

Ce grand secret pourrait expliquer le sort de John F Kennedy, l’urgence de la conquête spatiale, le rapprochement des États-Unis avec la Chine sous Nixon et j’en passe. Après avoir dépenser l’énergie du désespoir, Jeanne se voit accorder l’accès à l’île, un lieu paradisiaque dont elle ne pourra sortir.

Elle fera partie d’un petit peuple de près de 2000 personnes, victimes ou bénéficiaires du GRAND SECRET selon le point de vue de l’auditeur et de l’auditrice, car ce grand secret est à la fois l’expression du cauchemar et de l’une des plus grandes espérances de l’être humain. Intrigant n’est-ce pas? Moi je penche pour le cauchemar, heureux que le récit ne soit finalement qu’une fiction.

Il fallait Barjavel pour imaginer que les chefs d’état mettent de côté leur idéologie politique afin de s’entendre sur la protection obsessionnelle du grand secret. Donc nous avons ici une histoire en trois volets : premièrement, l’introduction de Jeanne et Roland unis par une passion amoureuse. Deuxièmement, la disparition de Roland et l’enquête de Jeanne, le dévoilement graduel du contenu du grand secret.

Troisièmement, la vie sur la fameuse île et l’incroyable technologie mise au point pour empêcher toutes fuites, humaine, animale ou végétale. Dans cet endroit isolé, il n’y avait pas de règles, pas de lois. On faisait ce qu’on voulait quand on le voulait. La vie coulait…longue…très longue :

Dans la lumière bleue de la nuit, Annoa couchée pieds nus sur l’herbe, gémissait et criait. Et Han, debout près d’elle, appelait au secours, appelait tout le monde. De tous les points de l’ile, les garçons et les filles, nus, accouraient vers le cri. Il s’agenouilla au côté d’Annoa, et lui prit son pied..-C’est notre enfant qui vient ! dit Han. Elle, maintenant, elle savait et elle était prête.  (Extrait)  

L’île deviendra l’objet d’une très forte inquiétude mondiale et d’une réflexion sur la possibilité d’une annihilation totale du grand secret. J’ai trouvé cette histoire brillante, bien imaginée et bien développée. J’ai toutefois été gêné par certains irritants. Par exemple, les personnages ne sont pas vraiment bien travaillés.

La principale héroïne, Jeanne est certes courageuse, mais je n’ai jamais vraiment réussi à m’y attacher. En général, les personnages sont fades. J’ai été déçu aussi par la finale. Sans dire qu’elle est bâclée, disons qu’elle m’a laissé sur mon appétit.

Enfin, il y a la narration de cette histoire que j’ai trouvé un peu froide et dépourvue d’émotion. Mais qu’à cela ne tienne, je terminerai avec ce qui m’a semblé la plus grande réussite de l’auteur, celle d’avoir remanié des faits historiques avérés pour les lier au GRAND SECRET, faisant du roman une uchronie géniale. Malgré la faiblesse narrative, j’ai passé un beau moment d’écoute. Alors faites comme moi…osez..

Suggestion de lecture : LA CHANCE DU DIABLE, d’Ian Kershaw

René Barjavel (1911-1985) était  un écrivain et journaliste français principalement connu pour ses romans d’anticipation où science-fiction et fantastique expriment l’angoisse ressentie devant une technologie que l’homme ne maîtrise plus. Il sait aussi bien raconter les histoires d’amour que la fin du monde, et fait prendre conscience au lecteur de l’univers qui l’entoure au travers d’histoires passionnantes. (Source : Evene) Barjavel a publié plus de soixante livres.


Le narrateur Sylvère Santin

 

Le Grand Secret a été adapté en une mini-série, coproduction française-allemande-espagnole-canadienne réalisée par Jacques Trébouta sur un scénario d’André Cayatte, d’après le roman éponyme de René Barjavel, et diffusée en 1989 sur Antenne 2. Reproduit par la suite en cassette VHS.

Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 11 décembre 2022

MOÏSE ET AUTRES NOUVELLES, Sylvia de Rémacle

Quand le bateau s’est retourné, la mer nous
a engloutis, une eau glacée comme doit l’être
la mort que j’espérais rapide.

(Extrait : Moïse, première nouvelle du recueil du
même nom, Sylvia de Rémacle, ShortEdition,
2013, édition numérique)

MOÏSE ET AUTRES NOUVELLES est le premier recueil de nouvelles de Sylvie de Rémacle : des histoires tumultueuses autour de ses deux grandes sources d’inspiration : les chevaux et la mer…La mer surtout. La tempête n’est jamais loin avec, toujours une maison donnée pour point d’ancrage aux vies agitées, accidentées sans oublier des personnages au caractère bien trempé nés sous sa plume. Le recueil comprend six nouvelles dont le titre MOÏSE.

LES TITRES :  

MOÏSE

MALGRÉ TOUT

BLIZZARD

PORT RACINE

LA SEREINE

OCÉAN-NUIT

LA MER PAR TOUTES SES HUMEURS
La mer

Au ciel d’été confond

Ses blancs moutons

Avec les anges si purs

La mer bergère d’azur

Infinie
(Paroles de la chanson LA MER de Charles Trenet)

Une petite précision pour commencer. Je n’ai jamais parlé ici des supports de lecture. J’aimerais vous en glisser un mot brièvement. Il est vrai que je suis et j’ai toujours été un inconditionnel des livres de papier. En plus de la lecture, j’ai besoin de sentir le papier dans mes mains, tourner les pages, apprécier leur texture.

Toutefois depuis quelques années, sans délaisser les livres de papier, j’explore l’univers numérique et je me suis rendu compte que les deux supports se complètent, que le support numérique donne peut-être un peu plus de chances aux auteurs émergents.

Je n’abandonnerai jamais les livres de papier, mais je suis convaincu que lever le nez sur l’univers numérique équivaut à passer à côté de véritables petits chefs d’œuvre littéraires.

Pour l’instant, je ne discute pas les différences de prix ou la qualité de la mise en page. Le numérique est en pleine évolution et se raffine graduellement. Bref, le livre de papier et le livre numérique se complètent et les deux valent la peine d’être explorés.

Justement, le livre du jour est une découverte que j’ai faite dans l’univers numérique et c’est un bijou. Il s’agit du tout premier recueil de nouvelles de Sylvia de Remacle : MOÏSE. Moïse est le titre du recueil et le titre de la première nouvelle qui donne le ton au recueil. Dans ces nouvelles, il y a un thème récurrent : la mer.

Les chevaux sont aussi une grande source d’inspiration. À ce titre, j’ai beaucoup aimé la nouvelle intitulée BLIZZARD dans laquelle l’héroïne tente l’impossible pour sauver un de ses poulains en pleine tempête. Dans ce très beau texte, l’héroïne est appelée à faire le point sur le sens de sa vie au cœur d’une grande solitude engendrée par la mort de son époux. J’ai trouvé ce texte d’une touchante sensibilité.

La sensibilité est, je crois, ce qui définit le mieux ce recueil et ce, malgré le caractère bien trempé de plusieurs de ses personnages. Par exemple, dans Port Racine, l’héroïne a tout du garçon manqué, forte, directe, énergique et pourtant son sort appelle à la tristesse alors que les portes sont ouvertes sur une vie d’errance.

Il s’agit d’un autre personnage attachant né de la plume d’une auteure fascinée par la mer et par les tempêtes qu’elle provoque comme si la mer et la vie de ses personnages était intimement liées.

Lire MOÏSE, c’est faire une petite randonnée dans l’esprit humain entre la tourmente et l’apaisement. Les textes sont tout simplement beaux et quelques-uns ont un caractère poétique. La plume est délicate et confine parfois à la tristesse. En effet, si l’ensemble est original, il ne faut pas s’attendre à de la gaité genre marins en fête. Il y a dans tous les textes un petit quelque chose de mélancolique, triste, nostalgique.

Donc la démarche de l’auteur appelle à l’espoir d’une vie toujours meilleure…construire l’avenir comme c’est le cas de Mathieu dans MALGRÉTOUT. Mathieu est un jeune homme qui est en deuil de sa grand-mère autour de laquelle toute sa vie gravitait. Une période d’errance s’annonce pour lui avant que lui vienne une idée lumineuse et porteuse d’avenir. Je crois que cette nouvelle était ma préférée.

Bref, si vous avez envie d’une petite douceur, je vous invite à lire MOÏSE, un recueil de nouvelles d’une grande richesse avec, comme toile de fond ses hauts paisibles et ses bas hostiles.

Suggestion de lecture : LE SYNDROME E, de Frank Thilliez

Sylvia de Rémacle est née dans le Puy de Dôme où elle vit. Elle a commencé à écrire à l’adolescence, des poèmes. Plus tard elle s’est essayée au roman, mais c’est dans le format court de la nouvelle qu’elle s’épanouit pleinement, jamais loin de la veine poétique. Pour Moïse, elle a reçu le Prix Printemps 2011 de la short Littérature dans la catégorie Nouvelle.

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 21 février 2020

LES CLOCHES DE L’ENFER, de JOHN CONNOLLY

*Longtemps Mme Abernathy avait partagé
le désir de son maître de voir la terre
transformée en une autre version de
l’enfer, mais quelque chose avait changé.*
(Extrait : LES CLOCHES DE L’ENFER, John Connoly,
T.F. Éditions l’archipel, 2012, papier, 340 pages)

À 11 ans, Samuel Johnson déjoue les plans machiavéliques de l’horrible Ba’al, un démon qui prépare l’invasion de la terre et l’avènement de son maître : le mal Suprême. Deux ans plus tard, Ba’al n’a toujours pas digéré son échec quand arrive enfin l’heure de la revanche. Et c’est ainsi que Samuel et son chien Boswell se retrouvent propulsés en enfer… Ba’al n’en fera qu’une bouchée ! Promis, juré.

Mais il oublie un peu vite les ressources insoupçonnées de Samuel et de ses compagnons d’infortune : quatre nains énervés, deux agents de police tatillons et un marchand de glaces. Et puis Samuel pourra aussi compter sur le soutien d’une vieille connaissance : Nouilh, petit démon aussi gaffeur que poltron. Qui donc, à la fin, se fera sonner les cloches ?

ENFER HORS-SENTIER
*Dans le chaos et le fracas qui avaient suivi l’échec de
l’invasion, personne n’avait remarqué que deux
phacochères nommés Shan et Gath avaient disparu,
et qu’il y avait donc deux paires de bras en moins
pour jeter des pelletées de charbon dans les grands
brasiers de l’enfer.*
(Extrait : LES CLOCHES DE L’ENFER)

LES CLOCHES DE L’ENFER est un livre aussi étrange que fascinant. Le titre ne prend sa véritable signification que vers la fin du récit. Ce livre est la deuxième partie de la saga de Samuel Johnson. N’ayant pas trouvé la première partie (LES PORTES), je me suis rabattu sur la deuxième qui peut se lire indépendamment. Je précise aussi que l’auteur fait un retour sur le premier volet donc le confort avec l’histoire s’installe rapidement.

Voyons rapidement l’histoire. Deux ans après avoir déjoué les plans diaboliques de Ba’al, incarné dans le récit par l’horrible madame Abernathy, Samuel et son chien Boswell sont subitement propulsés en enfer par Abernathy, fort désireuse de finaliser son plan de vengeance afin de se réconcilier avec le Mal Suprême.

Mais Samuel a des ressources et des amis aussi : quatre nains énervés, deux agents de police, un marchand de glace et Nouilh, un petit démon maladroit mais très sympathique. Il est évident que tôt ou tard, quelqu’un quelque part va se faire sonner les cloches.

C’est un livre très original et comme je le précise au début, il est un peu étrange, mettant en scène des personnages disparates dans un univers peuplé de créatures bizarres et où règne le mal évidemment avec le grande Maître du Mal et ses lieutenants dont Abigor et Abernathy.

Ce sont des noms qui évoquent la trahison, la soif de pouvoir et un ardent désir d’envahir la terre pour en faire une prolongation de l’enfer. Cet univers a été bien imaginé. Il y a un petit quelque chose de folklorique dans le récit. L’auteur étant Irlandais, il ne faut peut-être pas trop s’en surprendre,

Ce n’est pas un livre qui va vous donner des cauchemars bien au contraire. Le sens de l’humour de Connolly est particulièrement aiguisé partout : le titrage, le texte et les renvois en bas de pages qui à eux seuls consacrent le caractère rafraîchissant de l’ouvrage :

*Pas même le travail des démons les plus nuls comme Dhïnhg-Dhônhg, le démon des gens qui sonnent à la porte quand on est sur le point de passer à table; Woüa, le démon des choses mortes qui flottent dans la soupe (et du proverbial cheveu dans la soupe)…Plouf, le démon des choses qui coulent quand il vaudrait mieux qu’elles remontent à la surface et grrrin’s’Äbl, le démon qui bloque les engrenages.* (Extrait)

Donc l’humour est omniprésent. À cela s’ajoute une plume fluide et très descriptive, beaucoup d’imagination, un fil conducteur efficace et le concept de l’enfer imaginé par l’auteur m’a agréablement surpris. L’enfer est au cœur de l’aventure mais Connolly y a laissé un petit message à l’effet qu’il y a toujours de l’espoir et même lorsqu’elle devient des plus improbable, la rédemption est toujours possible :

*…Il arrive même que le Bien naisse du Mal…Et le Mal, comme l’épisode du forgeron l’a démontré, contient toujours en lui-même la possibilité de sa propre rédemption.* (Extrait)

Côté faiblesse : le récit est bien structuré mais l’émotion manque à l’appel. La finale m’a semblé expédiée. Le récit accuse aussi quelques longueurs et le début est un peu lent. À part, peut-être Samuel, j’ai eu de la difficulté à m’attacher aux personnages. Mais en général l’originalité a le dernier mot avec l’humour omniprésent et souvent subtil de l’auteur.

Quant aux Cloches de l’enfer, je vous laisse découvrir ce qu’elles annoncent. Ce n’est vraiment pas un livre méchant bien au contraire. LES CLOCHES DE L’ENFER est un livre jeunesse mais les adultes y trouveront aussi de quoi se divertir.

Suggestion de lecture : LES NEUF CERCLES, de R.J. Ellory

John Connolly est un écrivain irlandais. Il est surtout connu pour sa série de romans mettant en vedette le détective privé Charlie Parker. Avant de devenir un romancier à temps plein, John Connolly travaille comme journaliste, barman, fonctionnaire du gouvernement local, serveur et coursier au grand magasin Harrods à Londres.

Il devient rapidement frustré par la profession, et commence à écrire «Every Dead Thing» (Tout ce qui meurt) pendant son temps libre qui obtient un Shamus Award. Le site officiel de John Connelly est en anglais mais j’ai beaucoup apprécié ma visite, en particulier l’imposante bibliographie du créateur de Charlie Parker. Allez voir.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 2 février 2020

COMME UN POISSON DANS L’ARBRE, LYNDA MULLALY HUNT

*Je comprends soudain que ce n’est pas non plus parce qu’on me colle une étiquette que je suis nécessairement ce qu’elle décrit.*
(Extrait : COMME UN POISSON DANS L’ARBRE, Lynda Mullaly Hunt, Castlemore, pour la présente traduction : Bragelonne, 2015, édition numérique, 288 pages.)

Un poisson ne sait pas grimper aux arbres, mais ça ne veut pas dire qu’il est stupide pour autant. Allie a une problématique particulièrement gênante : elle ne sait pas lire. Et elle fait des pirouettes pour que ça ne se sache pas en classe parce qu’elle a peur qu’on la prenne pour une incapable, une sans-génie. Ce camouflage gaspille l’énergie d’Allie et l’isole. C’est un coup dur pour l’estime de soi.

Mais un jour, tout change avec l’arrivée d’un nouveau professeur : monsieur Daniels. Très vite, le nouvel enseignant apprend à connaître chacun de ses élèves et cerne le problème d’Allie : elle ne sait pas lire. Elle est très intelligente, futée, volontaire…mais elle ne sait pas lire. Monsieur Daniels découvre qu’Allie est dyslexique. En appliquant les méthodes pédagogiques appropriées, monsieur Daniels réussira-t-il à faire ressortir les talents d’Allie?

AVANT-PROPOS :

La dyslexie est une difficulté d’apprentissage de l’orthographe et de la lecture. Ce trouble concerne entre 8 et 10% des enfants et en grande majorité des garçons, trois fois plus que les filles. La dyslexie n’a pas d’origine psychiatrique et n’est pas causée par une déficience intellectuelle. Source : Https://orthophonie.ooreka.fr/comprendre/dyslexie

LES EFFETS DE L’OUVERTURE D’ESPRIT
*«Et tu trouves facile d’écrire ou c’est juste que
tu n’aimes pas ça?» Je mens. « C’est facile. C’est
juste ennuyeux.»

«Eh bien nous pourrions peut-être trouver un
moyen de rendre ça plus plaisant. De te donner
envie d’écrire. C’est une idée à explorer. Sois
créative. Pose-moi des questions.»*
(Extrait : COMME UN POISSON DANS L’ARBRE)

 COMME UN POISSON DANS L’ARBRE est l’histoire d’Allie Nickserson, 12 ans. Après avoir suivi son père qui est militaire, de déménagement en déménagement, elle se retrouve en 6e année dans une nouvelle école publique. Allie a beaucoup de difficulté à trouver sa place. Elle est très intelligente, elle a beaucoup d’humour mais elle a une problématique majeure : elle ne sait pas lire… elle n’arrive pas à apprendre.

Pour elle, les lettres sont des dessins qui s’enchevêtrent. Elle inverse les lettres, elle mêle tout. Pour avancer, elle ruse, trouve des excuses crédibles, mais malgré tout ça, exception faite de ses deux meilleurs amis, Albert et Keisha, elle est la risée de la classe.

Un jour, la vie d’Allie va basculer du bon côté grâce à un changement de professeur. Il faut un certain temps à monsieur Daniels et Allie pour s’apprivoiser. La jeune fille n’ayant à peu près pas d’estime de soi, c’était difficile pour monsieur Daniels et pourtant, le professeur a vite compris la difficulté d’apprentissage d’Allie.

Allie ne sait pas lire parce qu’elle est dyslexique. Monsieur Daniels, qui étudie lui-même en éducation spécialisée à l’Université a fait alors ce qu’il fallait : il s’est outillé, il a obtenu finalement la collaboration d’Allie et s’est ajusté à ses besoins :

*« Il me fait tracer des lettres avec du sable rose ou bleu. Ou bien avec les doigts dans de la mousse à raser.»« Ah bon ? Tu arrives à lire maintenant ?» « Pas encore très bien mais je fais des progrès. Parfois, c’est aussi dur que de grimper sur un immeuble en courant et ça m’épuise. Mais j’y arrive de mieux en mieux. »* (Extrait)

Allie finira peut-être par trouver ce qu’elle cherche depuis 6 ans : sa place en société et du bonheur.

C’est un roman pour la jeunesse mais je suis content de l’avoir lu et je pense qu’il convient parfaitement aux adultes, enseignants compris car l’ouvrage traite des enfants différents, Ici il est question de dyslexie mais on pourrait parler aussi d’autisme, de trouble envahissant du développement, d’asperger, d’hyperactivité, de trouble de l’attention, dysphasie…etc…

Dans tous ces cas, les enfants sont intelligents et capables d’apprendre.

Ayant moi-même des enfants dont un en difficulté d’apprentissage, je sais par expérience que si les enfants ne rentrent pas dans le moule de l’éducation et de ses programmes dont plusieurs accusent de la lourdeur et peu de souplesse, la possibilité pour eux de réussir est compromise et la possibilité de pousser les parents à partir en guerre est très forte…

C’est un ouvrage très simple, chaleureux, bien écrit avec des personnages attachants. J’ai particulièrement apprécié l’affection et la complicité liant Allie et son frère aîné Travis qui a quelque chose de particulier qu’il ne confiera qu’à la fin de l’histoire. Une autre chose que j’ai appréciée est le fait que le livre n’est pas moralisateur.

Il raconte simplement mais de façon détaillée le quotidien d’Allie avec ses hauts et ses bas, un peu à la manière d’une chronique, et l’humour est très présent. Le livre est facile à lire : chapitres courts, écriture très fluide et la façon dont l’auteur amène Allie à prendre conscience de sa problématique est vraiment bien pensée.

J’ai trouvé saisissante la justesse du propos et les précisions dans une foule de détail comme quoi l’auteure en sait long sur la question. Lynda Mullaly Hunt nous propose un récit qui appelle à l’ouverture d’esprit et nous livre un beau plaidoyer sur la force de l’amitié.

Le livre appelle aussi à la réflexion : est-ce que les enfants doivent forcément s’ajuster au système d’éducation ou si le système d’éducation doit s’ajuster aux enfants.

Doit-on prendre les enfants pour ce qu’ils sont…des enfants ou les voir comme des problèmes sur deux jambes. Des *monsieur Daniels*, est-ce qu’il y en a beaucoup dans le système éducatif?

La seule chose que je ne comprends pas dans ce livre c’est : Comment Allie a pu se rendre en 6e année alors qu’elle ne sait pas lire. Peut-on échapper à un système aussi longtemps. Je crois que l’auteure aurait dû s’étendre un peu plus sur les antécédents d’Allie.

C’est un bon livre qui a des choses intéressantes à dire doublées d’une belle leçon de vie. Je comprends maintenant que ces enfants sont intelligents et capables d’apprentissage. Comme ce fut le cas pour Einstein, Edison et plusieurs autres, leur cerveau fonctionne différemment, le tout est de s’ajuster à cette différence :

Pour eux, «retard de lecture» résume tout. Comme si j’étais une boîte de soupe dont ils pouvaient lire les ingrédients…il y a pourtant des tonnes d’informations sur la soupe qu’on ne peut indiquer sur l’étiquette comme son odeur, son goût…Je suis forcément davantage qu’une fille qui ne sait pas lire. (Extrait)

Je vous invite à lire COMME UN POISSON DANS L’ARBRE. En lisant, vous comprendrez aisément le titre. Je mentionne enfin que l’éditeur propose une version de ce livre pour les dyslexiques qui est lisible aussi pour les non-dyslexiques. Ce serait un exercice intéressant et même enrichissant à faire.

Lynda Mullaly Hunt est une auteure, professeure et oratrice née, comme elle le dit elle-même, à la fin des années 60. Elle s’est distinguée dès le départ avec son premier roman ONE FOR THE MURPHYS qui a pris sa place pour un temps dans la liste des 20 meilleurs livres de l’année 2013.

Elle est membre de la Société des écrivains et Illustrateurs de livres pour enfants. Lynda Mullaly Hunt aime écrire en particulier pour les enfants qui vivent une problématique. Toujours à la recherche de solutions simples pour améliorer la qualité de vie des enfants en difficulté et utilise les arts et la littérature pour enrichir leur personnalité et leur vie…

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 10 février 2019